Semaine décisive pour LCI. La chaîne info du groupe TF1 s'apprête à vivre son baptême du feu en clair pour les soirées de résultats de la présidentielle. Thierry Thuillier a accepté de présenter à puremedias.com le dispositif antenne et digital imaginé pour les soirées du 23 avril et du 7 mai prochain. L'occasion de revenir avec l'ancien patron de l'information de France Télévisions sur le premier anniversaire de LCI en clair.
Propos recueillis par Benjamin Meffre.
puremedias.com : Comment LCI compte-t-elle se distinguer des autres chaînes lors des soirées présidentielles ?
Thierry Thuillier : Les soirées présidentielles, c'est comme le patinage artistique : il y a les figures imposées et les figures libres (rires). En matière de figures imposées, nous organiserons une soirée spéciale entre 18h et 1h du matin, animée par nos deux présentateurs des soirées des primaires : Audrey Crespo-Mara et Julien Arnaud et notre chef du service politique Adrien Gindre. L'objectif est d'être présent sur tous les points chauds politiques, notamment en régions. Nous aurons également des invités politiques et serons épaulés par les éditorialistes qui nous ont rejoints cette année, comme Natacha Polony, Geoffroy Lejeune ou Renaud Dely mais aussi Arlette Chabot. Nous aurons donc un dispositif très solide nous permettant de donner en temps réel les résultats, les analyses et de se projeter vers le deuxième tour de l'élection présidentielle.
Quelles seront vos "figures libres" alors ?
Le dispositif antenne commencera dès 7h du matin, avec une antenne en direct toute la journée, contrairement à ce que nous faisons d'habitude le dimanche. Après la soirée présidentielle à proprement parler, nous continuerons de traiter l'évènement pendant toute la nuit. Damien Givelet et Julie Hammett animeront ainsi une tranche allant de 1h à 5h du matin. Nous enchaînerons ensuite avec une matinale avancée à 5h du matin. Au final, notre dispositif durera donc plus de 24 heures non-stop.
Quid du dispositif digital ?
Il y aura plusieurs choses. Il y aura tout d'abord le live de la soirée, une figure imposée. Mais nous avons aussi choisi d'accélérer sur les réseaux sociaux, en passant notamment un partenariat avec Facebook. A l'occasion de la soirée présidentielle, nous allons ainsi inaugurer un studio Facebook grâce auquel nous allons animer des soirées spécifiques en live. Par exemple, à l'occasion de la soirée présidentielle, les intervenants de LCI et de TF1 seront invités à prolonger la soirée dans notre studio Facebook. Nous allons aussi faire régulièrement le point à l'antenne sur ce qui se passe sur les réseaux sociaux.
Pourquoi faites-vous ce pari du Facebook Live, un support qui ne rapporte pas d'argent pour l'instant ?
La collaboration avec Facebook est prometteuse. Aujourd'hui, s'engager sur Facebook Live ne coûte pas d'argent à LCI. A terme, d'ici deux à trois ans, émergera sans doute un modèle de monétisation de ces contenus vidéo, avec de la publicité ou pas. La question est de savoir comment Facebook va se positionner sur ce sujet. Les discussions sont déjà en cours au plus haut niveau entre les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple, ndlr) et les éditeurs du monde entier. Il est important de se positionner dès maintenant sur ces supports.
Si on résume, l'idée est de dire : "Ca ne nous coûte pas d'argent et ça permet de faire grossir notre audience sur les réseaux sociaux" ?
Nous voulons en effet d'abord toucher l'audience des réseaux sociaux, de Facebook, Instagram mais aussi de YouTube, plus jeune que celle du linéaire. Sur YouTube par exemple, on inaugure depuis une semaine une collaboration avec la chaîne YouTube LCI. Nous allons notamment mobiliser certains de nos journalistes, dimanche, pour qu'ils produisent du contenu YouTube, notamment sur les coulisses.
