Où en est franceinfo ? Le 1er septembre dernier, France Télévisions et Radio France, épaulées par l'INA et France 24, lançaient une quatrième chaîne d'info sur le canal 27 de la TNT. Montée en un temps record, cette chaîne conçue comme une offre globale d'information a marqué les esprits par son caractère innovant. Trop au goût de certains, qui n'ont pas manqué de pointer du doigt un trop grand séquençage et un manque d'incarnation de l'antenne TV.
Du côté des audiences, si franceinfo est parvenue à se tailler rapidement une place de choix sur le digital, elle enregistre des résultats plus timides du côté des audiences télé en tournant aux alentours de 0,3% de PDA.
puremedias.com a décidé de faire le bilan de ces premiers mois d'existence de franceinfo avec ses deux principaux papas, Germain Dagognet, directeur délégué à l'information à France Télévisions, et Laurent Guimier, patron de franceinfo. L'occasion de revenir avec eux sur les réussites et les ratés de cette nouvelle offre d'information mais aussi de dévoiler en exclusivité les nouveautés qui attendent les téléspectateurs.
Propos recueillis par Benjamin Meffre.
puremedias.com : Le bébé franceinfo a près de cinq mois. Marche-t-il déjà ou est-il encore en position assise selon vous ?
Germain Dagognet : Pour moi, il marche !
Laurent Guimier : Pour moi aussi ! Si on parle du média global, il marche même très bien !
Germain Dagognet : L'offre globale s'inscrit dans une belle dynamique ! La télé, parce que c'est un média plus complexe, met plus de temps à s'installer mais elle progresse. Je rappelle que la chaîne n'a été lancée que le 1er septembre 2016 ! On est sorti de la période du démarrage qui est toujours délicate car il faut maîtriser la mécanique, se connaître et apprendre à travailler ensemble. Nous apportons des ajustements au jour le jour mais globalement, elle fonctionne bien !
Laurent Guimier : Il n'y a pas de raison de croire qu'après cinq mois d'existence, BFMTV, iTELE ou LCI faisaient beaucoup mieux que nous. On peut même se dire qu'on a un peu mieux sorti la tête de l'eau que d'autres après la même durée d'existence. Nous n'avons pas à rougir !
Quatre mois après cette naissance au forceps, pensez-vous être parvenus à casser les codes de l'information, votre ambition du départ ?
Germain Dagognet : Si on nous adresse certaines critiques, on salue l'originalité de notre écriture par rapport aux autres chaînes d'info. Notre caractère différent et innovant est reconnu par tous. De ce point de vue-là, le pari est réussi. Notre ligne éditoriale est différente, avec ses qualités et des aspects qui peuvent parfois paraître déroutants.
Pensez-vous avoir ringardisé vos concurrents ?
Germain Dagognet : Ce n'est pas l'objectif !
Laurent Guimier : L'objectif est de défricher ! Nous avons encore plein de choses à tenter sur la chaîne. Nous en avons d'ailleurs encore sous le pied. Nous aurions pu faire une chaîne d'info "classique". Cela aurait été plus facile et moins fatiguant. Mais nous voulons tenter de faire de l'info en continu de manière différente. C'est notre réponse à la question souvent posée : "Pourquoi une quatrième chaîne info ?". Alors c'est parfois déroutant et imparfait, mais on y croit !
Germain Dagognet : Ce pari tient aussi au fait qu'on ne s'est pas positionné comme une "simple" chaîne d'info en continu. On a réfléchi ensemble à une offre globale reposant sur quatre piliers : le web, l'offre en mobilité, la radio et la télévision. C'est la même marque, le même habillage et une ligne éditoriale trouvant des points de rencontre et partageant les mêmes valeurs.
Comment rendre cohérent une production d'information conçue avant tout pour le digital mais qui doit aussi passer à la télévision ?
Germain Dagognet : C'est ce qu'on fait avec nos modules. Ce sont des formats diffusés en télévision mais d'abord destinés au web et au partage sur les réseaux sociaux.
