Le grand retour de "Plus belle la vie". Touché comme les autres feuilletons quotidiens par la crise sanitaire, le doyen des feuilletons français proposera de nouveau des épisodes inédits à compter de ce lundi à 20h20 sur France 3. Contrairement à "Demain nous appartient" sur TF1 et à "Un si grand soleil" sur France 2, la série est restée à l'antenne durant le confinement, avec des inédits jusqu'au 1er mai, suivis de rediffusions. Si le tournage a repris depuis la fin du mois de mai, il se déroule désormais dans des conditions particulières.
Productrice de "Plus belle la vie" depuis le mois de novembre, Géraldine Gendre, qui a pris la suite de Sébastien Charbit, a vécu à cette occasion sa première grande crise. Dans une interview accordée à puremedias.com, elle revient sur la manière dont son équipe a vécu ce bouleversement, ainsi que sur ses ambitions pour la série qui a soufflé ses 15 bougies en 2019.
Propos recueillis par Christophe GazzanoQu'est-ce-qui vous a convaincu de rejoindre "Plus belle la vie" ?
Si j'ai fait toute ma carrière dans le cinéma, cela a toujours été dans l'environnement de la télévision. J'étais au croisement de ces deux mondes, que ce soit à M6 ou à StudioCanal. J'ai grandi professionnellement au sein de M6, où j'ai passé 13 ans. C'est une chaîne dans laquelle on est assez touche-à-tout, avec de nombreuses passerelles. J'ai donc toujours été au contact de la fiction, notamment avec mes collègues de l'époque sur "Scènes de ménages". Avec souvent des talents : j'ai rencontré Tarek Boudali sur "En famille" puis "Epouse-moi mon pote" et "Alibi.com" quand j'étais à StudioCanal. J'y ai été recrutée pour m'occuper du département de la production de la filière France et donc de la commercialisation, ce qui incluait la création originale, les téléfilms... Donc j'étais au contact là-aussi de la fiction. Le temps passant, les frontières sont tombées entre le cinéma et la fiction, que ce soit en termes de talents (écriture, réalisation, comédiens) et en termes de réflexion financière. Avec "Plus belle la vie", je n'ai pas eu l'impression de faire un saut dans le vide, car j'étais riche de toute cette expérience.
"J'avais envie de travailler sur une matière plus pérenne dans le temps"
C'était une suite logique pour vous ?
Oui. Dans le cinéma, j'étais habituée à travailler sur des temps longs et c'est ce qui m'a intéressé avec "Plus belle la vie". On est obligés de tout anticiper et d'avoir une réflexion sur le long terme. Le côté "one shot" de la production télé classique unitaire m'intéressait moins. J'avais envie de travailler avec une matière plus pérenne dans le temps, sur laquelle on peut faire évoluer les choses sur du court, du moyen et du long terme. Ensuite, de par mon univers, ce qui m'a toujours intéressée, ce sont les histoires et le public. J'ai toujours travaillé dans le sens du populaire, comme avec "Le Grand Bain" qui est un film d'auteur à vocation populaire. Je ne pense pas savoir faire autre chose (sourire).
Après, cela a été une question de rencontres. J'ai rencontré Guillaume de Menthon, le président de TelFrance ; Pierre Monjanel, le directeur de collection... Il fallait qu'il y ait entre nous une vision commune, une compatibilité. Cela m'a permis de constater que je pouvais apporter quelque chose à "Plus belle la vie".
Comment s'est déroulée la transition entre Sébastien Charbit (ancien producteur, ndlr) et vous ?
Très bien. Même si je suis arrivée au mois de novembre, la décision a été actée pendant l'été. A partir du mois de septembre, j'étais déjà impliquée en rencontrant les équipes, en lisant les textes, en assistant à certaines réunions ou en rencontrant France Télévisions. En parallèle, j'avais des missions à terminer donc j'ai alterné entre deux univers pendant deux mois. Sébastien a été super. Il y a eu un vrai passage de relais. "Plus belle la vie" est une machine qui ne s'arrête jamais. C'est ce qui m'intéressait aussi, cette polyvalence sur de nombreux sujets aussi bien artistiques que marketing.