Avez-vous en tête de ramener ces nouveaux publics vers le linéaire un jour ou pas ?
Certains considèrent qu'on ne rattrapera plus ces millennials qui consommeront définitivement les contenus audiovisuels de manière différente de leurs aînés. D'autres pensent que ces jeunes vont vieillir et revenir finalement vers la télévision. Nous, en tout cas, en tant qu'éditeur, on doit couvrir le spectre entier et ne plus avoir en permanence le réflexe "antenne first". Oui, c'est important l'antenne. Oui, le modèle économique sur le digital n'est pas encore trouvé. Mais je ne vois pas comment on peut se passer de cette brique digitale quand on veut être une marque d'information qui s'adresse à tout le monde. Ca me paraît impossible !
Voulez-vous importer ces nouvelles écritures du web sur l'antenne linéaire ?
Oui, nous avons d'ailleurs déjà commencé à le faire avec Hugo Travers. Nous en sommes très contents. Les résultats d'audience sont bons, même en linéaire. En réalité, le montage très "cut", très "clipé", n'effraie pas le public. Idem pour le "Live présidentiel" que nous avons lancé avec Christophe Jakubyszyn chaque dimanche. Nous diffusons ainsi sur l'antenne des modules conçus pour le digital. Nous considérons qu'il faut "ranger" ces nouveaux contenus sur l'antenne, avoir un conducteur. Nous ne les mettons pas n'importe où ni n'importe comment. Nous les intégrons dans un format d'antenne. Je pense que nous irons encore plus loin dans ce domaine la saison prochaine. Je suis intimement persuadé que l'intégration des codes du digital sur l'antenne est possible.
L'audience de LCI a quasiment quadruplé en un an. Pensez-vous pouvoir atteindre le point d'audience et l'équilibre dès 2018 ?
Concernant l'équilibre, l'objectif est fixé à fin 2019. Je garde pour l'instant cet horizon défini par mes prédécesseurs, du fait de l'état incertain du marché publicitaire. Sur les audiences, mon objectif est d'atteindre le point d'audience au cours du deuxième semestre de 2018. Nous sommes actuellement à 0,6-0,7% de part d'audience. Sur la saison en cours, nous avons bénéficié de l'effet d'entraînement de la présidentielle mais aussi de la crise à iTELE. Cette dernière nous a permis d'attirer un nouveau public que nous sommes parvenus à conserver. Je suis résolument optimiste sur cet objectif d'audience.
Tout dépendra ensuite de notre capacité à améliorer encore notre antenne. Il reste à cet égard encore énormément de choses à faire. Il faudra avoir des incarnations fortes, crédibles, qui soient à la fois dans l'ADN du groupe TF1 mais également capables de sortir du rythme d'une chaîne info classique. La synthèse de cela, c'est bien sûr Yves Calvi, qui apporte énormément à la chaîne. Avec lui, nous avons construit un format long et sans JT qu'on ne retrouve pas sur les autres chaînes info. Je pense que c'est pour nous une piste importante de développement. Si nous voulons singer ce qu'il y a ailleurs, nous n'y arriverons pas car nous sommes les derniers arrivés, sur un canal 26 peu favorable. Il faut donc créer une singularité pour attirer le public.
L'un de vos chantiers prioritaires sera-t-il la matinale ?
Je parlerais plutôt des matinées, le 6h-midi. Je ne distingue pas la matinale des programmes qui suivent. Pour des raisons économiques, les chaînes généralistes se sont peu à peu désinvesties des matinées. Il y a donc aujourd'hui un potentiel d'audience à saisir ! Nous devons progresser encore même si, à l'image de l'interview d'Audrey Crespo-Mara, nous arrivons parfois à des pics de téléspectateurs sur cette tranche.
Les incarnations vont-elles justement rester les mêmes la saison prochaine ?
