Document puremedias.com. Mais que diable est-il arrivé à la chronique de Nicolas Bedos pour "O" ? Début février, le supplément "tendances" de "L'Obs" affichait sur sa couverture une jolie photo de Jennifer Lawrence, la célèbre actrice de "Hunger Games". A l'intérieur de ce numéro, les lecteurs pouvaient notamment découvrir pas moins de 10 pages de photos de la star américaine.
Des photos qui ont l'avantage de ne rien avoir coûté à "L'Obs" comme le révèle "Le Canard Enchaîné". Dans son édition de cette semaine, le journal satirique explique ainsi que les précieux clichés ont été fournis gratuitement par Dior, la maison de couture dont Jennifer Lawrence est l'une des égéries depuis deux ans. Sur les photos ostensiblement créditées "Dior", l'actrice oscarisée apparaît habillée et maquillée par les produits de la marque du groupe LVMH.
"L'Obs" avait prévu d'accompagner les photos de Jennifer Lawrence d'un portrait écrit par Nicolas Bedos. Problème selon "Le Canard Enchaîné", le ton du texte n'aurait pas plu à Dior qui avait exigé de le relire avant publication. Menaçant de garder pour elle les précieux clichés, la maison de couture aurait finalement obtenu de "L'Obs" l'écriture d'un autre texte, plus consensuel, confié cette fois à "un pigiste". "Les patrons de 'L'Obs' ont préféré se fâcher avec Bedos plutôt qu'avec Dior", résume ainsi le palmipède.
Contactée par puremedias.com dès mercredi, la rédaction en chef de "L'Obs" nous avait promis une tribune de mise au point. A l'heure de l'écriture de ces lignes, cette dernière n'avait toujours pas été publiée sur le site du magazine. On ne sait ainsi toujours pas qui de Dior ou de l'agent de Jennifer Lawrence a demandé la censure de la chronique de Nicolas Bedos. Les journalistes de l'hebdomadaire contactés par puremedias.com ont en tout cas affirmé qu'ils n'avaient jamais subi de pression de la part de leur régie publicitaire et assuré qu'il existait une parfaite étanchéité entre cette dernière et la rédaction.
A défaut d'avoir pour l'instant le fin mot de cette affaire, puremedias.com a pu se procurer en exclusivité la fameuse chronique censurée de Nicolas Bedos. Nous avons décidé de la publier en intégralité.
Sexy, drôle, sans langue de bois, c'est l'actrice que tout le monde s'arrache. Nicolas Bedos lui a écrit une lettre.
Chère Jennifer,
Je tenais à m'excuser pour le lapin de l'autre jour.
Ce n'est pas mon genre de planter les stars mondiales. Parfois, je plante ma mère (il faut dire qu'on se voit beaucoup, si ce n'est trop, et, passé l'âge de 35 ans, lorsqu'on n'a toujours pas d'enfant, il faut savoir planter sa mère de temps en temps, à moins d'avoir pour projet de faire un enfant à sa mère, ce que la loi n'autorise pas, avec ou sans Christiane Taubira).
Jenny,
C'est la faute du magazine si je t'ai fait faux bond. Ils ont merdé sur toute la ligne. J'avais été très clair : "Je veux bien interrompre le tournage de mon film pour rencontrer cette fille, à condition d'avoir le temps de lui donner envie de me faire des enfants. Pour ça, les gars, il faut du temps, d'autant que Jennifer n'est pas du genre à s'emballer pour deux sourires et trois sentences philosophiques, fut-elle proférées d'une voix de velours. Sur le marché des femmes, la Lawrence est peut-être ce qu'il y a de plus difficile : C'est l'actrice la mieux payée du monde (peu probable que mon abonnement VIP au Club Med Gym de République l'impressionne outre-mesure). A 24 ans, elle avait déjà décroché l'Oscar de la meilleure actrice (j'ai perdu le diplôme de mon BEPC). Certes, je pourrais jouer sur mon physique de chef de rang à l'hôtel Costes, mais elle passe ses interviews à chier sur l'importance qu'on donne à l'apparence, rappelant à toutes les Barbie de la planète qu'on en fait trop avec le poids, les visages émaciés, les jambes en forme de cannes, l'épilation des sourcils, les fesses en béton, les ongles impeccables et toutes ces niaiseries qui nous font perdre un rire précieux".
