Ouverture d'un nouveau "Dossier tabou". Ce soir, Bernard de La Villardière présentera à 21h05 sur M6 le sixième numéro de son magazine produit par Ligne de Front. Dans ce reportage de 90 minutes, l'homme tout terrain de la Six se penchera sur les violences contre les forces de l'ordre et les représentants de l'Etat. A cette occasion, puremedias.com s'est entretenu avec le journaliste.
Propos recueillis par Florian Guadalupe.
puremedias.com : Pourquoi avoir choisi ce thème pour votre nouveau numéro de "Dossier tabou" ?
Bernard de La Villardière : Nous voulions depuis longtemps faire un sujet sur la montée de la violence. Nous avions réfléchi à la violence des faits divers, comme les rixes sur l'autoroute ou les incidents sur la chaussée. Les gens deviennent rapidement violents. Il y a une sorte d'exaspération collective qui conduit les gens, bien sous tout rapport, à exploser. Puis, il y avait aussi cette piste sur les violences contre les institutions et les représentants de l'Etat. M6 a commandé ce dernier. Nous avons signé à l'automne dernier et nous avons commencé l'enquête à la fin de l'année dernière. C'était compliqué. Le ministère de l'Intérieur n'en voulait pas. Christophe Castaner bloquait. Laurent Nunez bloquait. C'était effarant. On nous disait : "Non, circulez, il n'y a rien à voir. De toute façon, ça va beaucoup mieux. Les tensions s'apaisent. On n'a pas envie de mettre des caméras dans ces quartiers-là et dans ces unités-là". Incroyable ! Pour moi, c'est un empêchement du devoir d'informer ! C'est une atteinte à la liberté d'informer ! On assiste de plus en plus au sein des institutions françaises à des administrations qui veulent tout contrôler. Savoir pourquoi on veut tourner. Dans quelles conditions. Obtenir un visionnage technique du sujet. C'était donc de plus en plus difficile de tourner avec la police et les pompiers.
Comment êtes-vous parvenu à les convaincre ?
Nous avons eu la préfecture de police de Paris, avec qui nous avons de bons rapports depuis longtemps. Elle nous a fait confiance. Nous avons notamment pu tourner avec la bac de Nanterre les nuits des 13 et 14 juillet. Les soirées autour de la Fête nationale sont chaudes. Maintenant, tout est un bon prétexte à tendre des guet-apens aux pompiers et aux policiers. Il n'y a pas un jour ou une nuit sans qu'il n'y ait des incidents de ce genre aujourd'hui. C'est hélas très courant et ça ne touche pas que les grandes villes et les cités autour d'elles. Ca touche malheureusement aussi les villes moyennes.
"Les jeunes de cités ne sont pas tous des délinquants. Loin de là !"
Quelles ont été les exigences pour tourner ?
Il fallait masquer le visage de la plupart des policiers, par crainte de représailles. Une exigence que nous connaissons par coeur... Depuis le drame de Magnanville, en 2016, et l'assassinat de deux policiers par un terroriste islamiste, la hiérarchie des forces de l'ordre essaye d'être la plus prudente possible. Il faut évidemment cacher leur identité.
Avez-vous eu des difficultés pour tourner dans ces zones de tension ?
Ca fait 20 ans que les journalistes de grands médias vont dans ces endroits plus prudemment. Pour la presse écrite et la radio, c'est plus simple. Pour la télévision, c'est un peu plus compliqué. Mais nous avons pu le faire à la cité des Mureaux et à Strasbourg. C'était dans un climat un peu tendu avec l'idée qu'il ne fallait pas rester trop longtemps. Mais nous avons aussi donné la parole aux jeunes des cités. Nous avons pu échanger avec Jamila qui est une femme formidable travaillant auprès des jeunes. Je ne veux pas dire que les jeunes de cités sont tous des délinquants. Loin de là ! C'est une infime minorité.
Mais surtout, nous nous intéressons à ceux qui exploitent cette haine à l'égard des forces de l'ordre et des services de secours. Ceux qui les alimentent sont parfois des rappeurs. Nous avons fait ce portrait du rappeur, 911, à Strasbourg, qui chante "Fuck le 17". On peut prendre cette chanson au deuxième degré. Mais quand elle est chantée par des gosses de 13 ou 14 ans, ça ne permet pas la paix et la sérénité. Il y a une responsabilité de la part de ces gens que l'on ne peut pas nier. On ne peut pas se cacher derrière la liberté de création indéfiniment. Ce sont des choses qui impriment dans la tête de jeunes adolescents et qui, malheureusement, laissent des traces. D'autant qu'il y a un certain nombre d'hommes politiques qui exploitent ça. Il y a ce qu'on appelle la convergence des luttes. Une convergence entre les Black Block d'extrême-gauche, certaines associations pseudo anti-racistes et des activistes qui luttent contre les violences policières mais qui ont pour objectif de faire monter la tension et développer les haines contre les représentants de l'Etat. Et ça se fait aux dépens des habitants de quartier.