Aviez-vous déjà regardé "Plus belle la vie" avant d'accepter ce poste ?
Oui. A l'époque, chez M6, avec mes collègues de la fiction, on avait regardé au moment de son lancement ce "soap français" avec curiosité. J'ai ensuite suivi de manière ponctuelle des épisodes ou des primes pour comprendre ce phénomène. Même si je travaillais dans le milieu du cinéma, cela me permettait d'alimenter ma réflexion. Je me suis mise à regarder "Plus belle la vie" activement depuis ma prise de contact avec les équipes.
"Je me préserve par rapport aux réseaux sociaux"
Depuis votre arrivée à la tête du feuilleton, vous êtes très discrète sur les réseaux sociaux. Est-ce pour vous préserver ou parce que vous n'êtes pas du tout portée sur ce type de support ?
Il y a plusieurs raisons. Je n'ai pas grandi avec les réseaux sociaux et oui, je me préserve. Nous sommes dans un milieu où tout peut être décuplé, encensé comme surinterprété. Je ne pense pas être une spécialiste des réseaux sociaux et je les laisse donc à ceux qui s'y connaissent. A titre personnel, je ne suis pas active sur les réseaux sociaux.
Quelle est votre méthode de travail ?
Je suis dans le dialogue. Je délègue beaucoup car on ne peut pas être bon partout. Mon rôle est celui d'un chef d'orchestre. Je fais beaucoup de pédagogie. Je suis assez cash, c'est ce qu'on me dit souvent. La transparence est importante également car tout va très vite. Je suis dans le plaisir aussi !
Comment s'est passée la rencontre avec Michelle Prodroznik (productrice historique, ndlr) ?
Michelle est une marraine pour moi. Elle a été très accueillante et est toujours aussi impliquée.
Quelles sont vos ambitions pour "Plus belle la vie" ?
L'idée, c'est de ne pas faire de rupture, mais d'améliorer les choses qui peuvent l'être et de garder toutes celles qui fonctionnent et qui constituent l'ADN de la série depuis plus de 15 ans. Je pense qu'il y a certaines dominantes de bienveillance, de tendresse, d'humour, qui n'empêchent pas l'émotion. Nous ne sommes pas dans une série comique mais dans une série de divertissement, inscrite dans une réalité sociale. L'idée est de pousser les curseurs qui existent déjà.
"Hors de question de reprendre le tournage pour l'interrompre de nouveau"
Cette crise sanitaire qui a obligé le tournage à s'interrompre pendant deux mois, ça a été votre baptême du feu ?
Oui ! Heureusement, j'étais déjà là depuis cinq mois. Il y a d'abord eu cette similitude troublante avec une intrigue pensée au mois de juin de l'année précédente (une mise en quarantaine dans un hôpital en raison d'un coronavirus, diffusée en mars 2020, ndlr). Nous avons pris des précautions dès la fin du mois de février avec les gestes barrière, le gel hydroalcoolique, le changement à la cantine... Le 15 mars, après les annonces du Premier ministre, nous avons mis en place une cellule de crise pour essayer de limiter la casse en étant conscients que le tournage allait s'arrêter. L'urgence était alors de boucler le maximum de séquences prioritaires pour compléter les épisodes qui étaient presque aboutis.
Nous avions 16 séquences à tourner en deux jours (le tournage a été arrêté mardi 17 mars au soir, ndlr) pour assurer deux semaines de diffusion supplémentaires et nous avons réussi en réécrivant certaines scènes et en faisant revenir des comédiens en urgence. Je les remercie car ils ont joué le jeu. Les scénaristes ont travaillé en un temps record. Cela a été un vrai travail d'équipe au sens large. Pour l'anecdote, dans un des derniers épisodes diffusés, lorsque Thomas (Laurent Kerusoré, ndlr) confie à Estelle (Elodie Varlet) sa virée dans une boîte de nuit pour essayer de retrouver Steven, c'est une scène qui aurait dû être tournée dans une discothèque. On a donc trouvé ce subterfuge en faisant le choix de raconter la scène plutôt que de la montrer.
