Bienvenue dans la "Plus belle la vie Safe Zone". Au pôle média de la Belle de Mai, à Marseille, où se tourne le feuilleton de France 3, c'est le nom donné au dispositif de prévention qui entoure la reprise du tournage depuis le 26 mai dernier. Port du masque obligatoire, sens de circulation, distanciation sociale, gestes barrière... font désormais partie du lot commun des équipes de TelFrance, qui évoluent sur les quelque 3700m2 de studios où sont répartis les différents décors et où puremedias.com s'est rendu mercredi dernier.
"Le but est que chacun se sente plus en sécurité ici que n'importe où ailleurs dans sa vie", résume Virginie Izard, directrice d'exploitation de Studios de Marseille, en charge notamment de la postproduction, qui a oeuvré à la mise en place de toutes les mesures nécessaires. "Si je ne m'étais pas senti en sécurité, je l'aurais fait savoir", abonde Pierre Martot, qui incarne le policier Léo Castelli depuis 2004. Un médecin est désormais présent sur place toute la journée pour apporter ses conseils et son expertise et recevoir en entretien individuel toute personne le souhaitant.
Habituée à travailler vite et bien, cette industrie a dû apprendre à ralentir à cause du coronavirus. Outre les nombreuses mesures sanitaires, la production a donc été amenée à résoudre une sacrée problématique : comment rattraper le retard accumulé en deux mois d'interruption, alors même que le rythme de tournage est désormais ralenti pour chaque équipe avec moins de séquences tournées chaque jour ? Le choix a donc été fait de passer à non plus trois, mais quatre équipes avec la création d'une équipe légère supplémentaire en intérieur, baptisée équipe D, pour retrouver à terme un délai raisonnable entre le tournage et la diffusion à l'antenne ; soit cinq semaines.
En plateau, les effectifs ont été réduits. Coiffeuses et maquilleuses observent le tournage par écran vidéo interposé et n'interviennent plus pour les retouches. Charge aux comédiens de les réaliser eux-mêmes avec le kit mis à leur disposition. Ils peuvent être guidés par talkie walkie si nécessaire. "Cela nous responsabilise un peu plus", confie Elodie Varlet, alias Estelle, entre deux prises. La jeune femme avoue avoir du mal à s'habituer au port du masque, obligatoire même pendant les répétitions. "C'est un peu anxiogène", juge-t-elle. "C'est contraignant pour nous, mais moins que pour les techniciens qui doivent le porter toute la journée", abonde sa partenaire de jeu, Léa François (Barbara). "Humainement, ça se passe aussi bien qu'avant", résume Emanuele Giorgi, qui joue Francesco dans le feuilleton.
Certaines habitudes sont dures à perdre, comme pour cette comédienne rappelée gentiment à l'ordre à la fin d'une séquence, après avoir touché son partenaire, portée par l'élan de sa réplique. "J'ai pas touché ses mains, j'ai touché ses manches !", tente-t-elle de se défendre, tandis que le premier assistant réalisateur fait oeuvre de pédagogie en l'invitant à utiliser du gel hydroalcoolique.
Pour les scènes en intérieur ou sur la place du Mistral, il n'y a désormais plus trois mais deux caméras. En extérieur, les équipes sont passées à une caméra. De l'avis de Pascal Roy, réalisateur de l'équipe A (en intérieur), le rendu à l'image est "plus esthétique". "Avoir une bonne lumière dans trois axes différents, c'est compliqué", souligne-t-il. Pour gommer la distance obligatoire entre comédiens, le professionnel n'hésite pas à utiliser les plans en amorce, qui permettent d'avoir deux interlocuteurs sur le même plan en créant l'illusion de la proximité.
Eric Hénon, le directeur d'acteurs, observe que "la distance est plus facile pour les comédiens qui viennent du théâtre". Il accueille ces contraintes comme un nouveau challenge. "C'est plus compliqué, mais c'est plus intéressant. Cela oblige à jouer beaucoup avec les regards et les comédiens sont plus à l'écoute entre eux". Ces nouvelles habitudes ont dû être apprivoisées par les figurants, dont s'occupe Quentin Le Carrour, le deuxième assistant réalisateur. Leur nombre a été réduit de moitié. "Hier, j'ai un jeune qui a tour à tour été au lycée, au commissariat et a été arrêté place du Mistral", s'amuse-t-il. L'homme a recours aux vrais couples dans la vie ou à des personnes vivant ensemble pour que des figurants puissent continuer à s'embrasser ou à se tenir la main.
Côté écriture enfin, le directeur de collection, Pierre Monjanel, a dû repenser son organisation, avec des auteurs en télétravail, désormais répartis par binômes pour plancher sur une histoire sur une longue durée alors que jusqu'à présent, des sessions à neuf auteurs étaient réalisées chaque semaine pour travailler sur quatre histoires. Des scènes ont dû être réécrites pour respecter les normes sanitaires, obligeant à rivaliser d'ingéniosité. "Des maillots de bain qui volent au bord des piscines, des ombres chinoises, du son... On joue avec le hors champ", explique le responsable.
Pierre Monjanel a fait le choix de ne pas réécrire tous les scénarios, pour ne pas retarder la reprise du tournage, conscient des enjeux économiques. Même si le feuilleton a traité du sujet en mars dernier avec une intrigue imaginée quelques mois plus tôt et qui s'est retrouvée propulsée involontairement en plein coeur de l'actualité, il n'y aura donc pas dans l'immédiat de nouvelle allusion au coronavirus dans "Plus belle la vie" pour son retour sur France 3 le 29 juin.
Un comble pour un feuilleton habitué depuis son lancement à être au plus près de l'actualité. "C'est contre-intuitif pour nous", reconnaît le directeur de collection, qui avoue avoir eu envie de raconter le confinement de ses personnages, sous forme de flashback, avant d'y renoncer compte tenu du temps de préparation que cela aurait demandé. C'est donc seulement au début du mois de septembre que les intrigues prendront en compte la nouvelle donne à l'antenne. "Nous allons traiter des conséquences indirectes, des difficultés économiques", annonce Pierre Monjanel, avec par exemple un plan social dans une entreprise, un personnage qui se retrouve à la rue... Un mois de septembre qui sera aussi marqué par l'arrivée d'une nouvelle génération de lycéens, désormais menée par Noé (Eliot de Faria), dont le personnage a été le tout premier bébé de la série en 2007. La vie continue.