C'est une charge en règle contre les médias qu'a menée aujourd'hui Daniel Schneidermann dans Libération. Le 13 juillet dernier, l'éditorialiste fondateur de "Arrêt sur images" s'en est ainsi pris dans un texte intitulé "Le canapé de Sdérot" à la couverture des actuels évènements en Israël et à Gaza par les télévisions françaises. Il a notamment dénoncé le formatage des reportages sur le sujet.
"En tenir un. Un seul, une fois. Un de ces rédacteurs de la grande machine qui amorcent leurs sujets quotidiens du 20 Heures sur le Proche-Orient par les roquettes menaçant les villes israéliennes. Qui donnent la parole aux enfants israéliens, aux passants israéliens, aux mères israéliennes dont les enfants sont menacés. Et poursuivent et concluent la synthèse quotidienne par quelques plans, filmés de loin, sur les décombres de Gaza, en livrant mécaniquement le bilan des victimes palestiniennes, 20, 30, 50. Dans cet ordre (l'acte de guerre du Hamas précédant systématiquement l'acte de guerre d'Israël)" écrit le journaliste.
Et ce dernier de railler une objectivité des médias qu'il semble considérer comme factice : "Cet ordre qui, plus efficacement qu'un éditorial - surtout ne pas prendre parti, on est neutres, à la télé -, dit au téléspectateur : ce sont les Palestiniens qui ont commencé, et les Israéliens ne mènent que des 'représailles'. Seule nous importe cette chronologie, plus déterminante dans la hiérarchie que nous édictons que le nombre respectif des victimes" a-t-il ainsi critiqué.
Selon Daniel Schneidermann, il existerait ainsi une inégalité de traitement inconsciente des médias français selon qu'ils évoquent les Israéliens ou les Palestiniens, inégalité perceptible selon lui jusque dans les mots différents employés pour décrire une même réalité. "Pourquoi le kidnappé israélien abattu par ses ravisseurs est un 'adolescent', et le bombardé palestinien un 'mineur'. Pourquoi les Israéliens qui se terrent dans les abris sont des 'personnes', et les Gazaouis bombardés des 'victimes civiles'. Pourquoi l'Israélien parle, témoigne, et le Palestinien hurle toujours, sa colère ou sa douleur" s'interroge ainsi Daniel Schneidermann.
Et d'ajouter : "Pourquoi l'Israélien se contemple de près, pourquoi on peut voir son intérieur, son jardin, visiter son abri antiroquettes douillettement décoré du drapeau israélien, pourquoi on est si près de sa peau, de ses rides, de sa peur. Alors que le Palestinien n'est qu'un chiffre qui crame sous les décombres. Qui se confond avec les décombres. Qui n'est plus que décombres, filmés de loin".
A la fin de son éditorial, le fondateur d'"Arrêt sur images" s'imagine enfin en train de retrouver l'un de ces journalistes couvrant le Proche-Orient. "En tenir un. Lui demander : mais pourquoi commencez-vous toujours par les roquettes palestiniennes, et pourquoi ne mentionnez-vous les bombardements israéliens qu'ensuite ? Pourquoi cet ordre ? Ecouter toutes ses réponses (c'est parce qu'on a des images des Israéliens sous les roquettes, et pas d'images de Palestiniens sous les bombes ; c'est parce qu'il est plus facile d'aller tourner en Israël qu'à Gaza ; c'est parce qu'il nous faut des francophones, et qu'il y a davantage d'Israéliens que de Palestiniens qui parlent français)" décrypte Daniel Schneidermann.
Et le journaliste de donner sa propre explication à ce comportement des médias français : "Regarder toutes ces justifications s'autodissoudre les unes après les autres, pour laisser à nu la seule réponse possible : c'est parce qu'on a toujours fait comme ça, et on fait comme ça parce que tous nos confrères sur place vivent à Jérusalem ou à Tel-Aviv, en tout cas pas en Palestine, et que nous sommes donc culturellement, économiquement, affectivement, intégrés à la société israélienne, et pas à la société palestinienne, même si c'est largement à notre insu, comme d'habitude".