Laurent Guimier : Les modules constituent une très bonne surprise par rapport aux nombreuses appréhensions qu'ils pouvaient susciter dans les rédactions. Franchement, cela fonctionne ! Les codes sont certes très différents car ils sont pensés pour le digital. Mais ils passent bien à la télévision. Ce "reverse publishing", qui va du numérique à la télévision, est une belle réponse aux sceptiques et apporte quelque chose de différent. Support par support, on arrive à une cohérence qui n'était pas gagnée d'avance. On fait des ajustements en permanence pour que le bébé grandisse bien. Mais au final, les intuitions de départ sont plutôt confirmées.
Comment qualifieriez-vous la relation entre vos deux entreprises en un mot ?
Germain Dagognet : Excellente ! La coordination se fait au quotidien entre les trois rédacteurs en chef de permanence. Nous avons mis en place des règles précises sur lesquelles nous avons beaucoup réfléchi en amont tous ensemble.
Laurent Guimier : On se parle tout le temps via une plateforme de discussion commune sur Whatsapp. C'est un des outils du média global. Il y a encore des soucis et des incompréhensions parfois, mais c'est normal ! Au fil des rencontres, des mois, les choses s'arrangent !
Ces modules dont vous parliez donnent malgré tout une antenne ultra-séquencée. Trop au goût de certains. Comptez-vous apportez des ajustements dans la V2 de la chaîne ?
Germain Dagognet : Il n'y a pas véritablement de V2. Nous sommes en réalité dans un processus d'ajustements permanents. Par exemple, on nous a très vite fait remarquer que le bandeau déroulant était trop petit, pas assez lisible et ne donnait pas assez d'intensité à l'actualité. C'est la première modification que nous avons réalisée. Il y a désormais un texte plus long, sur deux lignes, et un nouvel habillage. On est aussi passé de 12 à 25 dépêches alimentant en permanence le bandeau.
Laurent Guimier : Le bandeau a déjà beaucoup évolué sur la forme. Il doit encore évoluer sur le fond. C'est Radio France, et plus précisément la radio franceinfo qui, avec son agence créée il y a un an, est en charge de ce bandeau. Ce n'était pas notre coeur de métier historique mais on savait qu'on avait les ressources et l'envie. On pensait aussi être les mieux placés pour le faire puisque notre agence produit déjà toute la journée des dépêches internes. Mais c'est un nouveau métier qu'on apprend et il y a encore du travail à faire.
Quid de l'antenne en elle-même et de ce reproche d'empilement des modules ?
Germain Dagognet : Nous en avons parfaitement conscience. Pour être tout à fait franc, on le savait un peu dès le départ puisque nous n'avions pas au début réuni suffisamment de moyens pour produire de l'auto-promotion à l'antenne et ce qu'on appelle des "coming next", c'est à dire de courtes séquences annonçant les programmes suivants. Nous nous sommes organisés pour que cela soit mis en place prochainement. On va injecter progressivement des éléments d'habillage qui vont nous permettre de mieux structurer l'antenne et de baliser la diffusion de ces modules.
Autre chantier : les journaux. Ceux diffusés à l'heure pile n'étaient selon nous pas assez fournis en images. Nous allons les étoffer éditorialement : ils vont désormais être allongés et commencer à 59' pour finir vers les 12'30. Nous allons maintenir les rappels de titres toutes la journée mais ceux diffusés à 10' sont supprimés à la télé. Ils resteront en revanche sur la radio.
Laurent Guimier : Cet ajustement est la preuve qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis. On a essayé quelque chose. Ca n'a pas marché en télé. On change. En radio, c'est différent parce que la mécanique d'antenne est différente. On garde donc ce rappel des titres à 10'.
Les autres rappels des titres demeurent ?
Germain Dagognet : Notre objectif principal est que le journal diffusé à l'heure égrène tout ce qui fait l'actualité. Le reste du temps, on reste branché sur le "news", c'est à dire les toutes dernières informations ou développements, qui seront traités dans les rappels des titres. Ces rappels demeureront à 40' et 50'. Le journal de la demi-heure produit par France Télévisions devient, quant à lui, un rappel de titres géré par la radio. Plus étoffé que les autres, il fera trois minutes.