Sur ce point, je m'apprêtais à te lancer quelques pics : Jennifer, tu fais très long sur le fait que tu es "grosse" et que tu t'en tapes tellement que le prochain producteur qui te posera sur une balance se prendra une mandale dans la gueule. C'est sympathique de dire tout ça à la télé, ça fait plaisir à tes fans adolescentes obèses (En 2014, 45,8 millions d'adolescentes obèses ont raffolé d'Hunger Games et des Sunday au chocolat). Le problème, c'est que tu n'es pas grosse du tout et que 98,5 % de la population masculine meurt d'envie de faire l'amour avec une grosse comme toi, les 0,5 % restant n'ayant jamais eu envie de faire l'amour à qui que ce soit, pas plus avec Kate Moss qu'avec Christine Lagarde.
Bref, je t'aurais un peu charrié sur ton côté "Naturelle, rebelle, décomplexée" qui pose pour Dior sous 40 cm de Terra Cotta. Tu m'aurais répondu "Et alors ? L'un n'empêche pas l'autre etc" et on aurait fumé des clopes en cassant un peu de spartam sur l'anorexie militante de cette pauvre Anne Hathaway.
J'avais donc demandé au rédacteur en chef (cette madame Claude de notre avenir) de nous prendre une chambre au Ritz sur une durée de base de trois jours. Trois jours, c'est le minimum pour poser les fondations d'un couple équilibré:
Le premier soir :
- on parle beaucoup ("Nico, Je suis née à Saint-Louis, mes parents étaient trop cool, j'ai joué une connasse dans Cold Case, oui la série un peu pourrie avec la blonde qui fait la tronche, puis j'ai eu un gros coup de cul en décrochant le rôle de Ree dans 'Winter Bones'"),
- on boit trop (tu picoles grave, Jen, tout le monde le sait depuis que tu t'es vautrée deux années de suite en allant chercher un prix), on se marre (ta meilleure pote s'appelle Amy Schumer, c'est la comique la plus trash du moment, la poivrote la plus stylée de LA, à des années lumières de cette sinistre Anne Hathaway),
- on s'invente un peu ("Nico, je te JURE que je ne suis jamais sortie avec Chris Martin, le chanteur bio de Coldplay, c'est une rumeur dégueulasse lancée par Anne Hathaway"),
- on s'embellit à mort ("Bradley Cooper m'a dragué pendant 3 ans, mais je le trouve un peu fadasse, moi je préfèrerais sortir avec un type dans le genre de Larry David, un vieux chauve désopilant plutôt qu'un beau gosse un peu chiant").
Le lendemain, foin de coquetterie : la gueule de bois dit vrai ("Je flippe ma race que tout s'arrête, j'en ai parlé une fois avec Julia Roberts, la nuit je rêve qu'en fait c'était qu'une blague et que je dois retourner à l'école, comme une conne"). On ose se taire à deux sans s'emmerder ("ça te dérange si on mate 7 ou 8 épisodes de 'La fête à la maison', c'est ma série préférée, y'a que ça qui me détend vraiment"), se trouver beau sans se regarder, s'aimer sans être d'accord, s'engueuler sans se faire fuir.
Le troisième jour, c'est fait, on a tout mélangé, le beau avec le laid, le vrai avec le faux et nous voilà partis pour des années de vas-et-viens entre nos rêves en toc et l'indocile réalité.
