Pari osé ce soir pour "Capital". Pour la première fois, le magazine économique de M6 a décidé de s'attaquer à un sujet géopolitique : Daesh. Dans un reportage intitulé "Daesh, Etat islamique : D'où proviennent les milliards des barbares ?", le magazine présenté par François-Xavier Ménage s'intéressera au modèle économique de l'organisation terroriste la plus riche de l'histoire. Les téléspectateurs pourront notamment découvrir l'origine diverse de ses ressources estimées à près de 2.000 milliards de dollars. Ils s'aperceveront aussi qu'ils peuvent potentiellement consommer du "made in Daesh" sans le savoir. puremedias.com a décidé de poser quelques questions à François-Xavier Ménage sur la fabrication de ce documentaire évènementiel.
Propos recueillis par Benjamin Meffre
puremedias.com : Un tel sujet de géopolitique est une première pour "Capital". D'où vous est venue cette idée de vous intéresser à Daesh ?
François-Xavier Ménage : Ca a commencé avant les attentats de "Charlie Hebdo". Ca faisait déjà plusieurs semaines qu'on évoquait ça à la rédaction. Quand les attentats ont eu lieu, on s'est dit qu'il fallait qu'on apporte un angle différent de ce qu'on pouvait déjà voir dans les magazines d'information. On s'est dit qu'on connaissait bien la partie "terroriste" de Daesh mais moins la partie "entreprise". Alors, évidemment, ce n'est pas une entreprise comme les autres. Ce n'est pas une entreprise qui fabrique des bonbons. Mais on s'est dit qu'on allait appliquer les outils de "Capital" au traitement de Daesh. On va ainsi parler de leur fortune. Comment a-t-elle été acquise ? Comment prospère-t-elle ? On s'est dit qu'on allait ainsi apporter une valeur ajoutée par rapport à ce qui avait déjà été fait sur Daesh.
Avec aussi une attention particulière portée à la communication de cette organisation...
Oui, il y avait aussi chez nous cet intérêt pour toutes ces vidéos de propagande. On voulait comprendre pourquoi ils mettaient à ce point le paquet sur ces vidéos. Avec quels moyens ? On va surtout montrer ce qu'il y a derrière elles. Par exemple, quand Daesh détruit des oeuvres inestimables, c'est évidemment fait pour que le monde entier s'en émeuve. Et ensuite que se passe-t-il avec les autres oeuvres d'art ? Elles sont loin d'être toutes cassées et participent à un vaste système de contrebande. C'est ce qu'on montre avec une enquête de plus de quatre mois sur ce sujet précis par l'un de nos journalistes, Eric Declemy.
Un tel sujet, c'est aussi un moyen de surprendre le téléspectateur de "Capital" ?
Oui, bien sûr ! Ce n'est pas une thématique qu'on développe tous les 15 jours. Après, on le fait uniquement avec une lecture "Capital", avec des reporters de l'émission qui connaissent la machine par coeur et qui appliquent les mêmes méthodes. C'est à la fois suprenant avec un côté évènementiel. Mais dans le traitement, on fait purement et simplement du "Capital".
Concrètement, que va-t-on apprendre de nouveau sur Daesh ?
Premier point : c'est une entreprise qui est assise sur un trésor de guerre de peut-être 2.000 milliards de dollars. Ca, ça inclue tout le potentiel "pétrole". Deuxième info : on pensait que le pétrole représentait l'écrasante majorité des ressources de Daesh. C'est de moins en moins vrai puisque ce poste de ressources est maintenant concurrencé par les taxes et les extorsions qui prolifèrent à tout va chez Daesh. Un exemple : 50% de taxes sur les salaires de certains fonctionnaires à Mossoul en Irak. 50% ! On apprend aussi avec ce reportage qu'à notre corps défendant, quand on va faire le plein d'essence ou quand on va acheter un t-shirt à bas coût en France, on peut participer au financement de Daesh. Parce que ce t-shirt est fait avec du coton tissé en Turquie mais venant bien souvent des champs de coton syriens. Et pour le pétrole, Daesh vend des barils entre 18 et 23 dollars, c'est-à-dire près de trois fois moins chers que les autres. Ce pétrole quitte de manière illégale la Syrie ou l'Irak puis part dans des tuyaux qui arrivent en France.
