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Conflit TF1-Canal+ : Récit d'un feuilleton médiatique, entre guerre des nerfs et guerre d'usure
Publié le 25 septembre 2022 à 11:00
Par Christophe Gazzano
Depuis le debut du mois de septembre et la coupure du signal des chaînes de TF1 par Canal+, c'est LE feuilleton qui tient en haleine les principaux acteurs du PAF ainsi que les téléspectateurs qui subissent cet état de fait. Laquelle des deux parties cèdera en premier ?
Conflit TF1/Canal+ : Didier Casas sur franceinfo © DR
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Bientôt un mois de bras de fer et de poker menteur et aucune embellie en perspective. Depuis le 2 septembre dernier, les chaînes du groupe TF1 (TF1, TMC, TFX, TF1 Series Films, LCI ainsi que le service myTF1) ne sont plus distribuées par Canal+ sur fond de désaccord financier autour du renouvellement du contrat de distribution qui liait les deux parties depuis fin 2018. Cette année-là, la brouille entre les deux acteurs concernant la négociation de leur contrat avait duré seulement une semaine, période à l'issue de laquelle Canal+ avait décidé de rétablir le signal des chaînes concurrentes, partant du constat que "la diffusion des chaînes gratuites resterait gratuite".

Si la saison 1 du feuilleton TF1/Canal+ s'était soldée par un happy end, l'issue de la saison 2 en cours s'annonce plus incertaine. Les deux showrunners, Gilles Pélisson (PDG de TF1) d'un côté et Maxime Saada (PDG de Canal+) de l'autre, ne se sont toujours pas accordés sur un scénario idéal pour une sortie de crise rapide. puremedias.com retrace les principaux événements qui ont émaillé ces trois semaines.

2 septembre 2022 : Ecran noir

Ce jour-là, les abonnés de Canal+ qui essaient de zapper sur une des cinq chaînes du groupe TF1 découvrent un écran noir accompagné d'un message leur expliquant en trois paragraphes pourquoi ils ne pourront plus désormais regarder leurs chaînes. On y apprend pêle-mêle que le contrat qui liait TF1 à Canal+ est arrivé à échéance et que "le groupe TF1 a manifesté sa volonté de revoir profondément ses exigences commerciales à compter du 31 août 2022". Des exigences qualifiées d'"infondées" et "déraisonnables". "Le groupe Canal+ est contraint de renoncer à diffuser ces chaînes".

Le message initial destiné aux abonnés de Canal+ © DR

Dans la foulée, le groupe Canal+ dégaine un communiqué de presse pour dénoncer la "position dominante de TF1". Un pavé dans la mare alors que le groupe s'apprête à être auditionné dès la semaine suivante par l'Autorité de la concurrence concernant son projet de fusion avec le groupe M6. Dans cette guerre d'image qui débute, le groupe crypté anticipe déjà un conflit de longue durée en évoquant la perspective de la Coupe du monde de football dont le coup d'envoi est attendu le... 20 novembre prochain et qui pourra être diffusée via beIN Sports "qui détient l'intégralité des droits de la compétition", là où la première chaîne ne proposera que les 28 meilleures affiches.

Du côté de TF1, moins de trois heures après l'ouverture des hostilités, on s'organise déjà. Un message est publié sur le compte Twitter officiel de la chaîne pour expliquer aux téléspectateurs comment continuer à recevoir ses chaînes. "Nous regrettons cette situation qui vous prive de vos contenus alors que vous continuez à les payer dans votre abonnement", balance la première chaîne.

