Associés dans des chaînes de télévision (TF6, Série Club), dans des offres sur le marché publicitaire (M+) ou encore dans l'Association des chaînes privées, les groupes TF1, M6 et Canal+ sont aussi, bien sûr, concurrents. Mais la compétition va s'intensifier dans les prochains mois, avec l'investissement massif de Canal+ dans la télévision gratuite.
En effet, la filiale de Vivendi a annoncé l'acquisition de Direct 8 et Direct Star (environ 3,5% de parts de marché cumulées) et le développement de son projet de chaîne généraliste gratuite Canal 20 qu'elle soumettra au CSA dans les prochaines semaines en vue d'un appel à candidatures concernant six chaînes gratuites lancées dans moins d'un an.
Pour TF1 et M6, la menace est grande. Alors que ces deux groupes ont capté deux tiers des investissements publicitaires en 2009, ils vont voir arriver sur leur terrain de jeu un nouvel acteur de poids. Rappelons que Canal+, au premier semestre, a réalisé 2,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires, contre 1,3 millard pour TF1 et 720 millions pour M6. La chaîne cryptée dispose d'un important catalogue de droits et d'une puissance de frappe bien supérieure.
Réunis à Dijon pour les rencontres cinématographiques, les patrons de TF1 et M6 n'ont pas manqué de tirer à boulet rouge sur leur futur adversaire, rapportent Le Figaro et Le Point. D'abord, sur les raisons avancées par Canal+ pour investir le marché de la télévision gratuite. Rodolphe Belmer, le numéro deux de la chaîne cryptée, a ainsi expliqué vouloir faire face à "l'intensité concurrentielle croissante sur le marché de la télévision en produisant des contenus de classe mondiale. Quand les chaînes classiques payent 700.000 euros de l'heure une série, Canal + met 1 million mais les Américains 3 millions de dollars. Nous voulons mettre plus d'argent dans des programmes. La ménagère de moins de cinquante ans ne nous intéresse pas", faisant ici référence à la cible tant convoitée par TF1 et M6 pour vendre leurs espaces publicitaires. Le patron de Canal+ redoute de surcroît l'arrivée dans le PAF de géants mondiaux capables de désintermedier une industrie, comme Netflix et Google. "L'ampleur de cette opération est réduite et nos intentions en télévision gratuite modestes. C'est surtout Direct 8 qui reste une petite chaîne qui nous intéresse", a-t-il ajouté.
"C'est un merveilleux roman qui vient de nous être conté", a ironisé Nicolas de Tavernost. "Il serait étonnant que les managers de Canal+ mettent sur la table 475 millions d'euros - le prix payé pour les deux chaînes du groupe Bolloré - pour se contenter de réaliser une petite affaire", a-t-il ajouté. Le patron de M6 a ensuite rappelé à son homologue qu'il avait co-produit avec Canal+ "XIII", une série internationale et que, depuis, Canal+ refuse de réitérer de telles opérations. De surcroît, Canal+ refuse de revendre les droits en clair de certaines de ses séries à M6, comme "H". Rodolphe Belmer a répliqué en rappelant la volonté de Canal+ concernant l'exploitation de ses "créations originales" : un contrôle total, de la direction artistique du projet à l'exploitation en clair, en passant par le payant. "Je ne peux pas me permettre, au moment où je lancerai la saison 2 de Borgia, qu'une autre chaîne puisse dire : "Coucou, nous aussi on a Borgia, la saison 1 !"", a-t-il expliqué.
"Bienvenue au club de la télévision gratuite !", a adressé non sans ironie Nonce Paolini à Rodolphe Belmer. "Vous verrez, c'est autre chose que d'être en position de monopole sur la télévision payante avec des abonnés qui ont beaucoup de mal à se désengager même quand ils le veulent", a ajouté le PDG de TF1, avant de critiquer une nouvelle fois le recours à la violence et au sexe dans les "créations originales" de Canal+. "S'il s'agit, pour diffuser ("Les Borgia" sur une chaîne gratuite), d'ôter les séquences qui en font le charme, vous risquez de vous apercevoir que les fesses des nonnes intéressent plus que la vie du pape", a-t-il objecté à son homologue.
Rémy Pflimlin, le patron de France Télévisions, a été plus mesuré, se disant simplement inquiet de l'incursion de Canal+ dans le gratuit qui "pourrait profiter de sa place dans le payant pour limiter l'accès des chaînes de France Télévisions aux films comme au sport".