Les élus de la Société des rédacteurs de "Marianne" ont adressé, ce mardi 12 novembre 2024, une fin de non-recevoir à Jean-Martial Lefranc, candidat à la reprise de l'hebdomadaire rencontré la veille. "Lors de cet échange", restituent les journalistes dans un communiqué, "il est apparu que les vues de M. Lefranc étaient en opposition totale avec les grands principes de l'indépendance d'un journal". Dans ces conditions, la SRM demande "l'arrêt immédiat des négociations avec M. Lefranc" et prévient que "la rédaction est prête à user de tous les moyens pour obtenir satisfaction, dont la grève".
Au cours de l'échange, Jean-Martial Lefranc n'aurait, en effet, pas fait mystère de son intention de peser de tout son poids sur la ligne éditoriale du titre dirigé par Natacha Polony, jusqu'à "participer aux conférences de rédaction". Il aurait affirmé que "l'indépendance ne signifie pas l'extinction du lien de subordination résultant du contrat de travail" ou encore que "certains articles publiés dans 'Marianne' ne répondaient pas aux exigences de la déontologie journalistique, et qu'il comptait y remédier personnellement". Jean-Martial Lefranc aurait aussi fait part de "ses doutes quant à l'application des garanties d'indépendance qu'il avait lui-même acceptées, en particulier concernant la révocation ou la nomination d'une direction de la rédaction".
Interrogé par l’AFP, l’entourage de Jean-Martial Lefranc dit "prendre acte" de la communication de la SRM, parlant de "radicalité" et de "caricature". "L’attitude exprimée par une majorité de la rédaction ne permet (...) pas d’envisager une reprise sereine et constructive de 'Marianne' à date", ajoute cette source dans un bref communiqué, assurant cependant qu’'aucune décision concernant un éventuel désengagement à ce stade' n’a été prise.
Selon la même source, Jean-Martial Lefranc a "été le premier à accepter toutes les garanties d’indépendance demandées par la rédaction, et il n’a jamais été question d’en déroger". "Il est fortement dommageable de confondre interventionnisme éditorial et supervision stratégique de l’activité", souligne-t-elle. "Jean-Martial Lefranc avait anticipé d’éventuelles défections et des alternatives de financement sont prêtes", indique-t-elle par ailleurs en référence au retrait d'Antoun Sehnaoui. La SRM a estimé dans son communiqué que la volte-face de "l'actionnaire le plus important de l’offre de reprise (compromettait) gravement la viabilité économique du projet".
La SRM rappelle qu'au printemps dernier, Denis Olivennes, président du conseil de surveillance de CMI France, groupe propriétaire de "Marianne", avait fixé un certain nombre de conditions : "sanctuarisation de la ligne du journal", "préservation de l’indépendance éditoriale", "garantie de la pérennité économique du titre" et "maintien de la direction actuelle" assurée par Natacha Polony. "Aucune de ces quatre conditions (n'est) remplie pour la vente du titre", a estimé la SRM, qui avait déjà écarté en juillet 2024 un possible rachat par le milliardaire conservateur Pierre-Edouard Stérin.
Au même moment, Jean-Martial Lefranc, 62 ans, avait formulé une offre de reprise rehaussée à 8,5 millions d’euros, après une première au printemps qui avait été écartée. CMI France était prêt à prendre en charge une partie des coûts de reprise, pour 3 millions d'euros, selon Denis Olivennes. Pour racheter "Marianne", l'entrepreneur, qui a fait carrière dans les jeux vidéo avant de reprendre le groupe de presse jeunesse Fleurus en 2009, s'était entouré des investisseurs Henri de Bodinat et Joan Beaufort. L'homme d'affaires était également en lien avec le socialiste Julien Dray, qui n'avait toutefois pas de mandat dans ce rachat.
Pour rappel, la rédaction du magazine a appris le 22 avril 2024 sa mise en vente par son propriétaire, Daniel Kretinsky. Une source proche du dossier, citée notamment par "Les Échos" à l'époque, assurait que le milliardaire tchèque, ouvertement pro-européen, souhaitait prendre ses distances avec la ligne éditoriale de "Marianne", jugée trop "souverainiste". Daniel Kretinsky s'était engagé à soutenir "Marianne" "le temps que les négociations aboutissent".