Le fondateur du Front national et longtemps première voix de l'extrême-droite en France, Jean-Marie-Le Pen, est mort ce mardi 7 janvier 2025. Voix contestée pendant plus d'un demi-siècle de vie politique – il a été condamné à plusieurs reprises par la justice pour ses innombrables déclarations polémiques voire douteuses – le père de Marine Le Pen, à qui il a transmis la présidence du parti en 2011 avant d'en être exclu en 2015, était âgé de 96 ans.
Cet ancien parachutiste en Indochine (1946-1954) et en Algérie (1954-1962) et proche de l'Action française débute sa carrière politique dans le sillage de Pierre Poujade. Le créateur de l'Union de défense des artisans et commerçants (UDCA) se prétend à l'époque, rappelle "Le Figaro", défenseur des "petits" humiliés par les "gros" et des travailleurs indépendants menacés par les mutations de l'économie. Jean-Marie Le Pen se présente sous les couleurs de son mouvement et est élu le 2 janvier 1956 député de la Seine. Celui-ci englobe à l'époque les six arrondissements de la rive gauche de la capitale. À 27 ans, il devient ainsi le plus jeune député de France.
Au palais Bourbon, le Menhir façonne son cercle. Il revendique sa proximité avec l'Organisation de l'armée secrète (OAS) et son avocat, Jean-Louis Tixier-Vignancour, dont il dirige la campagne présidentielle en 1965. Sans grand succès (5,2% des voix). Qu'importe, l'ancien sous-lieutenant poursuit son implantation dans le paysage politique et fonde avec les nostalgiques de l'Algérie française, le coeur de son électorat, le Front national, en 1972. Les premières échéances électorales sont peu fructueuses mais ses idées émergent peu à peu à partir des années 1980.
Deux ans après l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand, Dreux, commune de l'Eure-et-Loir, tombe en effet dans l'escarcelle du Front national, à la faveur d'une alliance inédite entre le Rassemblement pour la République (RPR) et le parti d'extrême droite. Jean-Pierre Stirbois, numéro deux du FN à l'époque, est élu maire. Déjà cette année-là, le lien de cause à effet entre explosion du chômage et immigration est établi par l'artisan de cette victoire.
Ce bon résultat en appelle d'autres. En 1984, le Front national obtient près de 11% des voix aux élections européennes. En 1986, l'instauration de la proportionnelle intégrale par le gouvernement socialiste de Laurent Fabius profite au parti d'extrême-droite. Avec 9,6% des suffrages, il forme désormais un groupe de 35 députés à l'Assemblée nationale. "On attend des députés au crâne rasé. On va découvrir des élus réfléchis et résolus. On attend des baroudeurs. On va voir un groupe responsable qui n'a rien d'une bande d'exaltés", confiait Jean-Marie Le Pen, au "Point", en mars 1986.
Si elle s'arrête net en 1988 avec le retour du scrutin majoritaire, cette percée électorale ouvre la porte des émissions politiques à Jean-Marie Le Pen. Une interview est restée particulièrement célèbre tant elle a fait scandale. Nous sommes en 1987. Invité du "Grand jury RTL - 'Le Monde'", le président du FN fait état publiquement de son négationnisme, de ses doutes quant à l'existence des chambres à gaz et donc, l'extermination par ce moyen de 6 millions de Juifs. "Je ne dis pas que les chambres à gaz n'ont pas existé, je n'ai pas pu moi-même en voir (...) mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la deuxième guerre mondiale", avait-il ainsi relativisé, provoquant l'indignation de la classe politique.
La justice le condamne en 1991 à 1,2 million de francs d'amende pour avoir banalisé les persécutions nazies. "Les chambres à gaz sont un détail de la deuxième guerre mondiale", récidive-t-il à Munich en septembre 1997. Le tribunal de Nanterre l'a là aussi condamné à verser jusqu'à 750 euros à 11 associations. Ses provocations et ses sorties polémiques dans les médias sont la marque de fabrique de Jean-Marie Le Pen. Un jour de septembre 1988, il s'en prend à Michel Durafour, ministre de la Fonction publique et des Réformes territoriales de l'époque, le surnommant "Monsieur Durafour crématoire".