Derrière, il y a eu tout le travail de postproduction à organiser alors que nous étions encore dans le flou sur les conditions du confinement. Avec Virginie Izard (responsable de la postproduction, ndlr), nous avons décidé d'envisager le pire, c'est-à-dire de délocaliser le montage chez un monteur, le mixage chez un mixeur, etc, en télétravail. Sans cela, nous n'aurions pas pu livrer la chaîne et être en diffusion jusqu'au 1er mai. La priorité a été ensuite de voir comment reprendre le plus vite possible, dans de bonnes conditions. Il était hors de question de reprendre le tournage pour l'interrompre de nouveau.
"Il y avait un risque de décalage"
Le 29 juin, 'Plus belle la vie' va-t-il revenir à l'antenne de la même manière que si les téléspectateurs l'avaient quitté le vendredi précédent ?
Oui. La réflexion que nous avons eue avec les auteurs comme avec le diffuseur, c'est que le public avait envie de retrouver ses personnages et leurs histoires. Pour coller à la réalité en vue du retour à l'antenne fin juin, nous aurions dû écrire début avril. Mais sur quelle base ? Il y avait un risque de décalage. Cela aurait été le pire pour la série. Dans un second temps, il y aura donc des références aux conséquences économiques et sociales de la crise.
Une des spécificités de "Plus belle la vie" par rapport aux deux autres feuilletons existants, c'est cet immense décor fixe (sur 1000 m2) qui constitue la place du Mistral. Est-ce-que vous ne vous sentez pas à l'étroit dans ce décor, après 16 ans d'existence ?
Pour moi, la place du Mistral constitue un personnage à part entière de la série. Il y a un gros travail de réflexion en cours pour réincarner cette place à l'image et réinvestir des endroits du Mistral qu'on ne voit plus. Mais il est trop tôt pour en parler.
Les dix ans de la série avaient été marqués par l'incendie de l'hôtel Le Select dans l'intrigue, ce qui avait permis de changer de décor. D'autres changements aussi radicaux sont-ils envisagés dans les mois à venir ?
Pas à ce jour. Il y aura des changements, mais moins marquants. Tourner différemment, cela ne signifie pas changer de décor ou prendre plus de place. Avec les nouvelles conditions sanitaires, on teste des choses auxquelles on avait pensé avant, comme le fait de tourner désormais avec deux caméras (au lieu de trois en intérieur, ndlr).
"Nous avons souffert de la surperformance des journaux télévisés"
Sur la diffusion linéaire de "Plus belle la vie", les audiences sont en baisse sur un an avec la perte de 300.000 téléspectateurs entre la rentrée et le mois de mars, avant le confinement. Est-ce-un motif d'inquiétude pour vous ?
Nous y sommes forcément sensibles. Je pense que nous avons souffert de la surperformance des journaux télévisés au moment des gilets jaunes ou de la grève du mois de décembre (dans les transports, ndlr) et au début de la crise sanitaire, au mois de février. Nous sommes le seul feuilleton en frontal avec les "20 Heures", sachant que l'audience d'un JT peut varier d'un million d'un jour à l'autre en fonction de l'actualité. Il y a aussi le changement d'horaire, qui a pu déstabiliser le téléspectateur (pendant le confinement, l'épisode a débuté vers 20h40, contre 20h20, ndlr).
Maintenant, il ne faut pas oublier que les modes de consommation ont changé. Venant du monde du cinéma, j'ai pu assister à ce phénomène. Ayant deux enfants de 15 et 18 ans, je vois bien que nous n'avons pas du tout les mêmes modes de consommation. Il faut prendre aussi en compte le poids de l'audience consolidée et du preview, qui cartonne (les épisodes sont diffusés chaque jour dès 6h du matin sur internet, ndlr). Les chiffres en linéaire sont un indicateur déterminant, mais ce n'est pas le seul. Il faut rester vigilants. Mais quand on fait 4 millions de téléspectateurs (record de saison le 31 mars dernier avec 4,05 millions et 13,7% de part de marché selon Médiamétrie, ndlr) pendant le confinement, c'est bien le signe qu'il y a une appétence du public pour la série.
