Indéboulonnable Franck Ferrand ? Depuis 2003, le journaliste est le "Monsieur Histoire" attitré d'Europe 1. Alors que la grille de la station est bouleversée du sol au plafond, son émission "Au coeur de l'histoire", à l'antenne depuis 2011, est l'une des seule à avoir sauvé sa tête. Historique de la rue François Ier, l'historien médiatique a répondu aux questions de puremedias.com à l'occasion de la journée spéciale dans les coulisses de la station.
Propos recueillis par Pierre Dezeraud.
puremedias.com : Vous fêterez cette année vos quinze ans d'antenne sur Europe 1. Votre émission est l'une des seules de la grille qui ne change pas. En tant qu'historique de la station, comment vivez-vous cette rentrée pleine de changements ?
Franck Ferrand : C'est Caroline Dublanche la doyenne de l'antenne. Moi, je ne suis que le vice-doyen (rires). Mais vous avez raison, je suis un historique. Concernant cette rentrée, je la vis avec beaucoup d'espoir. Pour tout vous dire, j'étais assez proche de Nathalie André, la précédente directrice des programmes. Quand elle a été nommée, j'ai pensé que c'était une grande chance pour la radio et cela aurait pu l'être. Les circonstances ont fait que finalement, l'équipe a été de nouveau changée. Sur le coup, je me suis dit : "Pitié, encore une autre équipe !". Finalement, ce que je constate, c'est que les gens ont le sourire dans les couloirs. C'est quand même pas mal ! Il y a une légèreté retrouvée, cela fait plaisir ! Bon, tant que nous n'avons pas les chiffres de la première vague et surtout de la seconde, en janvier, il restera bien sûr de l'inquiétude. D'autant qu'on a vu l'année dernière que l'on peut faire de bonnes réformes et avoir des résultats qui ne suivent pas encore. La radio est un média d'habitude et le grand succès de notre émission en est une illustration.
En fin de saison dernière, avez-vous connu une période d'incertitude ?
À titre personnel, non. Les circonstances ont fait que les audiences de mon émission étaient excellentes en mai puis en juillet. En plus, ils ont été confirmés par de très bonnes performances en podcasts. Et pour tout vous dire, la nouvelle direction a pris le soin de m'appeler pour me dire que l'émission n'était pas en danger. Nous avons maintenant une forme de légitimité dans ce créneau à la fois ingrat et stratégique. Je le dois beaucoup à l'excellente équipe avec laquelle je travaille. J'ai même l'impression d'être dans un moment de grâce à la radio.
Vous avez le sentiment que votre émission s'imbrique bien dans la nouvelle grille ?
Oui, c'est très cohérent. J'aime beaucoup l'émission de Maxime Switek avant et je trouve qu'Isabelle Quenin est sur la même longueur d'ondes que moi. De manière générale, je trouve que cette nouvelle grille est moderne et maligne. Elle a d'ailleurs l'air de plaire à la presse, ce qui n'est pas négligeable, et au public. C'est un cocktail très encourageant.
C'est quand même un paradoxe que mon ami Stéphane Bern ne fasse pas de patrimoine sur RTL !
Vous avez apporté des modifications à "Au coeur de l'histoire" ?
L'idée générale de la nouvelle direction était de revenir à la formule classique de l'émission, à savoir une partie récit et une partie invités. En ce qui me concerne, j'avais envie de garder la page consacrée au patrimoine. Même si nous sommes une radio privée, nous avons quand même des responsabilités. C'est bien de parler du patrimoine aux gens. Il y a un public qui n'est pas forcément féru d'histoire qui aime qu'on lui parle de tourisme, de patrimoine. Donc, on essaie d'en avoir vingt minutes tous les jours. J'y tenais vraiment et la nouvelle direction l'a pleinement accepté. Vous savez, il n'y a que nous qui parlons de patrimoine à la radio. C'est quand même un paradoxe que le Monsieur Patrimoine du gouvernement, mon grand ami Stéphane Bern, ne fasse pas de patrimoine sur RTL !
C'est un tacle glissé à sa nomination ?
Certainement pas, Stéphane est mon meilleur ami ! Il a toute l'énergie et les convictions pour remplir sa mission. Il ne faut pas oublier qu'il est acteur du patrimoine, pas seulement commentateur. C'est-à-dire qu'il a lui-même un monument historique. Il a également mobilisé toute une région qui est en train de faire des exploits en matière de patrimoine. Maintenant, il faut que nous l'aidions pour qu'il puisse aller plus loin que l'effet d'annonce lors des journées du patrimoine.