Dans un communiqué de presse, la filiale du groupe Bouygues se fait fort de rappeler qu'un accord de distribution a déjà été trouvé "par l'ensemble des distributeurs Free, SFR, Bouygues Telecom, Orange, Molotov et Salto". Dans le journal de "13 Heures", Marie-Sophie Lacarrau consacre déjà un sujet à la crise qui vient de débuter. En fin de journée dans les colonnes du "Parisien", Didier Casas, secrétaire général de TF1, dénonce un "comportement de Canal+ qui n'est pas respectueux du public". Et souligne : "Les plus pénalisés sont les deux millions de foyers des zones isolées, souvent en montagne, qui ne peuvent recevoir la télévision que par satellite". Un argument dont la Une va se prévaloir les jours suivants pour tenter de désamorcer le conflit. Au total, 5,4 millions de foyers français sont concernés, dont 1,8 million situés en zone blanche.

A LIRE AUSSI : "Audiences : Quel impact pour TF1 après la coupure de son signal par Canal+ ?"

3 septembre : Gueule de bois pour TF1, la ministre de la Culture s'en mêle

A 9h01, les audiences de la journée de vendredi tombent et le verdict est sans appel pour TF1 : de nombreux rendez-vous déplorent une baisse d'audience. Le "13 Heures" de Marie-Sophie Lacarrau passe pour la première fois depuis la rentrée sous la barre des 4 millions de téléspectateurs et enregistre également sa plus faible part d'audience avec 36,9% du public contre 40,1% de part de marché une semaine plus tôt. Sur l'ensemble de la journée, la première chaîne pointe à 17,0% auprès du public âgé de 4 ans et plus. Une part d'audience qui s'élevait encore à 18,7% le vendredi précédent. Pour rappel, Canal+ représente entre 12% et 15% de son audience globale.

Ce même jour, la ministre de la Culture Rima Abdul Malak se fend d'un courrier adressé à Maxime Saada dans lequel elle l'appelle à son "sens des responsabilités et de l'intérêt général pour éviter de priver des centaines de milliers de foyers de la réception de l'intégralité des chaînes de la TNT". La membre du gouvernement fait ici référence à l'offre TNT Sat, assurée par Canal+, qui permet aux Français résidant en zone blanche de recevoir les chaînes de la TNT.

Canal+ publie son deuxième communiqué de presse en deux jours, dans lequel il souligne que "TF1 bénéficie d'avantages réglementaires propres aux chaînes gratuites, dont son canal numéro 1 et la possibilité de diffuser en exclusivité des événements sportifs majeurs comme la Coupe du monde de football, à condition qu'ils soient accessibles gratuitement à tous". A la fin de ce communiqué, la filiale de Vivendi s'engage à "reprendre dans les 24 heures la diffusion de ses chaînes gratuites de la TNT (du groupe TF1, ndlr) pour l'ensemble de ses abonnés dès lors que ce dernier l'y autorisera gratuitement".

Trop simple pour être vrai ? Dans l'intervalle, une source haut placée chez TF1 explique à puremedias.com : "Nous leur avons adressé un courrier spécifique quand on a compris qu'ils voulaient interrompre les discussions pour bien leur spécifier que nous les autorisions à poursuivre la diffusion dans les zones satellitaires". Autrement dit dans les zones dépendant du service TNT Sat.

Maxime Saada, patron de Canal+ © Abaca
4 septembre : La carte postale de Canal+

La première prise de parole publique de Maxime Saada dans ce dossier se déroule dans les colonnes du "Journal du dimanche" ce jour-là. Un choix logique. L'hebdomadaire appartient au groupe Lagardère, dont l'actionnaire de référence n'est autre que Vincent Bolloré, qui détient par ailleurs Canal+. CQFD. L'heure n'est pas au compromis. "TF1 souhaite nous imposer une augmentation de 50% de sa rémunération", dénonce le patron de Canal+. "Je le redis, les chaînes gratuites de la TNT - telles que celles du groupe TF1 - sont gratuites et doivent le rester", estime Maxime Saada.

Il en profite pour répondre publiquement à la ministre de la Culture : "Nos relations avec le groupe TF1 s'inscrivent dans le cadre de relations commerciales privées, dans lesquelles les pouvoirs publics ne peuvent s'immiscer". Les jours suivants conforteront cet argument.