Comment définiriez-vous l'économie de Daesh ? Economie de guerre ? De rapine ? Une économie se rapprochant de celle d'un Etat ?
Bonne question. Je trouve, moi, sans être un expert en géopolitique, qu'il se dégage un mélange d'amateurisme et de très bonne organisation. Par exemple, dans le pétrole, ils veulent dégager des rendements deux fois supérieurs à ce qu'il se passait dans les champs de pétrole avant qu'ils en prennent possession. Ils veulent du rendement et sont prêts, d'une certaine façon, à casser leurs outils de production pour ça. A côté de ça, c'est très bien organisé parce qu'ils connaissent très bien la filière. On se rend compte qu'il y a un organigramme avec des ministres, des personnes en charge du budget.... C'est une organisation ayant réussi à mettre en place un système parallèle.
En regardant le reportage, on se demande s'il ne prouvait pas au final que l'Etat islamique est bien un Etat avec une organisation politique, des ressources, des impôts et taxes, des frontières, une armée...
Ca pose la question en effet. Le quai d'Orsay aujourd'hui demande de ne pas parler d'Etat pour ne pas leur faire trop d'honneur. Dans les faits, qu'est-ce qu'il se passe ? On a en effet un territoire où vivent 10 millions d'habitants. On a des frontières plus fermées qu'ouvertes. Daesh est aussi en train de s'installer avec un système politique, économique. Mais après, ça ne se passe pas comme partout ailleurs dans le monde. Juste un exemple. Sur les infrastructures, elles sont en train de péricliter. On nous dit qu'aucune attention n'est portée aux routes par exemple. Pourquoi ? Parce que ça pourrait devenir des cibles pour la coalition. Donc Daesh ne met pas d'argent dedans. On se rend donc compte qu'on a un schéma qui pourrait ressembler à celui d'un Etat normal mais aussi que plusieurs éléments remettent en cause cette idée.
C'est un des éléments marquants du reportage. Tout comme le rôle ambigu de la Turquie...
Il y a un embargo sur les armes, les flux financiers et le pétrole en provenance de Daesh. Théoriquement du moins. Pour le reste, et c'est une autre subtilité du reportage, les marchandises transitent. Pourquoi ? Parce qu'on a dix millions de personnes civiles qu'il faut continuer à nourrir. Et la communauté internationale n'a pas envie qu'on bloque tout le transport d'alimentation.
La préparation de ce reportage vous a-t-elle rappelé votre passé de reporter sur BFMTV ?
Un petit peu. Bien sûr, ça résonne à plus d'un titre quand je me retrouve à présenter ce reportage-là. Ca me rappelle plusieurs belles années sur le terrain.
Après près d'une saison à la tête de "Capital", quel bilan faites-vous ?
Très enrichissant. Avec cette idée que c'est un magazine qui a plus que jamais une expertise et qui colle vraiment à son temps. Je ne dis pas ça comme un élément de langage. C'est un très bel outil avec une équipe qui sait vraiment enquêter et se donne le temps et les moyens de le faire. Ca, c'est précieux.
On vous retrouve aux commandes du magazine la saison prochaine ?
Voilà, on remet le couvert avec joie ! Et cet été, les vacances vont être courtes puisque je fais le joker du "19.45" pendant plusieurs semaines.
Un été studieux donc...
Oui un peu... Mais je ne suis pas à plaindre. C'est un boulot tellement passsionnant que c'est dur de se plaindre.
"Daesh, Etat islamique : D'où proviennent les milliards des barbares ?"
Dimanche à 20h55 sur M6