Sa nomination a été très contestée, notamment au ministère et au sein de la communauté scientifique. Illégitimité à prendre ce poste, "vision étriquée" de l'histoire...
Pour être honnête, je ne suis pas très au courant. Je ne vais pas sur les réseaux sociaux, je suis un peu un dinosaure de ce point de vue. J'ai effectivement entendu dire que certains critiquent. Ce sont des procès d'intention. Louis XIV disait : "Quand je fais une nomination, je fais cent mécontents et un ingrat". Bon, voilà, il y a beaucoup de mécontents.
"Je ne vais pas la fermer pour faire plaisir à mes détracteurs !"
Vous sentez aussi une réticence de la communauté scientifique à votre égard ?
Pas à l'encontre de mon émission, qui est très bien perçue. En revanche, à titre personnel, je fais toujours l'objet de critiques à cause de l'affaire Alésia. Mais je ne démordrai pas. J'ai la preuve de ce que j'avance et je suis sûr de ce que je dis. Je ne vais quand même pas la fermer pour leur faire plaisir. J'estime que c'est une vérité historique et toutes les vérités historiques sont bonnes à dire. Il va falloir qu'ils coupent les freins de la voiture pour me faire taire !
Revenons à "Au coeur de l'histoire", vous déclariez récemment que vous aviez le sentiment que l'émission fonctionne quand elle se concentre sur les grands sujets historiques.
Ah oui ! J'en ai la confirmation grâce aux chiffres des podcasts même si je sais que les auditeurs de podcasts ne sont pas forcément les mêmes que les auditeurs classiques. Mais, en l'occurrence, je pense que les chiffres montrent clairement que l'émission est plus écoutée lorsqu'elle traite de grands récits d'histoire que lorsqu'elle s'adapte trop à l'actualité. Je ne pense pas que nous soyons le bon créneau pour s'adapter à l'actualité. Ce n'est pas ce que les gens veulent.
Vous vous inscrivez dans la tradition historique du récit à la radio ?
Oui, assurément ! D'autant plus que nous sommes programmés à 14h. C'était pendant de nombreuses années l'heure de Pierre Bellemarre dans les années 1970. Il tenait la France en haleine !
Vous regrettez la raréfaction du récit à la radio ?
Pas sur Europe 1 puisque nous avons Christophe Hondelatte qui le fait également. C'est vrai qu'on en trouve moins ailleurs. Notamment moins de "dramatiques", pour des raisons de budget, hélas.
Quelles étaient vos références lorsque vous avez commencé à parler d'histoire à la radio ?
Alain Decaux et André Castelot, bien sûr. Quand je suis arrivé ici, j'allais les voir régulièrement pour leur demander des conseils. Ce sont vraiment mes modèles. Attention, je ne dis pas que je fais ça aussi bien qu'eux. Je m'inscris juste dans cette ligne-là. Vous savez, on a toujours un modèle dans nos métiers.
"Notre métier, c'est du spectacle"
Vous vous sentez en concurrence avec "La marche de l'histoire" ?
Non, pas du tout. Je vais vous faire un aveu. Mais attention, ce n'est pas du tout par ignorance ou mépris de ma part. Simplement, je n'ai jamais écouté "La marche de l'histoire". Il se trouve aussi que je ne connais pas Jean Lebrun. Nous n'avons pas de lien. Et moi, je ne travaille pas en accord avec mes confrères. En revanche, d'après mes équipes, il arrive souvent que nous ayons des thèmes ou des invités qui se rapprochent. C'est tout à fait normal. Les invités qui sont en capacité de parler d'histoire sur une généraliste ne sont pas bien nombreux. Je dis souvent que je préfère avoir un invité un peu moins spécialisé mais excellent orateur que l'inverse. C'est important, on fait de la radio avant tout ! Moi, avant de faire de l'histoire, je fais de la radio ! C'est une distinction importante. Les gens qui viennent faire uniquement de la radio, ça ne tient pas ! Notre métier, c'est du spectacle.
Un mot sur le Tour de France pour lequel vous êtes devenu consultant cet été ?
J'en tire une grande fierté. C'est quand même 110 heures de direct en trois semaines. Tout cela s'est fait en totale harmonie avec mes trois complices, Alexandre Pasteur, Marion Rousse et Laurent Jalabert. Nous ne nous sommes pas montés sur les pieds, ça s'est divinement bien passé.
Vous êtes prêt à le refaire l'année prochaine ?
Oh oui, je ne sais pas ce qu'il en sera mais si l'on veut de moi, j'en serai !