

Les logos des chaînes s'effacent au profit d'une "marque média unique" : france.tv. Deux jours à peine après l'annonce de sa présidente Delphine Ernotte mardi 25 mars 2025, France Télévisions a inauguré, à l'occasion de la retransmission d'un entretien de Volodymyr Zelensky à Paris, sa nouvelle stratégie d'affichage qui sera déployée sur les quatre principales antennes publiques à compter du 6 juin 2025. Puremédias a rencontré Tiphaine de Raguenel, directrice des publics et de la stratégie éditoriale, pour évoquer les raisons de ce changement de paradigme et la montée en puissance de la consommation à la demande parmi ses téléspectateurs.
Propos recueillis par Ludovic Galtier Lloret
Puremédias : Début mars 2025, vous aviez déclaré que france.tv est "la première antenne" de France Télévisions. Comment va se concrétiser dès le 6 juin 2025 ce changement de paradigme ?
Tiphaine de Raguenel : Nous profitons de la décision de l'Arcom de réunir les chaînes du service public dans la continuité de numérotation (du canal 2 au canal 5, ndlr) pour changer la logique de point d'entrée dans les marques et pousser france.tv comme la marque média unique. Le bug antenne (incrustation du logotype de la chaîne dans l'image diffusée, généralement dans l'un des quatre coins de l'écran, ndlr) sera france.tv sur les canaux 2, 3, 4 et 5 pendant la diffusion des programmes. Le numéro de chaîne devient simplement une adresse, indiquant le canal de distribution d'un contenu de la plateforme france.tv.
"Entre la diffusion de deux programmes, les bandes-annonces conserveront les habillages qui marquent l'identité spécifique de chaque canal"Tiphaine de Raguenel
Labelliser les programmes france.tv quelle que soit leur chaîne d'origine ne risque-t-il pas de perdre les téléspectateurs ?
Nous allons les accompagner de manière à ce qu'ils arrivent à bien repérer les chaînes. Entre la diffusion de deux programmes, les bandes-annonces conserveront les habillages qui marquent l'identité spécifique de chaque canal. Nous garderons ces points de repère pour accompagner la transition. Encore une fois, l'idée consiste à pousser l'offre du service public et s'adapter à une consommation qui évolue. En regroupant nos forces autour de la marque unique france.tv, nous sommes plus à même d’émerger dans un paysage audiovisuel très concurrentiel.
Comment se traduit cette évolution des modes de consommation ?
Les téléspectateurs continuent de regarder les contenus de France Télévisions en live mais ils les consomment beaucoup à la demande, à la fois sur des plateformes propriétaires de France Télévisions mais aussi sur des environnements externes comme MyCanal, les box, Youtube et les réseaux sociaux. "Rivages" a démontré que nous vivions une révolution des usages. Plus de 50% de la consommation d'un épisode s'est faite à la demande. Nous nous rendons bien compte que ce que les gens cherchent, c'est "Rivages" et où est-ce qu'ils peuvent la regarder. Ils peuvent y avoir accès sur l'ensemble des environnements où France Télévisions est distribué, sur leur téléphone, leur tablette, leur ordinateur, leur écran de télévision et sur France 2. Mais France 2 n'est qu'un moyen d'accès à l'offre de france.tv. Désormais, le poids du corps est sur france.tv, la plateforme et la marque média unique.
Il y a 11 ans de différence d'âge entre le public qui a regardé "Rivages" en live et le public qui l'a consommé à la demandeTiphaine de Raguenel
Comment réfléchissez-vous à la fenêtre de diffusion des programmes sur france.tv ?
Notre stratégie a évolué. Aujourd'hui, la diffusion en live n'est qu'un espace de distribution des programmes. Quand nous réfléchissons au dispositif de lancement d'un contenu, nous établissons un calendrier qui inclut sa date de diffusion en linéaire et sa date de mise à disposition sur france.tv. En plus de la mise à disposition post-diffusion linéaire, nous misons sur le preview pour certains genres de programmes. 33% des téléspectateurs de "Rivages" (mini-série diffusée en début d'année 2025 sur France 2, ndlr) l'avaient vue avant sa diffusion linéaire. L'intérêt pour nous est d'aller chercher des gens dont les usages ont bougé et qui sont généralement plus jeunes. Si on prend le cas de "Rivages" là encore, il y a 11 ans de différence d'âge entre le public qui a regardé la série en live et le public qui l'a consommé à la demande. Cela nous permet d'élargir le potentiel d'audience d'un programme.
