Mélange des genres. "Mediapart" publie aujourd'hui la retranscription de plusieurs échanges téléphoniques privés entre Brice Hortefeux et Jean-Pierre Elkabbach. Datant de 2013, ces conversations ont été enregistrées et archivées par la justice française dans le cadre de l'enquête sur le financement libyen présumé de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, en 2007.
Enregistrés à la veille d'une interview dans la matinale d'Europe 1, les échanges entre l'ex-ministre de l'Intérieur de François Fillon et celui qui est à l'époque l'intervieweur vedette de la station du groupe Lagardère, laissent apparaître leur proximité. "Dans une incroyable symbiose, les deux hommes précisent ensemble au mot près certains moments clés de l'entretien à venir. On surprend non seulement l'intervieweur confier les questions à son futur invité mais aussi lui donner le verbatim des réponses qu'il attend", s'étonne ainsi "Mediapart" dans son article.
Tel un conseiller en communication, Jean-Pierre Elkabbach indique à Brice Hortefeux d'éventuels éléments de langage à utiliser le lendemain à l'antenne, non sans lui annoncer à l'avance quelles questions lui seront ou non posées lors de l'interview. "Je crois que je ne te poserais pas de questions sur le Mali. Je m'en fous, sauf si tu dis : 'Il faut que la France se retire... le plus vite possible.' Bon mais là tu prends des risques d'insécurité, tu vois ?", glisse par exemple le journaliste à Brice Hortefeux. "Il (Pierre Moscovici, alors ministre de l'économie, ndlr) est sur tous les plateaux pour parler de son livre, il ferait mieux de surveiller Bercy. Tu peux envoyer une vacherie, là", indique Jean-Pierre Elkabbach à un autre moment de la conversation, soufflant ensuite plusieurs projets de réponses à Brice Hortefeux, dans une forme de co-construction de l'interview du lendemain.
Contacté par "Mediapart" sur ces échanges, Jean-Pierre Elkabbach, souffrant et en retrait de l'antenne de CNews depuis novembre, souligne que Brice Hortefeux "a une peur terrible de la presse". "Il y avait des discussions entre nous pour le convaincre de donner une interview à Europe 1, parce qu'il y a une grande concurrence des matinales. Je l'ai peut-être aidé à formuler ce qu'il voulait dire. Ce n'est pas un grand improvisateur. Souvent, il lit ses notes et c'est incompréhensible", a commenté le journaliste, reconnaissant que ces retranscriptions pouvaient laisser croire à l'existence d'une connivence entre lui et l'ex-ministre sarkozyste. "La connaissance (d'un journaliste, ndlr) n'est pas la complaisance. Au contraire, c'est l'exigence. Quand on ne prépare pas, il y a de la langue de bois", a pour sa part fait valoir Brice Hortefeux, également joint par le site d'information.
Alors que la divulgation d'échanges privés entre un politique et un journaliste pourrait lui être reprochée, "Mediapart" a expliqué vouloir nourrir avec cette publication "le nécessaire débat d'intérêt public sur la déontologie du journalisme". "La question de la sincérité de l'information est un sujet d'intérêt général, tant la défiance croissante du public envers le journalisme atteint le crédit de la démocratie elle-même", estime aussi le site d'Edwy Plenel.
Et de citer la charte de Munich de 1971 qui recommande aux journalistes de "ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste". Un journaliste "évitera – ou mettra fin à – toute situation pouvant le conduire à un conflit d'intérêts dans l'exercice de son métier" et "ne prendra à l'égard d'aucun interlocuteur un engagement susceptible de mettre son indépendance en danger", souligne le site d'information, citant cette fois la charte de Tunis de 2019.