Figure emblématique de Canal+ pendant 17 ans, Bruce Toussaint a annoncé son départ de la chaîne en juin 2012 pour prendre les commandes de la matinale d'Europe 1. Deux saisons plus tard et une expérience ratée sur France 2, le journaliste est revenu sur i-TELE, une chaîne sur laquelle il officiait avant son passage sur la TNT. Depuis un an, il anime la "Team Toussaint" de 7h à 10h, émission qui a décroché le prix de la "Tranche d'info en continu" des TV Notes 2014. Rencontre.
Propos recueillis par Julien Bellver.
Un an seulement et déjà un prix "TV Notes" de la meilleure tranche info, c'est inespéré !
C'est une consécration (rires) ! Je suis satisfait, très heureux sincèrement. C'est la preuve que l'audience ne fait pas tout. Cette reconnaissance du public, des internautes, c'est très agréable. C'est une récompense de cette différence qu'on a essayé d'installer tous les matins, une tranche d'info qui ressemble un peu moins à celle de nos concurrents. C'était l'objectif, on savait dès le départ qu'il y avait un gouffre entre notre audience et celle de nos concurrents, même si on a un peu grapillé. On fait 20% d'augmentation par rapport à la saison précédente. L'idée c'était aussi de créer une bande, un esprit, une image. Et j'ai le sentiment que c'est ce qui est recompensé avec ce TV Notes 2014.
Comment avez-vous vécu ce retour dans la maison Canal, après deux années passées à Europe 1 ?
Je le vis comme un retour à i-TELE plus qu'un un retour à Canal+. J'ai passé 17 ans à Canal dont quelques années ici. Canal et i-TELE, c'est très différent, il ne faut pas se raconter d'histoires. Ce sont deux équipes différentes, il y a finalement assez peu de passerelles. Je l'ai vécu comme un prolongement de ce que j'avais démarré à la matinale d'Europe 1, la volonté de vivre pour l'info. Le départ d'Europe a été une rupture, j'aurais pu faire autre chose, du magazine. Mais j'avais envie de relever ce défi.
i-TELE a beaucoup changé...
Ce n'est plus la même chaîne. J'étais parti avant même qu'elle soit sur la TNT ! Les ambitions et les moyens ne sont plus comparables. L'équipe emmenée par Céline Pigalle (directrice de la rédaction, ndlr) et Cécilia Ragueneau (directrice générale, ndlr) a beaucoup d'ambition. Elle joue sur le même terrain que ses concurrentes, ne fait pas de complexe. Donc oui, tout a changé ! Ce qui est assez frappant, c'est de voir que les scores de la matinale sont plus élevés que la matinale sur Canal+, y compris quand je la présentais. La matinale, c'est le prime time d'i-TELE. Quand on regarde les courbes, il y a deux grands moments, le matin entre 6h et 10h et le soir après 22h.
Des changements sont attendus à la rentrée ?
Je pense que c'est bien de changer... On va garder toute l'ossature, le socle. Mais une quotidienne a besoin de changement tout le temps, il faut tout le temps améliorer, c'est en cours. Je ne peux rien annoncer, rien n'est fait. Il pourrait y avoir des nouveaux visages, on y travaille !
Vous faisiez partie en septembre dernier du plan de relance d'i-TELE avec des animateurs stars aux tranches stratégiques. Malgré les bonnes performances de la "TEAM Toussaint", l'audience globale de la chaîne n'a pas beaucoup progressé, comment l'expliquez-vous ?
Ne pas progresser et rester au même niveau, c'est déjà une performance, compte tenu de la concurrence qui est dingue. On a quand même un peu progressé, ce n'est pas spectaculaire mais une très légère hausse, c'est une performance. Les chaînes d'infos sont très dépendantes de l'actualité, ce n'est pas seulement la qualité des programmes qui fait leur succès. C'est un travail très long, une chaîne ne se redresse pas en huit mois. Il n'y a que la stabilité qui permet de conquérir des parts de marché. Je ne m'attendais pas à tripler l'audience... Il faut aussi reconnaître la qualité de nos concurrents, qui ne nous facilitent pas la tâche !
Vous avez goûté à toutes les formes de matinales, sur une chaîne généraliste à Canal, sur une radio privée, sur une chaîne d'info. Laquelle est la plus excitante à animer ?
Sur les grandes radios généralistes, il y a une pression terrible : 70% de l'audience se fait le matin ! Sans même parler d'excitation, vous savez que vous tenez quasiment la maison sur vos épaules. C'est très lourd à porter, ce qui explique parfois que ça valse un peu facilement sur les matinales. Une radio ne peut pas se permettre de voir une audience stagner ou baisser. C'est à la fois excitant et en même temps épuisant. C'est une pression qui est un peu trop forte à mon goût. Est-ce que stariser les anchormen est une bonne méthode ? J'en ai bénéficié mais la question se pose quand on voit les mouvements de toutes les radios. Peut-être que plus de stabilité serait profitable.