Comment explique-t-on que les pompiers soient la cible d'agressions ?
C'est consternant. Ils sont là pour sauver les gens. Je pense qu'il y a des logiques tribales. Tout élément extérieur, de près ou de loin, représentant des institutions de l'Etat, est un ennemi. Il y a beaucoup d'inculture et de manipulation des esprits. On me reproche parfois de m'en prendre à certains jeunes de cité. Mais ce n'est pas le cas ! Les jeunes de cités sont aussi victimes d'un système. C'est un cercle vicieux. Plus les policiers et les pompiers sont visibles, plus on les déteste. Puis, il y a des gens cachés qui attisent la haine. Ce sont souvent des activistes sur internet qui diffusent de fausses rumeurs. Ils font croire qu'un jeune accidenté, tombé à moto, a été tué par des policiers, alors que ce n'est pas le cas. C'est toute cette mécanique que l'on démonte. Je fais partie de ceux qui pensent que ces territoires, il faut les reconquérir culturellement en faisant surtout beaucoup de prévention, notamment à travers l'éducation. Malraux avait créé dans les années 60 des maisons de la culture. On peut y aller pour des concerts de rap, mais aussi pour des représentations de Marivaux ou de Molière.
"Si l'accueil peut être sympathique au début, il y a toujours un crétin qui dit 'C'est Bernard de La Villardière, méfiez-vous !'."
Dans votre reportage, vous donnez la parole à plusieurs personnes de cité, dont certaines qui tiennent des propos extrêmement violents contre les forces de l'ordre. Comment s'est fait la prise de contact avec ces individus ?
Les reporters ont été tolérés un certain temps. Après, il y a toujours un grand frère ou un imam qui intervient : "Non, non, ne leur parlez pas !". On reste le temps qu'il faut, puis, à un moment, on sent qu'il faut décrocher. Si l'accueil peut être sympathique au début, il y a toujours un crétin qui débarque et dit "La télévision française est l'ennemi !" ou "C'est M6, c'est Bernard de La Villardière, méfiez-vous !".
Et vous, vous vous rendez encore aujourd'hui en banlieue ? En 2016, dans le premier numéro de "Dossier tabou", vous aviez eu une altercation avec des jeunes de Sevran.
Il y a certaines zones où j'évite de me rendre. Mais sinon, non. J'ai été aux Mureaux récemment pour parler devant des jeunes. Ca s'est très bien passé. C'était organisé. Il y avait des éducateurs présents. J'ai parlé avec une vingtaine de jeunes. J'ai évoqué mon parcours et mon métier. Le discours que j'avais tenu leur avait d'ailleurs pas mal plu. Je leur ai dit : "Oui, pour vous, ça peut être difficile de vivre dans un quartier défavorisé parce que vous pouvez être victime parfois de racisme et d'idées préconçues. Sachez que rien n'est impossible. Ce sera peut-être un peu plus difficile pour vous. Le jour où vous réussirez, ce sera d'autant plus satisfaisant. Ne vous complaisez pas dans le statut de la victime. Ce n'est pas ça qui va vous aider dans la vie. Battez-vous !". Parce qu'ils reçoivent un petit venin tous les jours qui consiste à dire : "L'Etat est raciste. Les Français ne vous aiment pas". Mais ce n'est pas le cas. Pour avoir fait le tour du monde, je peux dire que nous sommes l'un des pays les plus tolérants et accueillants. Même si encore une fois, je constate qu'il y a encore du racisme en France. Il faut le combattre.
Concernant les représentants de l'Etat, pourquoi ne pas avoir évoqué les professeurs ?
Au tout début de l'enquête, nous avons voulu aller à l'école. Le ministère de l'Education nationale et les rectorats ont bloqué. Ensuite, nous avons eu le confinement. Ca a été très compliqué. Donc, nous n'avons pas pu aller dans les écoles. Mais nous ne désarmons pas. J'espère qu'un jour nous pourrons y entrer et montrer ce qu'il s'y passe aussi.
"A un moment, il faut être violent pour faire respecter l'ordre"
Les médias ont-ils une responsabilité dans ce constat de haine contre les représentants de l'Etat ?
Oui, certains médias peut-être. Je ne veux pas jouer les procureurs à l'égard d'une profession comme la mienne qui est déjà très grandement affaiblie et dont l'image a été beaucoup écornée. Oui, je pense qu'il y a une responsabilité des médias en général, des journalistes, des gens qui les emploient et des capitalistes qui dirigent cette société. Il y a certains discours qui sont intolérables. Je me lève vraiment et à haute voix contre cette espèce de fausse symétrie, violences contre les policiers d'un côté et violences policières de l'autre. Comme le dit Gérald Darmanin, il y a une violence légitime de la part des policiers. A un moment, il faut être violent pour faire respecter l'ordre. Il y a parfois des bavures. Mais ça n'a rien à voir avec les violences à l'égard des représentants de l'Etat. Encore une fois, les forces de l'ordre sont présentes pour protéger les plus faibles et faire respecter la loi.
