Daniel Kretinsky s'immisce dans la ligne éditoriale de "Marianne" ? La société des rédacteurs (SDR) de l'hebdomadaire, dont la rédaction est dirigée par Natacha Polony, a fustigé mardi dans un communiqué "l'intervention de l'actionnaire principal sur la 'Une' du journal" de ce jeudi 21 avril. À trois jours du second tour de l'élection présidentielle, la rédaction avait choisi d'évoquer le duel entre les deux finalistes, Emmanuel Macron et Marine Le Pen.
Mais la titraille retenue "à l'issue de deux réunions collégiales associant la direction et l'ensemble de la rédaction" aurait été modifiée a posteriori par le milliardaire tchèque en personne. Photos à l'appui, la SDR dévoile deux "Unes", celle avec "le contenu initial de ce qui devait apparaître" et celle que les lecteurs de l'hebdomadaire retrouveront demain dans les kiosques.
Deux titres auraient été amendés. Dans la version originelle, les visages d'Emmanuel Macron et de Marine Le Pen devaient respectivement être barrés des expressions "La colère..." pour le premier et "ou le chaos ?" pour la seconde. Un choix qui avait le mérite, selon la SDR, "d'établir une distinction factuelle entre les deux candidats sans pour autant dicter leur conduite à nos lecteurs".
Si la "Une" publiée reprend les mêmes expressions, "colère" sur le visage d'Emmanuel Macron et "chaos" sur celui de Marine Le Pen, le sens du message a été altéré ("Malgré la colère...", "...éviter le chaos"). En ses termes, l'hebdomadaire incite ainsi ses lecteurs à porter leurs voix sur Emmanuel Macron, contrairement à la volonté de la direction et de la rédaction.
Un deuxième titre été modifié en pied de page. L'appel à voter Emmanuel Macron de Jean-François Kahn, fondateur de "Marianne" en 1997 et directeur de l'hebdomadaire jusqu'en 2007, et de l'éditorialiste Jacques Julliard était initialement titré : "Pourquoi nous votons Macron". Il a finalement été amendé comme suit : "L'impossible ni-ni : pourquoi nous votons Macron".
"Cette ingérence de notre actionnaire majoritaire, Daniel Kretinsky, constitue une attaque grave contre l'indépendance éditoriale de 'Marianne'", s'est offusquée la SDR. "Il s'est pourtant personnellement engagé devant les journalistes, à deux reprises, à respecter ce principe fondamental. Et jusqu'ici, il l'avait fait."
Et la SDR de conclure : "Seule la direction de la rédaction du journal est légitime à arbitrer entre plusieurs choix éditoriaux. Nos bons résultats de vente et d'audience depuis le début de l'année nous confortent dans l'idée que le succès de 'Marianne' repose sur l'identité et l'indépendance éditoriale du journal. Nous nous opposons et nous opposerons à toute entrave de ces deux principes".
Contactée par puremedias.com, Natacha Polony, directrice de la rédaction de l'hebdomadaire, n'a, pour l'heure, pas donné suite à nos sollicitations. Dans un communiqué publié aujourd'hui et relayé sur son compte Twitter, elle assume un changement de Une selon elle décidé "en toute indépendance", tout en reconnaissant une intervention de son actionnaire. "J'ai (...) décidé d'entendre l'ensemble des sensibilités composant l'équipe rédactionnelle, tout en étant attentive aux souhaits du groupe CMI de ne laisser planer aucune ambiguïté quant à la position de notre hebdomadaire", écrit-elle. Et d'ajouter : "La société des rédacteurs a exprimé ses positions. Elle a été entendue. Pour le reste, la direction de la rédaction a assumé pleinement sa responsabilité éditoriale, en toute indépendance, en arbitrant en conscience dans la stricte continuité de la ligne historique de 'Marianne'".
Les protestations des journalistes de "Marianne" sur ce changement de Une ont fait réagir hier Marine Le Pen, en retrait médiatique pour préparer le débat de l'entre-deux-tours de ce mercredi. "Merci aux journalistes de 'Marianne' de révéler l'influence de l'argent sur les choix éditoriaux des médias. Les Français ne sont pas dupes de la campagne de mensonge et de diffamation que nous subissons depuis que nous sommes aux portes de l'Élysée", a écrit la candidate RN à la présidentielle.
"De notre côté, nous ne sommes pas dupes de la campagne de récupération de Marine Le Pen et l'invitons à se plonger dans la lecture du numéro. Elle pourrait y trouver quelques surprises", a dans la foulée rétorqué la Société des rédacteurs de l'hebdomadaire sur Twitter.
Outre "Marianne", dont il est l'actionnaire principal, Daniel Kretinsky a racheté depuis 2018 le groupe de presse magazine de Lagardère Active, comptant notamment "Elle", "Télé 7 jours", "Version Femina, Art & Décoration", "Ici Paris", "Public" ou "France Dimanche". "Il s'est invité depuis au capital du quotidien 'Le Monde' et du groupe audiovisuel TF1, leader en Europe, et a soutenu le démarrage de la chaîne BSmart", rappelait dans un portait "Le Point" en novembre 2021.