Un cas de figure inédit. "Le Monde" annonce ce jour son intention de déposer un recours après les deux refus successifs auxquels s'est heurté le quotidien après avoir demandé l'accès à des "documents d'intérêt public" concernant LNE/G-MED, l'une des 58 sociétés commerciales européennes habilitées à contrôler les dispositifs médicaux (défibrillateurs, pompes à insuline, prothèses de hanche...). Cette demande s'inscrivait dans le cadre des "Implant Files", une vaste enquête internationale menée en collaboration avec le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) au sujet des implants, ces dispositifs médicaux qui se révèlent être beaucoup moins contrôlés par les autorités sanitaires que les médicaments.
Après avoir essuyé un refus de l'organisme en question au printemps dernier, les journalistes s'étaient tournés vers la CADA (Commission d'accès aux documents administratifs) que tout citoyen est en droit de saisir pour demander l'accès à des documents. Las, la CADA a refusé elle aussi de transmettre les documents en s'appuyant sur la décriée loi sur le secret des affaires, applicable en France depuis juillet 2018. Pour l'instance, leur communication "serait susceptible de porter atteinte au secret des affaires".
"Le Monde" estimait sa demande d'autant plus justifiée que LNE/G-MED est le seul organisme certificateur de France et un établissement public à caractère industriel et commercial rattaché au ministère en charge de l'industrie. Contestant le motif invoqué par la CADA, le quotidien du soir a décidé de porter l'affaire devant la justice, plus précisément devant le tribunal administratif de Paris, où il sera représenté par Me Patrice Spinosi. Le journal souhaite faire une demande de référé afin que le juge puisse se prononcer dans un délai de trois semaines maximum.
"Nous sommes face à une autorité publique qui refuse de communiquer certaines données sans fournir de justification, alors qu'elles présentent un intérêt évident pour la santé publique", déplore l'avocat. "Le Monde" souligne d'ailleurs que la loi sur le secret des affaires est censée garantir la liberté d'informer et ne doit pas être invoquée s'agissant du "respect de la liberté de la presse et de "la liberté d'information telle que proclamée dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne".
Pour Luc Bronner, directeur de la rédaction du "Monde", les refus essuyés marquent "surtout un signal, malheureusement prévisible mais extrêmement négatif, sur les effets de cette disposition : la loi sur le secret des affaires contribue à renforcer l'opacité dans une société démocratique".
A l'époque où elle était débattue devant le Parlement, la loi sur le secret des affaires, transposition d'une directive européenne, avait mobilisé les journalistes, qui craignaient une restriction de la liberté d'information. Nicole Belloubet, ministre de la Justice, s'était voulue rassurante, expliquant qu'elle ne constituait "pas un recul pour les libertés publiques" mais qu'elle visait à "protéger les entreprises contre le pillage d'innovations, lutter contre la concurrence déloyale, encourager la recherche et développement". "Le Monde" rappelle d'ailleurs que l'accès aux documents demandés ne constituerait pas une divulgation de données confidentielles aux concurrents de LNE/G-MED alors que l'organisme "se contente de certifier des dispositifs médicaux".