"Plus belle la vie" est une série très piratée, avec près de 350.000 visionnages illégaux chaque jour. Comment lutter contre ce phénomène ?
France Télévisions est très vigilante sur ce sujet. Nous avons pris les mesures nécessaires avec eux. Nous luttons avec nos moyens, qui nous permettent de limiter le phénomène, mais pas de le supprimer malheureusement. Même si "Plus belle la vie" est la série la plus piratée derrière "Game of Thrones", cela ne doit pas être un motif de fierté.
Ne pensez-vous que la diffusion en avance de 'Plus belle la vie' dans les pays limitrophes est de nature à favoriser le piratage ?
Je ne sais pas. Mais il n'y a pas qu'un seul canal d'approvisionnement. Ils sont multiples, tout comme les canaux de diffusion puisque quand un site ferme, un autre ouvre, etc.
De quelle manière prenez-vous en compte les remarques des téléspectateurs concernant les intrigues ou les personnages, laissées sur les réseaux sociaux, par exemple sur Twitter ?
Il faut prendre en compte les dénominateurs communs. Quand une même remarque revient à plusieurs reprises, il faut l'analyser pour voir si cela concerne par exemple un personnage dans une arche à un instant T. Des personnages ont une fonction dans la série et sont vraiment nécessaires, que ce soit par leur métier ou par leur profil représentatif de la population.
Une des marques de fabrique de 'Plus belle la vie', c'est sa capacité à développer des trajectoires sur le long terme, sur deux ans en moyenne. Allez-vous conserver ce principe ?
Oui. C'est un travail que nous réalisons désormais plus tôt, dès le mois de janvier et non plus en mai ou en juin pour avoir plus de temps sur l'écriture.
"Nous finalisons le nouveau générique"
Comptez-vous remettre en avant des personnages historiques de la série, comme par exemple Charles Frémont, incarné par Alexandre Fabre, dont la présence a été réduite à la portion congrue ces dernières années ?
Nous n'avons que trois arches par épisode et nous ne pouvons pas construire des arches sur mesure pour chaque personnage. Mais les historiques sont toujours présents comme Mirta, Blanche, Céline, Thomas... Il ne faut pas oublier que c'est une série transgénérationnelle. Le personnage préféré de l'un n'est pas forcément celui de l'autre.
Un des serpents de mer de 'Plus belle la vie', c'est ce fameux nouveau générique, annoncé pour l'automne 2019 et qui semble avoir été repoussé aux calendes grecques. Qu'en est-il ?
Nous le finalisons, ce n'est pas du tout abandonné. La mise à l'antenne prévue a été décalée avec les deux mois d'interruption de tournage. Nous avons envie de faire ça bien, de présenter ce nouveau générique au bon moment.
Peut-on espérer le découvrir avant la fin de l'année ?
J'espère le proposer avant la fin de l'année.
Un autre serpent de mer est le retour de Laetitia Milot, plusieurs fois annoncé. Cela fait-il partie des projets ?
Pas à ce jour.
Des fans ont suggéré l'idée qu'un crossover entre les trois feuilletons existants puisse voir le jour. Votre prédecesseur Sébastien Charbit s'y était déclaré favorable. Que pensez-vous de cette idée ?
Je suis un peu dubitative sur la valeur ajoutée que cela apporterait. Ce n'est pas du tout à l'ordre du jour.
Au mois de mars, le quotidien "Les Echos" annonçait dans un article l'arrêt possible de 'Plus belle la vie' en 2024. Comment avez-vous réagi ?
J'ai été surprise. Mais j'ai relu l'article avec le recul et quand on le regarde dans le détail, on s'aperçoit qu'il ne faisait rien de plus que refléter une réalité en évoquant des contrats qui durent une certaine période et sont renégociés. Alors oui, quand "Plus belle la vie" ne fera plus d'audience, la question se posera peut-être. Mais je ne connais pas de diffuseur qui serait prêt à renoncer à un programme qui réunit 3,5 millions de téléspectateurs chaque jour...