C'est un conflit larvé qui semble aujourd'hui sans issue. Depuis l'arrivée du Rassemblement national à la tête de la mairie de Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais, les relations entre la municipalité dirigée par Steeve Briois et l'agence locale de "La voix du Nord" se sont peu à peu détériorées. Jusqu'à aboutir à un dialogue inexistant entre les deux parties. En effet, Steeve Briois et son équipe privilégient le droit de réponse, un dispositif légal qui permet à toute personne nommée ou désignée dans un média d'exiger la parution d'un texte rédigé par ses soins pour rectifier ou apporter des précisions sur une information. Comme le rapporte "La revue des médias" de l'Institut national de l'audiovisuel, depuis 2014, "La voix du Nord" a dû publier pas moins de 100 droits de réponse en provenance de la municipalité.
Une stratégie assumée par le bras droit de Steeve Briois, Bruno Bilde, par ailleurs proche conseiller de Marine Le Pen, député du Pas-de-Calais et conseiller régional des Hauts-de-France. C'est aussi lui qui dirige le groupe municipal majoritaire au sein du conseil municipal de Hénin-Beaumont. L'élu reproche à "La voix du Nord" son supposé parti pris en matière d'articles sur la gestion municipale, surtout depuis que le quotidien a publié au niveau régional en 2015 deux Unes se positionnant contre une possible victoire de Marine Le Pen aux élections régionales.
"Le journal a des pics de mauvaise foi. Quand je vois qu'ils recommencent à être vraiment militants, je me dis : vous voulez jouer à ça ? On va jouer à ça. Et hop, je leur balance des droits de réponse tous les deux-trois jours pour les calmer", relate en toute franchise Bruno Bilde, interrogé par "La revue des médias, qui signe les droits de réponse au nom du maire. Et de provoquer : "C'est extrêmement économique. Pour 5,55 euros, je publie ce que je veux dans 'La voix du Nord'". Sa philosophie ? "Mieux vaut passer pour une peau de vache que pour un con". Ce que déplore le patron de "La voix du Nord", Gabriel d'Harcourt : "Steeve Briois est sans doute la personne qui m'a le plus écrit dans ma vie. Plus que ma mère. Plus que ma femme. Il exploite une possibilité juridique d'une manière qui confine à l'obstruction".
L'INA rapporte que Bruno Bilde s'est un jour plaint en conseil municipal à propos du quotidien : "Le problème avec la version iPad de 'La voix du Nord', c'est que, contrairement à la version papier, on ne peut pas se torcher avec". Et qu'il n'hésite pas à envoyer des messages aux journalistes pour se plaindre de leurs articles dès potron-minet.
La rédaction de "La voix du Nord" réfute pourtant toute subjectivité dans le traitement de l'actualité héninoise. Le rédacteur en chef Patrick Jankielewicz le constate : "Le RN a l'impression qu'on exerce notre indépendance uniquement à leurs dépens. Mais ce n'est pas le cas. Nous sommes engagés dans une démarche d'affirmation de notre indépendance parce que nous pensons que c'est ce qui a de la valeur pour nos lecteurs".
"La revue des médias" rappelle que l'édition locale s'était déjà distinguée pour son traitement impertinent de l'actualité lorsque la mairie de Hénin-Beaumont était socialiste. Une ligne de conduite qu'elle a maintenue après l'élection de Steeve Briois, avant d'opter pour des articles purement factuels. Ce qui n'a rien changé ; la municipalité considérant toujours "La Voix du Nord" comme hostile. "On n'a plus besoin d'eux. (...) S'ils avaient la moindre influence, on n'aurait pas les mêmes résultats électoraux", ironise l'élu du Rassemblement national Bruno Bilde tandis que de son côté, Gabriel d'Harcourt, le patron du quotidien s'inquiète : "C'est quand même une certaine conception de la liberté de la presse qui est en jeu dans cette histoire".