5 septembre : TF1 montre les muscles, Molotov entre dans la danse

Le premier week-end de crise est douloureux par TF1 qui a vu son sacro-saint "20 Heures" être doublé à deux reprises par celui de France 2, le vendredi et le samedi. Dès lors, le secrétaire général de TF1, Didier Casas, après avoir tendu la main quelques jours plus tôt à son concurrent, hausse le ton. Invité sur franceinfo, il qualifie de "fantaisistes" les 50% d'augmentation du contrat de distribution dénoncés par Canal+ et prévient : "Nous avons des impacts d'audience extrêmement importants qui nous créent un préjudice qu'on ne laissera pas passer".

De son côté, Molotov, qui se présente comme "le premier service de distribution de la télévision sur internet" affiche dans un communiqué son soutien à Canal+. "Si les éditeurs de la TNT gratuite ont fait la promesse de faire financer leurs chaînes par la publicité, ce n'est pas pour faire levier de ces avantages afin d'imposer aux distributeurs des conditions financières et techniques qui ne peuvent qu'être répercutées aux téléspectateurs qu'à leur détriment, et menacer le pluralisme", prévient la plateforme française de streaming.

A LIRE AUSSI : "Conflit TF1-Canal+ : Toutes les questions qui se posent dans ce dossier brûlant"

7 septembre : Rendez-vous au tribunal

Le conflit entre les deux parties se déporte sur le terrain judiciaire. "Le Figaro" annonce que TF1 assigne le groupe crypté au tribunal de commerce en référé pour obtenir le rétablissement du signal des chaînes de TF1 sur le service TNT Sat qui dessert les zones blanches. Le même jour, Canal+ affirme sa volonté d'assigner à son tour le groupe de Gilles Pélisson devant le tribunal de commerce de Nanterre notamment pour "abus de position dominante" concernant les conditions du nouvel accord de distribution.

10 septembre : TF1 alerte les maires

L'infatigable Didier Casas prend sa plus belle plume pour s'adresser au président de l'Association des maires de France, David Lisnard et alerter sur l'écran noir auquel sont confrontés les foyers français situés en zone blanche. "Pour nous, la télévision est populaire et universelle ; elle ne fait pas de différence entre les Français", soutient le secrétaire général de TF1. Deux jours plus tard, l'association annonce avoir écrit à son tour sur le sujet à l'Arcom, le gendarme de l'audiovisuel.

11 septembre : TF1 adapte sa communication

Les sites médias qui relaient les audiences de la veille sans faire mention du conflit entre TF1 et Canal+ ont le don d'irriter la première chaîne, qui prend le parti désormais d'indiquer à la fin de chacun de ses tweets d'audience la mention "Malgré l'impact sur nos audiences de la coupure Canal+ et TNT Sat".

12 septembre : L'Arcom se déclare impuissante

Le président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), Roch-Olivier Maistre, répond à David Lisnard, président de l'Association des maires de France : "La loi n'offre pas au régulateur de levier juridique pour contraindre les opérateurs à remédier à cette situation dommageable". L'institution réitère sa proposition de "conduire une médiation" entre TF1 et Canal+ pour trouver une issue favorable au conflit.

14 septembre : Canal+ remet une pièce dans la machine

C'est soir de fête pour Canal+ qui présente aux journalistes ses locaux flambant neufs à Issy-le-Moulineaux à l'occasion de sa conférence de presse de rentrée. Interrogé sur le dossier TF1/Canal+, Maxime Saada revient une fois de plus sur le volet financier avec une comparaison qui ne passe pas inaperçue : "Les montants dont on nous parle, ce sont des montants qui sont comparables quand on dit qu'on a signé avec Sony et Universal. On parle de ces eaux-là. Ce n'est pas possible pour nous de s'engager dans une voie comme ça qui serait préjudiciable à un moment donné pour nos abonnés, d'une manière ou d'une autre", clame le patron du groupe crypté.

