Le groupe Canal+ de nouveau dans le viseur du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Après avoir infligé deux sanctions retentissantes à C8, chaîne en clair du groupe Canal, pour des séquences diffusées dans des émissions de Cyril Hanouna, le CSA se penche depuis le début de l'année sur une autre, diffusée cette fois sur la chaîne cryptée, le 22 décembre 2017 à 7h04. Cette dernière était, il est vrai, pour le moins intrigante, comme l'avait signalé le site "Les Jours" le 15 janvier dernier.
Programmée entre une rediffusion de "Tchi Tcha", le magazine de Laurie Cholewa et le "Tonight Show" de Jimmy Fallon, il s'agissait d'un clip de promotion du Togo de 6 minutes et 40 secondes, très éloigné tant dans sa forme que sur le fond des standards éditoriaux de Canal+. Le clip vantait ainsi lourdement les mérites d'un "pays stable et disposant d'infrastructures modernes" où serait conduite une "politique ambitieuse de développement" qui "encourage des investissements venus du monde entier". La voix off encensait aussi le président du pays, Faure Gnassingbé, dont le "pari" économique serait "reconnu aujourd'hui par les plus grands experts".
Tous les regards s'étaient mécaniquement tournés vers Vincent Bolloré, à l'époque président du conseil de surveillance de Canal+, et dont les activités au Togo sont nombreuses puisqu'il gère notamment le port autonome de Lomé, la capitale du pays, ou encore la salle de cinéma CanalOlympia, qu'il a inaugurée en octobre 2017. La semaine dernière, l'homme d'affaires breton a été mis en examen dans le cadre d'une enquête ouverte notamment pour "corruption d'agents publics étrangers" et portant sur la manière dont le groupe Bolloré a obtenu en 2010 la gestion des ports de Conakry, en Guinée, et de Lomé, au Togo. Dans une tribune publiée le 29 avril dans le "Journal du dimanche", Vincent Bolloré a contesté ces accusations.
Interrogés en janvier sur la diffusion de ce clip sur le Togo par les représentants du personnel, les dirigeants opérationnels de Canal+ auraient à l'époque assuré qu'il s'agissait d'"un reportage", et plus précisément, d'"un pilote d'une future collection consacrée aux 'initiatives positives'", comme le rapportait le site "Les Jours". Le choix du Togo aurait à cette occasion été présenté comme le fruit du plus pur "hasard". "L'actionnaire n'était même pas au courant", auraient même juré Gérald-Brice Viret et Franck Appietto, respectivement directeur des antennes et directeur des programmes de flux du groupe, lors d'un comité d'entreprise, refusant par ailleurs de préciser quelle société de production était derrière ce clip. Toujours selon le site "Les Jours", ce dernier serait en réalité largement inspiré de deux films institutionnels disponibles notamment sur le site officiel du gouvernement togolais.
De son côté, le Conseil supérieur de l'audiovisuel s'est saisi du dossier en janvier dernier, comme l'a rappelé ce week-end Nicolas Curien, le président par intérim du CSA. La diffusion de la séquence sur le Togo pourrait relever selon nos informations d'une méconnaissance de l'obligation d'honnêteté de l'information, consacrée notamment par l'article 15 de la convention de Canal+. Or, la chaîne cryptée a déjà fait l'objet d'une mise en demeure en 2009 sur ce même fondement, à l'époque pour un reportage sur des manifestations en Guadeloupe. En conséquence et comme le veut la procédure en cas de récidive, une procédure de sanction a été ouverte par le CSA.
Selon nos informations - reprenant celle des "Jours", le directeur général du CSA, Guillaume Blanchot, a ainsi saisi le 26 mars dernier le rapporteur indépendant Bertrand Dacosta, conseiller d'Etat. A charge pour lui, à l'issue d'une instruction dont il maîtrise le calendrier, de proposer ou non une sanction aux Sages de l'audiovisuel. Ces derniers seront alors libres de suivre ou non son avis. L'éventail de sanctions est large, allant d'une amende à la diffusion d'un communiqué à l'antenne, voire un retrait de l'autorisation d'émettre de la chaîne. Quelle qu'elle soit et si elle advient, cette sanction paraîtra forcément lourde au regard de l'audience pour le moins modeste réalisée par ce clip de promotion du Togo : 0 téléspectateur pour une part d'audience de... 0%.
Contactés par puremedias.com, ni le groupe Canal+ ni le CSA n'ont souhaité faire de commentaires.