Il y aura le même découpage avant 8h30 ?
Germain Dagognet : Non, le 6h-9h - comme le 18h-20h ou le 21h30-minuit - est une tranche "rouge", c'est à dire incarnée. Nous avons rationalisé notre organisation. Nous ne ferons plus les rappels de titres depuis Radio France pendant ces trois tranches.
Estimez-vous qu'il y a un déficit d'incarnation TV de l'antenne ?
Germain Dagognet : Nous sommes déjà beaucoup incarnés. Nous le sommes dans toutes les tranches rouges, soit 3h30 le matin avec Laurent Bignolas et Karine Baste-Régis, tranche dans laquelle intervient Jean-Michel Aphatie notamment, le 18-20h avec Louis Laforge et Sorya Khaldoun. Sans oublier le soir avec Myriam Bounafaa et Julien Benedetto. Sur 18h d'antenne (hors nuit), il y a déjà beaucoup de visages !
Y en aura-t-il de nouveaux ?
Germain Dagognet : Nous allons voir arriver de nouvelles personnalités à l'antenne. Ca sera le cas de François Lenglet sur l'économie, par exemple, ou de Dominique Verdeilhan sur la justice, qui seront présents de manière récurrente avec des éditos, des modules ou des chroniques. Les modules vont aussi être davantage incarnés avec une apparition à l'antenne plus fréquente des journalistes qui les fabriquent. Par ailleurs, nous planchons sur une tranche incarnée à la mi-journée. Mais ce ne sera pas pour tout de suite.
Laurent Guimier : Qu'on soit clair, sur la forme, la chaîne n'ira malgré tout pas vers le format "un homme-une femme" derrière un bureau.
Claire Chazal va-t-elle arriver à l'antenne ?
Germain Dagognet : Nous y travaillons. C'est en bonne voie.
Pour une émission de philosophie ?
Germain Dagognet : Nous réfléchissons à plusieurs possibilités. Je ne peux pas annoncer quelque chose que je n'ai pas encore conclu. Pour l'instant, on travaille, on cogite. Il y a une envie d'aboutir des deux côtés. Claire Chazal a des idées à nous apporter.
Y'a-t-il plus globalement une envie de faire venir plus de stars à l'antenne ?
Germain Dagognet : Si vous voulez dire cela comme ça, pourquoi pas ! Moi, je parle moins de stars que de grands journalistes ! Il y en a déjà comme Jean-Michel Aphatie. Il y en aura d'autres comme Henri Sannier en semaine avant "Tout le sport", ou Giles Bornstein qui va décrypter la politique et la campagne présidentielle.
Faire venir des journalistes de ce calibre n'est-t-il pas dangereux financièrement pour une chaîne au budget limité ?
Germain Dagognet : Ne vous inquiétez pas ! Nous sommes très attentifs sur ces questions et très conscients de nos moyens !
Laurent Guimier : Compte tenu de nos moyens et de nos obligations de transparence en tant qu'entités publiques, qu'il s'agisse de Radio France ou de France Télévisions, le contribuable n'a pas de souci à se faire. Ce qui est vrai, c'est qu'il y a une envie de rejoindre cette chaîne chez un certain nombre de journalistes. S'ils le font, ce n'est pas pour l'argent mais parce qu'ils aiment la chaîne et adhèrent à son ambition.
D'autres ajustements sont-ils prévus ?
Germain Dagognet : Dans les semaines qui viennent, nous allons renforcer le 18h-20h. L'équipe en place va être rejointe par Adrien Rohard qui incarnera un module spécifique. Le journal de 18h sera allongé jusqu'à 18h25. On diffusera le "Vu", (ex-"Zapping", ndlr), proposé par Patrick Menais à 18h30, en plus de sa programmation sur France 2. Les modules prendront une place importante dans cette tranche, qu'il s'agisse de ceux de l'INA, de France 24 ou de "La Barbe" de Nicolas Meyrieux. Ils viendront, un peu comme une "bande", dire quel regard ils ont porté sur l'actu et comment ils l'ont traitée. Notre idée, dans ce moment stratégique, est de résumer l'ensemble de l'offre. Ce sera une sorte de vitrine de l'offre de franceinfo.