17 septembre : Les personnalités de TF1 montent au créneau

Dans un clip mis en ligne sur les réseaux sociaux, la première chaîne mobilise Anne-Claire Coudray, Marie-Sophie Lacarrau, Jean-Luc Reichmann, Denis Brogniart ou encore David Pujadas pour expliquer au public comment continuer à recevoir les chaînes du groupe TF1. "C'est votre droit et il y a des solutions", lance Arthur face caméra. Les internautes sont invités à scanner un QR code pour découvrir les solutions proposées.

19 septembre : Les personnalités de C8 s'en mêlent

Le clip de TF1, abondamment commenté, donne des idées à la bande de Cyril Hanouna, qui n'hésite pas à le parodier dans "Touche pas à mon poste". Ses chroniqueurs et lui moquent des programmes de la Une aux audiences relatives, tels "District Z" ou "Good Singers". Avec ce message final délivré par Cyril Hanouna : "Nous demandons expressément au groupe Canal de ne surtout pas rétablir la diffusion des chaînes du groupe TF1". Même si le ton se veut léger, le message lancé a le mérite d'être clair.

20 septembre : Le président de l'Arcom veut faire bouger les lignes

Lors de la présentation du rapport d'activité 2021 de l'Arcom à la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, Roch-Olivier Maistre appelle à "compléter la loi" pour éviter des coupures de signal. Une évolution qui pourrait aller selon le président de l'institution jusqu'à une obligation de portage des chaînes hertziennes pour les diffuseurs satellitaires.

Roch-Olivier Maistre, président de l'Arcom © Abaca
22 septembre : TF1 perd une manche

Le tribunal de commerce de Paris déboute TF1 de sa demande concernant le rétablissement du signal dans les zones blanches via le service TNT Sat. Dans son argumentaire, le tribunal de commerce s'apppuie sur les déclarations de l'Arcom indiquant ne pas avoir de "levier juridique" pour remédier à la situation. En conséquence, le tribunal de commerce retient qu'il n'existe "aucune obligation légale ou réglementaire" à opposer à Canal+. TF1 annonce faire appel de cette décision.

Dans un communiqué, la première chaîne rappelle que le service TNT Sat n'est pas concerné par l'accord de distribution incriminé et est "proposé par le groupe Canal+ aux consommateurs comme une offre autonome, indépendante des abonnements aux autres offres payantes du groupe". Par conséquent, le groupe TF1 "regrette que le tribunal de commerce n'en ait pas tenu compte".

La filiale de Bouygues annonce enfin avoir mis en place "une campagne d'envergure dans l'ensemble de la presse régionale, sur les radios locales et les réseaux sociaux et en ouvrant une assistance téléphonique" pour accompagner les téléspectateurs.

A LIRE AUSSI : "Rodolphe Belmer à la tête de TF1 : Quand la Une se la joue 'esprit Canal'"

23 septembre : Le message de Gilles Pélisson

En fin de matinée, une semaine après l'abandon de la fusion entre TF1 et M6, TF1 annonce le nom du successeur du PDG de TF1. Il s'agit de Rodolphe Belmer, un ancien dirigeant de... Canal+. Dans une interview au "Parisien", l'actuel PDG, Gilles Pélisson, fait un constat sans appel concernant le groupe crypté : "Ce groupe est dans le rapport de force et estime que tous les moyens sont bons pour faire prévaloir ses intérêts". Interrogé sur la possibilité que ce bras de fer perdure jusqu'au début de la Coupe du monde de football en novembre prochain, le dirigeant lance : "Cela ne dépend pas de nous. Cela dépendra de la volonté de Canal de faire ou non durer la souffrance des téléspectateurs". Et par là-même la souffrance de TF1, qui doit notamment lancer dans les semaines à venir une nouvelle saison de la "Star Academy" et espère le faire devant une salle pleine...

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