J'étais donc sur le point de te rejoindre au Ritz (à ce sujet, je t'avais préparé quelques anecdotes relativement rébarbatives sur les cuites d'Hemingway avec le barman de l'hôtel, la radinerie de Marcel Proust et la chambre de Greta Garbo reliée aux cuisines par un passage secret).
Sur le chemin, dans la voiture UberX gracieusement payée par le journal (ainsi que les préservatifs), je me repassais le film, la première fois que je t'ai vue : Tu étais toute bleue, ma chérie ! Comment dire ça à nos enfants de dans deux ans : "La première fois que j'ai vu maman ? Bah elle était à poil, la peau couleur de Schtroumpf et elle portait la perruque de Natacha Polony !"
Tu jouais "Mystique" dans "X-Men", le rôle d'une gamine un peu torturée, un peu incestueuse, un peu complexée de la vie, limite pénible. Je dois t'avouer que pour moi, ce ne fut le coup de foudre jadis éprouvé face à Michelle Pfeiffer dans les Liaisons Dangereuses ou Isabelle Adjani dans l'été meurtrier. Mais t'inquiète pas, va, les gazettes en font trop sur l'importance des premiers regards. Même les amants célèbres comme Bernadette et Jacques Chirac ne se sont pas jetés dessus immédiatement ! L'amour est un tableau qui nécessite trois couches.
Nous concernant, la seconde couche fut l'inoubliable nympho dépressive que tu interprétas dans Happiness Therapy. Pour une deuxième rencontre, là tu ne t'es pas vêtue dans le noir ! Avec ce putain de film, David O. Russel, ton réal fétiche, embrasse mon front de cinéphile avec la même délicatesse que Jeff Buckley caresse ma joue de mélomane : C'est drôle et c'est profond, c'est triste et rock'n roll, c'est rapide et c'est fouillé, c'est sensible, nom d'un chien : on dirait que Cassavetes vient d'adopter un môme avec Judd Apatow ! Comme c'est bon, comme c'est rare, cette façon de faire le cinéma au grand public !
Tiffany Maxwell, la jolie veuve que tu incarnes, s'en est pris plein la gueule. Du haut de tes 23 ans, tu la satures d'intelligence, de chagrin et d'orgueil. Comme dans la vraie vie, elle lance des vannes pour dire "je t'aime". Elle dit "Ta gueule" pour dire "prends-moi". Quand elle regarde son partenaire, on dirait qu'elle hésite entre lui foutre une baffe et lui tailler une pipe.
Ça y est, tu me plais : moi aussi j'ai très envie que le personnage joué par Bradley Cooper ferme sa gueule et qu'il t'embrasse, qu'il te rassure, qu'il pousse la mèche de cheveux qui encombre tes yeux, qu'il pose ton beau visage de larmes dans le creux de son cou et que vous dansiez le tango jusqu'à la nuit des temps.
En étant belle ET jeune ET dure ET tendre, tu fais du bien aux gens qui souffrent.
Ça ne devrait servir qu'à ça, le cinéma : dire aux fous qu'on sait qu'ils sont brillants, dire aux enfoirés qu'on sait qu'ils ont été gentils, dire aux moches qu'on sait bien qu'ils peuvent être irrésistibles, dire aux vieux qu'on sait combien ils se croient jeunes et dire aux jeunes qu'on a compris qu'ils se sentaient parfois trop vieux.
A partir de ce film, j'ai commencé à t'espérer, chinant parfois ton nom sur les colonnes Morris, comme lorsque je guettais le cartable vert pomme d'Elisabeth Francard dans le réfectoire du collège des peupliers.
Quel coup me prépare-t-elle ? M'arrivait-il de demander au site AlloCiné.
Ce sera cette triple folle de Rosalyn Rosenfeld dans "American Bluff" !
Inénarrable chieuse, fouteuse de bordel comme personne, sa mauvaise foi déborde de son 95 C. On a envie de l'étrangler, on a envie de la prendre dans des positions mesquines, de lui faire un procès et de la chérir en secondes noces. Elle a dans l'oeil cette violence définitive murie par des siècles d'oppression et de lâcheté masculine.