Nous allons aussi renforcer les week-ends. Nous avons commencé à le faire avec la "prolongation" de "Stade 2" présenté par Matthieu Lartot le dimanche à 18h40. Plus globalement à long terme, l'idée est d'installer des formats plus longs car le rythme des week-ends s'y prête. On le fait en partenariat avec France Inter sur l'émission "Questions politiques" proposé par Nicolas Demorand. Il y a aussi Culture Box, présenté par Leïla Kaddour, qui a une belle exposition de près d'une heure le samedi à 11h40. Si on peut aller visiter d'autres domaines, avec d'autres incarnations plus ou moins célèbres, on le fera (sourire).
L'un de vos objectifs est-il aussi de fluidifier l'antenne en diminuant le nombre de bugs visibles à l'antenne?
Laurent Guimier : Toutes les chaînes rencontrent des bugs et des problèmes techniques. Les petits pépins que nous avons parfois ne sont pas dus à l'association des différents médias et aux différents lieux de production de l'info. Alors oui, il y a parfois des petits bugs mais comme partout. A période comparée, je pense que les autres chaînes info en ont connu autant que nous à leurs débuts.
Germain Dagognet : Je voudrais d'ailleurs en profiter pour rendre hommage au travail des équipes techniques de Radio France et France Télévisions. Pour des raisons de consultation des représentants du personnel, nous n'avons pas pu planter le moindre clou avant le 8 avril. Nous n'avons donc eu que cinq mois pour construire techniquement franceinfo, un média forcément très complexe au vu du nombre d'acteurs réunis ! Franchement, ces équipes ont bossé d'arrache-pied tout l'été et ont fourni un boulot incroyable ! Nous-mêmes, nous avions des doutes sur la faisabilité et notre capacité à tenir les délais : nous avions même prévu des plans B au cas où. C'est vous dire ! Il y a certes des petits bugs mais je trouve le taux très bas. Il y en aura encore car c'est intrinsèque à une chaîne d'info continue. Rappelez-vous, nous avons même démarré l'antenne le 31 août avec 24h d'avance.
Est-ce que la présidentielle va constituer un crash test pour le média ?
Laurent Guimier : Un "stress test" plutôt (rires). Les primaires de la droite et du centre ont constitué un bon galop d'essai. On réfléchit à des choses différentiantes car cette élection s'annonce elle-même différente.
La chaîne fait pour l'instant près de 0,3 point de part d'audience, c'est peu...
Germain Dagognet : Nous ne sommes pas mesurés pour l'instant. Contrairement à nos concurrents, nous ne recevons pas quotidiennement les audiences de la chaîne.
C'est pratique...
Germain Dagognet : Non, cela a été le cas de BFM pendant deux ans à ses débuts. Ces mesures quotidiennes coûtent très cher et nous n'avons pas les moyens de nous les payer. Nous avons lancé une mesure pendant une semaine en novembre, lors des élections américaines et du début de la primaire de la droite et du centre (période où iTELE était en grève, ndlr) car c'était important de savoir à ce moment de forte actualité si ce que l'on proposait avait rencontré le public. On était à 0,3%. Honnêtement, c'était plutôt une bonne surprise ! Franceinfo connaît déjà de très belles réussites sur le numérique mais nous devons continuer à nous faire connaître. En plus du travail éditorial que nous menons, nous avons un objectif prioritaire : progresser sur l'accessibilité de la chaîne. Pour l'instant, 1 foyer sur 2 ne reçoit pas franceinfo car il n'a pas réinitialisé son boîtier TNT. Nous allons sans doute lancer une campagne de communication dans les mois à venir pour y remédier.