Lors du déconfinement, le ministre de l'Intérieur a d'ailleurs parlé d'"ensauvagement" à la suite de divers incidents en France. Est-ce réellement une nouvelle tendance ?
Dans les années 1990, j'étais journaliste reporter à RTL. Je me souviens avoir couvert les émeutes de Sartrouville. Ma voiture était siglée RTL. Elle avait été retournée et incendiée par les émeutiers. Ca avait fait la Une du "Parisien" le lendemain. Depuis, on circule en banlieue avec des voitures banalisées, sans sigle. Donc, non, c'est quelque chose que l'on connaît, qui existe depuis plus de 30 ans, mais qui n'a fait qu'augmenter. Ce n'est toutefois pas irréparable. Les délinquants sont de plus en plus jeunes. Donc, on peut plus facilement les faire évoluer grâce à l'éducation et la culture. On peut les déconfiner culturellement et les faire sortir de cette espèce d'idéologie morbide et mortifère.
Quelle serait l'issue sereine à cette opposition ?
Ce sera un long travail. Il faut prendre le taureau par les cornes. Il faut continuer à parler avec les citoyens. Je viens de prendre la présidence d'une association au Liban. J'envoie aussi des volontaires à l'international sur des projets en Afrique et en Asie. J'aimerais aussi pouvoir travailler en banlieue. Il ne faut surtout pas les laisser entre les mains de propagandistes de haine.
"Je ne suis pas un obsédé de l'insécurité."
Que pensez-vous de la proposition de loi du gouvernement qui vise à interdire la diffusion d'images de policiers en intervention ?
De fait, c'est le cas. Nous avons été obligés de flouter toutes les images de policiers et de pompiers qui sont sur le terrain. Je trouve triste qu'on en soit là, dans une société où les policiers sont obligés de se cacher. Qu'on en soit là, c'est quand même terrible ! Ca veut dire qu'on a perdu une partie dans cette opposition avec les propagandistes de haine. Concernant le projet de Gérald Darmanin - je ne le connais pas en détails -, dans la logique de ce qu'on nous demande, je pense que ça paraît sensé. Ensuite, il faut peut-être développer des caméras avec les policiers pour pouvoir avoir des éléments qui prouveront si la violence des forces de l'ordre a été légitime ou non. La raison pour laquelle on nous a demandé de flouter ces hommes, c'est parce qu'ils ont peur de représailles et d'actions terroristes éventuelles. La menace existe. Le drame de Magnanville est là pour nous le rappeler.
Êtes-vous lassé de cette image de journaliste qui ne traite que des sujets sécuritaires en France ?
Si vous regardez les derniers "Enquête exclusive", nous ne faisons pas seulement des sujets sécuritaires. Nous nous intéressons à plusieurs sujets comme le trafic ou la guerre. Je pars moi-même au Mexique pour un reportage sur le cartel de Sierra Leone. Je vais au Salvador pour un film sur les prisons et les cartels. Ce sont des sujets très humains et très forts. C'est le terrain d'"Enquête exclusive" qui est l'investigation. Quant à "Dossier tabou", nous avons traité du harcèlement sexuel et de la fin de vie. Ce sont des sujets sociaux. Je ne pense pas que nous soyons un magazine sécuritaire. Par ailleurs, je suis producteur. Je fais plein de choses. Je m'investis aussi dans des projets humanitaires. Je vais essayer de développer des programmes au Liban. J'ai plusieurs casquettes et je ne suis pas un obsédé de l'insécurité.
Récemment, dans "Enquête exclusive", nous avons traité du "business black" aux Etats-Unis et l'Amérique face au COVID. Nous sommes en train de faire un film sur Bombay. Nous ne faisons pas que des sujets sur l'insécurité. C'est une fausse idée. Il faudrait enlever cette espèce de vieux reproche fait à une certaine époque par Jean-Marc Morandini. Paix à son âme. Il nous a mis cette étiquette sur le dos. Depuis, les journalistes me le reprochent. Mais ce soir, après "Dossier tabou", nous avons un numéro d'"Enquête exclusive" sur la République centrafricaine. Nous serons aux côtés des réfugiés. Nous avons eu une équipe qui est entrée en zone rebelle. C'est un univers de guerre et de violences. Le monde est instable. Mais à chaque fois, nous essayons de donner quelques raisons d'espérer.
Quelles sont les pistes pour le prochain numéro de "Dossier tabou" ?
Nous avons quelques idées. Nous devrions tourner autour des questions de l'environnement.