Qu'est-ce qui prévaut dans la durée de mise à disposition précédant la diffusion linéaire ?
En fin d'année dernière, nous avons renouvelé un accord avec les producteurs qui offre à France Télévisions un accès à plus de droits sur les programmes. Lorsque nous finançons un programme, nous achetons les droits pour la diffusion en live ou à la demande, avant ou après le passage en linéaire, pendant une certaine durée. Les mini-séries, que ce soit dans le registre de la fiction ou du documentaire, sont mises en ligne en intégralité une semaine avant le lancement en linéaire. Certaines exceptions peuvent être dues à la période de lancement du programme. Dans le cas de "Rivages", nous avions lancé le preview plus de 10 jours avant la diffusion sur France 2, parce que nous étions en période de vacances de Noël. Nous nous sommes dit que les téléspectateurs étaient disponibles pour regarder une fiction. C'est un peu de la haute couture. L'objectif est de mener une stratégie optimisée pour chaque programme. Nous multiplions ainsi les possibilités de découverte.
Quelle est la stratégie pour les programmes de flux davantage consommés en linéaire ?
La fiction représente la moitié de la consommation en vidéo vues. La jeunesse est le deuxième genre le plus consommé, c'est à peu près un tiers de la consommation. Mais nous avons tout de même des programmes de flux, à l'image de "Ça commence aujourd'hui", dont une part non négligeable de la consommation se fait à la demande. C'est aussi le cas de nos rendez-vous, comme "C à vous", ou "C dans l'air". "100% logique", lui, a une vie sur les réseaux sociaux avec la mise en ligne de questions. Nous avons d'ailleurs lancé sur france.tv un jeu interactif "100% logique" afin de favoriser la fidélisation et de faire revenir les gens régulièrement sur france.tv avec un dispositif innovant.
L'audience moyenne d'un programme et sa couverture deviennent pour nous des indicateurs plus importants que la part d'audienceTiphaine de Raguenel
france.tv revendique la première position dans le classement des plateformes de streaming gratuites. Sur quels indicateurs vous basez-vous ?
Aujourd'hui, l'indicateur que nous suivons en premier lieu pour mesurer le succès de france.tv, c'est d'abord la couverture, c'est-à-dire le nombre de gens qui ont été touchés par les contenus à la demande de France Télévisions. En moyenne en 2024, c'est 35 millions de Français par mois. Nous regardons de près aussi les vidéos vues et de plus en plus la durée de consommation du contenu. L'audience moyenne d'un programme et sa couverture deviennent pour nous des indicateurs plus importants que la part d'audience.
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Qu'est-ce que va changer la concrétisation du projet de Médiamétrie de mesurer l'audience des plateformes en 2025 ?
Médiamétrie travaille en effet sur une nouvelle mesure d'audience qui va arriver en 2025, qui s'appelle le Total Video Editeur. Elle permettra de mesurer la puissance d'un groupe média sur l'ensemble des contenus qu'il publie, que ce soit en direct sur la télévision linéaire, sur ses environnements propriétaires, mais aussi sur les plateformes tierces, les fournisseurs d'accès à Internet et les réseaux sociaux. Nous pourrons donc comparer la performance du groupe France Télévisions à celle des concurrents sur l'ensemble des supports où ils ont touché des téléspectateurs. Cette nouvelle mesure permettra par ailleurs de mesurer la consommation à la demande. Elle permettra de dresser la hiérarchie entre les acteurs, parmi lesquels Netflix, YouTube, Amazon Prime Vidéo et Disney+, qui aujourd'hui sont mesurés dans des environnements différents et avec des temporalités différentes. Cela va vraiment changer notre vision du marché.