Derrière la caméra, c'est le même type qui te sublime.
Forcément, tu sais que tu me tiens par le bon fil: alors tu le lâches plus, ton David O. Russell. Et tu fais bien, va, tu fais bien. C'est aussi ça, une grande actrice : squatter le meilleur canapé dans la teuf de la bande la plus cool ! Avec David, Bradley et le vieux De Niro, tu me fais une belle-famille !
Car les stars sont une famille prêtée par Hollywood.
Par exemple, un matin, le cinéma m'a présenté Leonardo Di Caprio : "Voilà ton grand frère, Nicolas. Tu vas faire plein de voyages avec lui, il va se prendre des balles de fusil à ta place, il va chialer des drames que tu vivras peut-être un jour, tu vas le regarder vieillir, mal tourner, s'empâter, fondre, ressusciter".
On m'a prêté quelques mamans : Meryl Streep, Emma Thompson. J'ai rencontré Tata Kate Blanchet (par alliance) et une belle-mère (Julianne Moore). Parfois, c'est légèrement pervers, car les studios m'incitent à vouloir niquer ma tante et épouser ma belle-mère, mais ça ne dure qu'une heure trente.
J'ai égaré aussi plein de potes dans les films des années 70 : Jack Nicholson, Michael Douglas et Gene Hackman n'oublieront jamais nos randonnées nocturnes.
Et puis, un beau soir, Hollywood te dit "C'est elle". Tu ne l'as pas vu venir, c'était même pas ton genre de femme, toi tu l'imaginais plus grande, plus blonde, plus rousse ou plus joyeuse. Mais non, c'est elle.
Et bien c'est toi, ma Jennifer.
Le film "Joy" fut ton coup de grâce, ta façon pudique de me dire "Bon, trêve de plaisanteries : On les fait ces gosses ou pas ?".
"Oui, Jenny" t'ai-je répondu, en sortant tout seul du Gaumont Opéra. Puisque tu insistes de bons films en bons films, tu ne me laisses pas le choix.
Joy m'a permis de voir la femme que tu seras. Femme complète, femme complexe, femme comble. Une gamine qui se débat dans une existence d'adulte. Il est là, me semble-t-il, l'équilibre subtil de ta sensualité : cette oscillation permanente entre la candeur et la maturité. On frémit de te voir taper du poing sur la table tout en s'inquiétant que tu aies pu te faire mal au poignet.
Tu fais des films "portrait de femme". Ce qui, de nos jours, est bien plus utile qu'un essai féministe, étant entendu que, dans le monde qui m'échoue, il y a malheureusement beaucoup plus de gens qui clique sur "Nabilla habillée" que sur "Simone de Beauvoir à poil".
J'épouserai donc la cause des femmes à travers leur interprète.
Voilà, en substance, tout ce que je m'apprêtais à te dire, au Ritz, ce jour-là, lorsque j'ai découvert une file d'attente de journaleux.
"Bonjour Mr Bedos, 15 minutes par médias, en présence de ton staff".
Non, ma Jenny, on vaut mieux que ça. On l'a trop attendue pour la bâcler, notre rencontre. D'autant qu'il n'est pas dans mon style de me déshabiller devant trois attachés de presse aussi érotisant qu'un discours d'Alain Juppé.
J'ai préféré partir que de te partager.
Je te laisse me contacter. Le numéro de la rédaction est indiqué page 3.
Sache que nous souhaitons faire le même genre de cinéma sur le même genre de gens. Que je ne fliquerais jamais ton poids. Que j'irais jusqu'à remplir tes tartines de Nutella (parce que c'est bon, le Nutella, et qu'on emmerde Anne Hathaway).
En attendant de me faire deux filles et un garçon, fais-moi encore quelques bons films, picole, trébuche et amuse-toi.
A très vite,
Nicolas
Julien Bellver / Benjamin Meffre