Il y a du rififi entre la rédaction de "Cash Investigation" (France 2) et celle d'"Arrêt sur images" (ASI). L'un des rédacteurs en chef de Premières lignes, société produisant l'émission présentée par Elise Lucet, Laurent Richard, a en effet publié hier un texte dénonçant les méthodes journalistiques d'ASI, le site de décryptage des médias fondé par Daniel Schneidermann.
Dans le viseur de Laurent Richard, un article d'ASI du 10 octobre évoquant une enquête de "Cash Investigation" sur l'industrie du tabac diffusée le 7 octobre dernier. ASI se proposait de prolonger les investigations de France 2 sur un point précis, celui des versements d'argent effectués régulièrement par les plus gros industriels du tabac (Philip Morris, British American Tobacco...) à la Commission européenne et aux Etats membres de l'UE, dont la France.
Dans leur reportage, les enquêteurs de "Cash Investigation" tentaient notamment de mettre la main sur les contreparties qu'exigeraient les industriels du tabac en échange de ces versements. Ces dernières, appellées "Reasonable expectations", seraient détaillées dans des annexes secrètes auxquelles les journalistes de "Cash" n'ont pas pu avoir accès malgré des mois de recherche.
Au lendemain de la diffusion de cette enquête, une journaliste d'ASI a tenté de prolonger les investigations sur ce point précis. Deux jours plus tard seulement, elle publie un article dans lequel elle affirme avoir réussi à obtenir des réponses précises de la part de Bercy sur ces questions. "Le mystère s'est envolé" écrivait-elle, expliquant avoir eu accès aux fameuses annexes dont certaines seraient sur internet. Dans son papier, la journaliste d'ASI n'hésitait d'ailleurs pas à se moquer gentiment de ses collègues de "Cash Investigation" et de leurs discours "commando".
Trop beau pour être vrai ? D'après le rédacteur en chef de Premières lignes, la société produisant "Cash Investigation", la réponse est clairement oui. Dans un papier très virulent, Laurent Richard a ainsi dénoncé les "graves erreurs" et "petits mensonges" de la rédaction d'ASI, rebaptisée pour l'occasion "les Boeuf-carottes du PAF". Evoquant des "méthodes journalistiques, aussi approximatives que malhonnêtes", Laurent Richard a ainsi tenu à exposer ses griefs contre ASI et à raconter dans le détail ce qu'il s'était passé après la parution de l'article d'ASI.
Premier grief du journaliste, sa consoeur d'ASI ayant signé l'enquête ne l'a pas appelé. "Je crois rêver. Une journaliste d'ASI dont le métier consiste à enquêter sur les pratiques de ses confrères, en oublie l'essentiel, à savoir sortir son pied-de-biche de sa poche et appeler avant de publier", critique-t-il. Laurent Richard raille à son tour la naïveté de la rédaction d'"Arrêt sur images" citant des passages de son article : "ASI prétend avoir lu ces annexes et donc découvert ce qui était caché jusque là. 'Le mystère s'est envolé', 'rien n'est caché', 'Bercy nous a tout raconté'... Mazette ! Du lourd. Et de se foutre un peu de nous au passage, en expliquant qu'il leur a suffi de 48h pour tout savoir".
A en croire le journaliste de "Cash", le scoop d'ASI était en fait "bidon" et la journaliste aurait "tout confondu". "Ses fameuses annexes à elle, n'étaient que les annexes générales attenantes aux contrats. Aucun document au sujet de ces contreparties promises aux cigarettiers" explique Laurent Richard. Selon lui, ASI s'est tout simplement laissé "enfumé" par le service de presse de Bercy.
Après avoir insisté à plusieurs reprises auprès de la journaliste ayant écrit l'article, le journaliste de "Cash" a finalement obtenu une mise à jour qu'il juge "tout aussi malhonnête", avant que l'article ne soit finalement retouché par Daniel Schneidermann lui-même. Laurent Richard en veut cependant au patron de ASI de ne pas l'avoir pris au téléphone ni de s'être excusé.
Ce matin, Daniel Schneidermann a publié à son tour sur "Arrêt sur images" un long texte de réponse à Laurent Richard, donnant sa version des faits. Il y évoque notamment les relations houleuses entretenues depuis longtemps entre ASI et Premières lignes à cause d'un vieux contentieux l'opposant au fondateur de la société de production, Paul Moreira. Des mauvaises relations qui expliqueraient notamment pourquoi la journaliste d'"Arrêt sur images" n'a pas appelé la boîte de prod avant de publier son papier. "A la fin, on se lasse d'appeler le standard de la prod, pour s'entendre répondre qu'on n'a rien à nous dire" explique Daniel Schneidermann.
Sur le fond de l'affaire, le patron de ASI fait son mea culpa, tout en soulignant que l'enquête de "Cash Investigation" sur ce point précis était aussi incomplète. "On a fait un article incomplet, et trop catégorique dans sa première version, sur une enquête incomplète" a-t-il résumé à la fin de son texte. Et d'ajouter : "On l'a complété après parution, ce qui arrive parfois, mais que j'aurais évidemment préféré éviter". Daniel Schneidermann a conclu en lançant une invitation à Paul Moreira pour qu'il vienne s'exprimer sur le plateau d'"Arrêt sur images".