Privé d'espace politique, Jean-Marie Le Pen est lâché par de nombreux déçus. Pour certains, ses saillies ne passent plus. "La période voit aussi le décès accidentel de Jean-Pierre Stirbois, secrétaire général du FN. Disparition qui facilite l'émergence d'un autre responsable frontiste : Bruno Mégret, nouveau numéro 2 du mouvement", rappelle "Libération". Mais lorsque Jean-Marie Le Pen, déclaré inéligible par la justice, lui préfère Jany, sa femme, pour être tête de liste aux européennes de 1999, Bruno Mégret claque lui aussi la porte pour créer le Mouvement national républicain (MNR). Et il ne part pas seul.
Malgré cette scission, Jean-Marie Le Pen parvient à la surprise générale, un certain 21 avril 2002, à accéder au second tour de la présidentielle. Le premier tour a été marqué par une forte abstention et une multitude de candidatures à gauche de l'échiquier politique. "Je vois le fameux écran et alors, évidemment, c'est un immense cri de joie. Des gens ont été étonnés que, à l'annonce des résultats, je ne fasse pas 'youpi'. Ce n'est pas dans mon rôle", confiait Jean-Marie Le Pen à "L'Express" en 2016. "Je suis plus content pour eux (ses proches, ndlr) que pour moi, qui vais devoir affronter des responsabilités écrasantes. Ce n'est pas un match de foot que je gagne, ni même un match de boxe où tout s'arrête à la fin. Le problème, pour moi, c'est que si je gagne, ça commence. Avec une série de difficultés immenses."
Très vite, la riposte s'organise. Jacques Chirac, arrivé en tête des suffrages au soir du premier tour, prononce son discours, la mine grave. Des manifestations monstres contre la présence du FN au second tour rassemblent près de 1,5 million de personnes dans les rues de France. Jean-Marie Le Pen réunit, lui, environ 10.000 militants lors du traditionnel défilé en hommage à Jeanne d'Arc.
Battu très largement par Jacques Chirac au second tour le 5 mai 2002, Jean-Marie Le Pen se lance dans une cinquième et ultime candidature lors de la présidentielle de 2007, à laquelle il termine quatrième, derrière Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou, avec 3.834.530 voix et 10,44 % des suffrages. Il lâche la présidence du Front national en 2011 et lègue le parti à sa fille, Marine Le Pen, future représentante du "camp national" à l'élection présidentielle de 2012.
L'ombre du président d'honneur plane toujours à Nanterre, au siège du parti. Il ne se cache pas pour critiquer la politique de "dédiabolidation" du Front national menée par sa fille et son bras droit Florian Philippot. En 2021 encore, Jean-Marie Le Pen estimait que "le virage stratégique réalisé par Marine Le Pen depuis 2015, et en particulier depuis (son) exclusion, a lancé une campagne dite de dédiabolisation qui montre ses limites, parfois son échec."
2015 marque en effet la fin d'une ère au Front national avec l'exclusion de Jean-Marie Le Pen du FN. Le 1er mai, le patriarche du manoir de Montretout, alors en guerre ouverte avec celle qui lui a succédé, s'invite, le poing levé à la tribune, en préambule du discours de sa fille à Paris, qui se maintient à bonne distance. Le 20 août, la direction lui reproche d'avoir multiplié les provocations et fragilisé ainsi la ligne et la stratégie du parti. Il est exclu mais conserve néanmoins son titre honorifique de président d'honneur jusqu'en 2018. Il quitte son mandat de député européen ainsi que la vie politique active en 2019, après 34 ans passés au Parlement européen et 63 ans après sa première élection comme député.