Les déclinistes en seront pour leurs frais. Invité hier de l'Association des journalistes média (AJM), Nicolas Brimo, directeur de la publication du "Canard enchaîné", un journal pour lequel il travaille depuis les années 1970, a estimé que la presse française était aujourd'hui de meilleure qualité que par le passé. Alors qu'on la dit fragilisée par la révolution numérique, elle sortirait même plus de scoops qu'auparavant, selon ce spécialiste de la question.
"La presse sort un peu plus d'infos qu'il y a 20 ans car elle est moins idéologique. La coupure droite-gauche jouait un rôle bien plus important par le passé", a ainsi estimé Nicolas Brimo, selon lequel le "niveau de la presse française a beaucoup progressé par rapport à ce qu'elle a été". "Il faut voir ce qu'était la presse sous De Gaulle ! A la notable exception du 'Monde' qui faisait de l'information, les journaux étaient des journaux d'éditoriaux", a-t-il rappelé, saluant la montée en compétences de la plupart des grands titres de presse français, des "Echos" au "Point".
"Tant mieux pour la presse et tant mieux pour nous car cela nous oblige à être d'un niveau plus élevé", a-t-il commenté ensuite, soulignant que "'Le canard enchaîné' n'était lui-même "pas d'un très haut niveau dans les années 1960". Et de rappeler : "Il avait trouvé une clientèle anti-gaulliste mais c'était plus un journal idéologique. Il prendra le virage de l'information 'sérieuse' dans les années 1970".
Depuis 2017, année fructueuse marquée par la présidentielle et la révélation par le "Canard" de l'affaire Fillon, les ventes du titre de presse aux quarante journalistes se tassent, avec une diffusion passée de près de 400.000 à 320.000 exemplaires en 2019. Les résultats financiers du palmipède suivent la même tendance, avec un chiffre d'affaires ayant baissé de 24,9 à 20,7 millions d'euros entre 2017 et 2019. La faute notamment selon Nicolas Brimo aux responsables politiques "falots" d'aujourd'hui. "La classe politique est beaucoup moins intéressante du point de vue journalistique", a-t-il souligné, évoquant avec nostalgie l'époque des "bons clients" qu'étaient Charles Pasqua, Philippe Séguin ou Jacques Chaban-Delmas.
A cette difficulté journalistique s'ajoute une conjecture économique des plus moroses, entre crise sanitaire et crise de la distribution de la presse. L'effondrement de Presstalis a ainsi coûté 2,8 millions d'euros en deux ans au "Canard enchaîné", entraînant les comptes du palmipède dans le rouge pour la première fois de son histoire en 2019. "Nous tablons sur le retour de la rentabilité en 2021", veut cependant croire le directeur de la publication, mettant aussitôt en garde concernant les multiples difficultés du marché de la presse. "Il y a une crise de la distribution, une crise commerciale avec des jeunes qui achètent de moins en moins les journaux, une crise Covid, et il y a une crise des imprimeries qui va nous arriver dessus", a-t-il tenu à alerter.
Pour y faire face, "Le canard enchaîné" a pour la première fois depuis 1991 augmenté son prix de 25%, passant ainsi début février de 1,20 à 1,50 euros. Rompant avec sa position historique, il permet aussi désormais de lire ses exemplaires sur internet et non plus seulement en version papier. Une véritable révolution pour le palmipède qui ne devrait cependant pas déboucher sur la création d'un site d'information en bonne et due forme, faute de modèle économique identifié par la direction du journal.