La fin de saison a été dure sur Europe 1 ?
Cela a été une rupture, un moment délicat. J'ai eu deux chances : vivre deux années exceptionnelles et retrouver tout de suite un super défi avec i-TELE. Je n'ai pas eu trop le temps de m'apesantir sur mon sort... Les deux années à Europe m'ont quand même transformé. Cela m'a donné un autre statut, une expérience inouïe, je ne peux regarder cet épisode que positivement.
Passer de Canal à Europe puis à i-TELE, ça force un peu à l'humilité non ?
(Rires) C'est tout qui force à l'humilité dans notre métier en ce moment. On est en permanence sur des sièges éjectables. Il faut accepter qu'on est un produit. Et on peut vite se lasser d'un produit... C'est la triste réalité des animateurs-présentateurs. Ca valse chaque saison. Quel bonheur pour moi d'échapper au mercato cette année !
C'est reposant ?
L'emballement hystérique autour d'un animateur ou d'un présentateur comme j'ai pu le vivre est absurde. Il est tout aussi absurde que la chute soit aussi brutale. Il y a un excès d'enthousiasme, les descentes aux enfers sont excessives. D'un seul coup, il y a 5.000 articles sur vous, c'est irrationnel, c'est un peu la faute des sites médias comme le vôtre (rires). Je pense qu'une carrière se fait aussi sur des ruptures. J'ai beaucoup appris de la fin de mon aventure à Europe 1. J'ai surement fait des erreurs, j'ai mal géré certaines choses, je n'aurais peut-être pas dû aller à France 2 (présenter "Vous trouvez ça normal ?!", ndlr). Ca m'a forgé.
Avez-vous d'autres projets avec le groupe, notamment D8 ?
Aucun projet avec D8. On ne m'a rien proposé et je n'ai rien proposé non plus. La matinale me prend par ailleurs beaucoup de temps mais pourquoi pas un jour si cela se présentait. Mais cela ne pourrait se faire que de façon ponctuelle, je suis déjà très occupé. On est cousins et voisins, Ara Aprikian, qui m'a permis de revenir dans le groupe, est quelqu'un avec qui j'adorerais retravailler.
Les deux gros transferts de la saison en radio, ce sont Yves Calvi et Laurent Ruquier sur RTL, vous trouvez ça normal ?
Yves Calvi, plus personne n'a besoin de prouver son talent et sa légitimité. C'est l'un de mes modèles dans ce métier, il m'arrive même de m'inspirer de son style, cette façon de vouloir démocratiser et vulgariser l'info. Il a une grande qualité, il parle à l'antenne comme il parle dans la vie. C'est un super choix même si je peux déplorer que Laurent Bazin n'ait eu que deux ans à l'antenne. Encore un ! C'est devenu le nouveau bail...
Et Laurent Ruquier ?
Laurent Ruquier, c'est naturel comme transfert. Il faisait une émission très proche sur une radio concurrente. J'avoue que j'écoute beaucoup Ruquier sur Europe 1, je vais certainement avoir la tentation de le suivre sur RTL. Mais j'ai hâte de voir ce que va faire Cyril Hanouna ! Quel défi ! Je vais donc zapper.
Vous aurez peut-être nouvelle petite concurrente en 2015, LCI. Vous trouvez ça normal ?
On va voir ce que décide le CSA mais c'est une grande inquiétude, je pense qu'il n'y a pas la place pour une troisième chaîne gratuite. C'est une inquiétude pour BFM aussi. Je pense qu'il n'y a pas le marché publicitaire. L'audience des chaînes d'info c'est 3%, à trois... Ce n'est pas comme si on faisait 10, à deux ! C'est un raisonnement très étrange. Je pense que c'est très dangereux pour les rédactions. J'ai un réflexe très corporatiste, ça va laisser des journalistes sur le carreau, ici ou ailleurs.
Léa Salamé qui quitte i-TELE pour France 2, vous trouvez ça normal ?
On était triste, vraiment, j'ai essayé de la convaincre de rester. Elle ne m'a pas écouté, je lui souhaite bonne chance ! Je comprends son choix d'aller vivre cette aventure. C'est une chouette fille, une très bonne journaliste.
Vous l'avez mise en garde sur les risques du service public ?
(Rires) Oui, je lui ai dit que c'était évidemment risqué. Même si l'émission de Laurent Ruquier est parfaitement installée, il y a une instabilité dans cette chaîne qui est flippante. Elle a cette chance d'être dans une émission plus forte que la chaîne.
Vous avez compris la petite référence. Bruce Toussaint sur le service public, plus jamais ?
Je n'en sais rien, je suis encore très jeune (rires) ! Ca m'a bien vacciné en tous cas... Aujourd'hui, ça ne m'attire pas du tout. Ca tombe bien car on ne me propose rien et j'ai un peu tout fait pour ça ! Je me suis permis de dire certaines choses, ce qui n'est pas tout à fait dans mon tempérament d'ailleurs. Je suis très bien où je suis...