"D'ici cinq à dix ans", la télévision linéaire sera morte. C'est la prédiction de Reed Hastings le cofondateur de Netflix. Plus la part de la consommation non-linéaire augmente, plus il est possible de se demander si les acteurs de la télévision classique n'ont pas tout intérêt à effectuer un virage. À vrai dire, c'est ce qu'ils ont fait il y a déjà quelque temps, un changement accéléré, entre autres, en voyant l'essor indéniable des plateformes de SVOD pendant les confinements. On parle désormais de "plateformisation" des la télévision classique.
My TF1, 6Play, France.tv... Les acteurs traditionnels ont en vérité déjà changé de cap - même s'ils ne souhaitent pas pour l'instant renoncer à leur coeur de métier. "Si on ne s'adapte pas aux usages de tous les publics, ils ne nous attendront pas et iront sur les plateformes internationales", affirme Florent Dumont, le directeur adjoint des antennes et des programmes de France Télévisions. Même sentiment chez ses groupes concurrents privés qui ont fourbis et renforcent leurs plateformes respectives.
Chez TF1, l'accent sur le digital est particulièrement visible avec l'arrivée de Rodolphe Belmer à la tête du groupe. Son ambition est claire, faire de TF1 le premier acteur français sur la vidéo à la demande gratuite (AVOD), avec déjà près de 30 millions de personnes qui se rendent chaque mois sur MyTF1. "Notre objectif est, en plus de notre leadership établi sur la télévision, de devenir un acteur leader sur le streaming gratuit", affirme Xavier Gandon, le directeur des antennes du groupe TF1. Même son de cloche chez M6 où on se félicite du fait que 45 millions de personnes se sont connectées à 6play en 2022, passant en moyenne une heure sur la plateforme par jour.
Les acteurs français présents sur le digital n'auraient d'ailleurs rien à envier à Netflix et consorts dont l'importance serait gonflée. Comme l'expliquent certains connaisseurs du marché, aujourd'hui Netflix est l'équivalent d'une grosse chaîne de la TNT. Des hits récents comme "The Night Agent", "LOL : Qui rit sort !" ou "Emily in Paris" représenteraient l'équivalent d'un gros prime de la TNT et toucheraient un million de personnes. Des performances égalées et surpassées par les acteurs télévisés installés sur le numérique.
Reste que, malgré des scores honorables, pour l'heure, les visionnages sur le digital ne rémunèrent clairement pas aussi bien que ceux de la télévision. "D'ici quelques années, l'écart sera neutre et à terme le digital dépassera le linéaire en monétisation comme dans d'autre pays", appuie Guillaume Charles, le directeur des programmes du groupe M6. Un travail de rentabilité qui se fait notamment grâce à de la pédagogie avec les annonceurs, mais aussi, grâce à la collecte de "data", ces données qui font la gloire des grandes entreprises de la Tech. Une question de rentabilité qui intéresse un peu moins France Télévisions, le groupe déjà assez préoccupé par l'avenir de son financement. Ils l'affirment, d'ailleurs, leur plateforme reste et restera gratuite.
Alors qu'elles s'engagent dans une plateformisation, les chaînes linéaires se font plutôt discrètes sur les leçons qu'elles tirent de l'échec de Salto, le "Netflix à la française" qui a été dissous à la fin du mois dernier. S'il s'agit scrupuleusement des mêmes contenus, le plan de bataille est différent. Cette fois, le curseur est mis sur l'AVOD, le gratuit. Du côté de M6 et TF1, on ne se prive tout de même pas de cacher derrière son offre payante quelques fonctionnalités phares de feux Salto, comme l'accès aux feuilletons et à "Mariés au premier regard" en avance. France Télévisions l'a aussi fait pour "Un si grand soleil", sans demander de paiement. En plus de cela, pour éviter le même sort que leur entreprise conjointe interrompue, les plateformes françaises vont aussi devoir tenir un bras de fer avec les opérateurs qu'ils tiennent en partie responsable de l'échec Salto. Un combat déjà relancé par TF1 selon "Les Echos".
Leur aventure sur le non-linéaire bien engagée, les acteurs de la télévision vont-ils à terme se détourner de la bonne vieille TNT ? Certains indices laissent à penser que Canal+ pourrait sauter le pas dans les prochaines années, notamment pour s'affranchir des contraintes de l'Arcom sur la question du financement des oeuvres audiovisuelles. Pourtant, d'autres comme Xavier Niel voient toujours dans les canaux de la TNT un outil puissant pour se construire rapidement une audience. Voilà pourquoi avec son projet "SIX" le milliardaire a tenté de chiper une fréquence, finalement laissée à son précédent détenteur M6. Dans cette même procédure, TF1 a également été renouvelée. Preuve s'il en fallait que personne ne veut encore abandonner la télévision linéaire. Du moins, pour l'instant.