Je ne fais pas de cela un sujet de personnes mais plutôt de proposition. La question est : "A quoi doit ressembler la matinale de LCI dans un paysage où il existe plus d'une dizaine de programmes concurrents, radios comprises ?". Honnêtement, aujourd'hui, nous avons bâti des matinées qui progressent grâce au travail des équipes et des présentateurs. Le bilan est donc très positif. Mais si nous voulons passer un cap, il faut avant tout nous interroger sur notre mécanique et nous demander ce qui nous singularise. L'incarnation compte. Mais le matin, c'est aussi l'ambiance, la circulation de la parole etc. De manière générale, je me demande toujours : "Qu'est-ce que l'on fait de plus que les autres n'ont pas ?".
Pensez-vous qu'il y a désormais un réflexe LCI chez les téléspectateurs ?
Oui, on le constate sur le contenu politique. Lorsque nous sommes en frontal, on voit bien que nous sommes considérés comme une alternative à BFM. Je dis ça très modestement compte tenu du chemin qui reste à tracer. Le tempo politique a manifestement donné cette crédibilité, cette légitimité à LCI. Depuis janvier, nous avons fait le choix du 100% politique. Nous voulions donner la couverture la plus complète de cette présidentielle qui est, à de nombreux égards, totalement inédite. Au bout d'un moment, cela se voit ! Lorsque nous sommes les seuls à retransmettre des meetings de candidats lors du week-end de Pâques, je pense que cela envoie un signal au public. Nous espérons recueillir les fruits de ce travail dans les semaines et les années qui viennent.
Craignez-vous la nouvelle grille de CNews ?
Ce que je peux vous dire, c'est que nous sommes dans la course. Je ne parle pas de BFMTV qui a l'antériorité dans son format puisque d'une certaine manière, CNews est une nouvelle télé, tout comme LCI et franceinfo. Pour notre part, nous cumulons un certain nombre d'obstacles. Sans revenir sur la numérotation reculée, nous avons aussi moins de moyens financiers et l'interdiction de faire de la promotion croisée, contrairement à franceinfo qui l'utilise à la télé et à la radio. J'ajouterai que notre convention ne nous permet pas non plus de changer notre grille comme CNews vient de le faire par exemple. Malgré tout cela, nous sommes dans la course et je pense que nous avons des arguments pour faire mieux que CNews. Dans l'année 2017, c'est en tout cas l'ambition que nous devons avoir.
Comptez-vous toujours mettre à l'antenne une émission "de style 'Quotidien'" ?
Ca fait partie de nos réflexions. Cela ne sera peut-être pas pour la saison prochaine pour des raisons de moyens. Mais je ne veux pas m'interdire d'y aller ! Car comme le digital, c'est un élément de distinction. Cela suppose cependant de le faire dans le bon ordre. La priorité était de remettre la chaîne sur les bons rails de l'actu. C'est ce qu'on a fait cette année mais il y a encore une marge de progression. Nous allons travailler là-dessus en priorité pour la saison prochaine et nous n'aurons sans doute pas le format dont vous parlez si tôt. Mais il ne faut pas se l'interdire.
Vous assumeriez en tout cas de faire rentrer de l'entertainement sur une chaîne d'info en continu ?
Oui, par petites touches et si c'est bien fait. C'est un peu ce que font les radios : être crédible sur l'info mais instiller des éléments d'humour et de décalage sur leur antenne. Honnêtement, pour l'instant, à notre stade de développement, ce ne sera pas notre priorité immédiate.
Vous êtes l'ancien patron de l'information de France Télévisions. Qu'auriez-vous fait différemment de Michel Field concernant le débat prévu le 20 avril sur France 2 finalement annulé ?
Je n'ai pas trop de commentaires à faire honnêtement. Je n'appartiens plus à cette maison et je suis tenu à un devoir de réserve. Ce que je peux dire, c'est que quand une chaîne comme France 2 s'investit autant sur les formats politiques, il aurait été cohérent de voir ce débat sur France Télé. Cela n'a pas été possible. Dont acte. Mais cela concerne davantage Michel Field et les candidats que moi.