Plus de quinze jours après les attentats qui ont bouleversé la France, Alain Weill, le président de NextRadioTV, la maison mère de BFMTV et RMC, a reçu puremedias.com pour un long entretien.
Propos recueillis par Julien Bellver et Benoît Daragon.
puremedias.com : Quel bilan faites-vous du travail réalisé par vos médias après les attentats qui ont secoué la France ?
Alain Weill : C'est difficile de dire qu'on est satisfait dans une période aussi difficile mais les équipes ont fait un travail responsable, rigoureux et de qualité. Elles ont été à la hauteur des enjeux.
Malgré des records d'audiences, BFMTV a été très critiquée, notamment pour une information donnée par Dominique Rizet lors de la prise d'otages de Vincennes.
En quatre jours de directs, il y a pu avoir des maladresses mais pas plus que sur les autres chaînes. Il n'y a pas eu d'erreur chez nous contrairement aux sites internet des journaux qui ont fait la course à l'info. Je trouve que l'ensemble des médias audiovisuels ont été très responsables.
Amedy Coulibaly regardait BFMTV...
Même si les terroristes regardaient les chaînes info, le dénouement des deux prises d'otage n'a pas été gêné par les médias. Et comme l'a dit Catherine Nayl, la directrice de l'information de TF1, on a été "un rempart" par rapport aux réseaux sociaux parce que nos rédactions sont habituées à respecter des règles éthiques. On est extrêmement vigilants au respect des règles établies par le CSA. Les télévisions sont très regardées, donc elles sont critiquées en premier. Ca s'appelle la rançon du succès.
Les médias doivent-il changer leurs méthodes de travail dans ces cas exceptionnels de très longs directs ?
Le fonctionnement des médias change avec la technologie. Tout va très vite. Une demi-heure après l'attaque de "Charlie Hebdo", vous avez les images des terroristes en train de descendre un policier. C'est du jamais vu. J'entends les critiques, car la rapidité de nos médias change le rapport à l'information. Mais vous préfériez vraiment quand tout était opaque ? Du temps de l'ORTF où les hommes politiques décidaient du contenu des journaux des deux chaînes de télévision ? C'était vraiment mieux ? On n'a peut-être pas le meilleur des systèmes mais c'est un progrès. Je pense que les Français ont une vision positive de la façon dont les médias ont évolué depuis 20 ou 40 ans.
Y-a-t-il des leçons à tirer de ces événements ? Lesquelles ?
Evidemment. Comme après le tsunami au Japon ou le tremblement de terre à Haïti, on va regarder là où on peut s'améliorer. Cette fois-ci, on a eu des échanges continus avec la police. De leur côté, c'était nouveau. Les forces de l'ordre cherchaient les numéros de téléphone des responsables des autres rédactions ! La police est désormais obligée de travailler en toute transparence avec les médias, ses relations avec nous doivent s'organiser. C'est ce que nous avons dit au CSA la semaine dernière.
TF1 et France 2 , deux médias historiques, se sont aussi transformés en chaîne d'info en continu pendant plusieurs heures. C'est leur rôle ?
Ca ne m'a pas surpris. Ils sont légitimes sur l'information donc ça ne me choque pas.
Malgré cette concurrence, les audiences de BFMTV ont atteint des sommets. Existe-t-il aujourd'hui un "réflexe BFMTV" lors de ce genre d'événements ?
Oui, on a pu être en tête même si TF1 et France 2 étaient en édition spéciale. Ce qui n'était jamais arrivé. Pour moi, l'enseignement de ces dernières semaines, c'est que les chaînes info ont gagné en légitimité. Dix après notre naissance, on est passé de l'état de chaînes de complément, à des chaînes de référence sur l'information. Désormais, les téléspectateurs viennent en priorité sur les chaînes info. C'est tout nouveau !
La publicité a été supprimée pendant plusieurs jours. C'est un important manque à gagner pour BFMTV ?
Ce n'a pas vraiment été un sujet. Cela arrive plusieurs fois par semaine. Dans ces moments dramatiques et intenses, on ne peut pas couper le flux. Les téléspectateurs souhaitent que les écrans soient supprimés et les annonceurs sont dans le même état d'esprit. Avec leur accord, on a replacé les écrans de pub après la crise. Il n'y a pas d'enjeu économique.
Certains observateurs pointent la responsabilité des médias dans le délitement de la société française. Doit-on tous réfléchir à de nouvelles manières de fabriquer de l'information ?
Comme les hommes politiques, les médias sont le reflet de la société. Ils évoluent en même temps qu'elle. Les Français sont libres de les choisir ou non. Mais il y a un sujet sur lequel on est très en retard en France, c'est la présence des minorités visibles à la télévision. Nous, on va bouger sur ce sujet-là. Parce que c'est notre responsabilité mais aussi car c'est notre intérêt. Nous sommes une chaîne populaire et nos téléspectateurs doivent se reconnaître en la regardant. Quand vous regardez CNN, il y a des présentateurs de toutes les couleurs et la présentatrice de la météo est obèse. C'est plus difficilement concevable en France. BFMTV doit être à la pointe sur cette évolution.
Vous faites plus de sujets magazine, en fin de journée et le week-end. Le nombre de cases qui prennent du recul avec l'actualité doit encore augmenter ?
Les émissions d'Olivier Truchot, de Ruth Elkrieff ou "Sept jours BFM" proposent déjà de prendre du recul. C'est un virage que la chaîne a pris il y a déjà plusieurs années. Mais on va continuer à investir régulièrement sur ces contenus-là, oui.
BFMTV devrait sans doute réaliser un mois de janvier historique. La moyenne de la chaîne en temps normal est de 2%. C'est un plafond ou elle peut encore progresser ?
Les évènements dramatiques n'ont pas de conséquences à long terme sur la chaîne. Je pense qu'on peut monter si on continue à investir dans le grand reportage pour donner aux téléspectateurs l'occasion de revenir sur la chaîne, quand ils sont déjà très informés, en fin de soirée par exemple.
Si BFMTV est une marque forte en TV, elle est quasi-inexistante sur le web, malgré tous les projets que vous avez annoncés. Comment l'expliquez-vous ?
C'est faux ! On est numéro un sur les vidéos d'actu, ce qui est quand même notre métier. On doit réaliser le troisième chiffre d'affaires de tous les sites médias de France. En revanche, on n'apparaît effectivement pas dans le top 10 des sites français car on a fait le choix du partage de nos vidéos. Les internautes ne viennent pas forcément chez nous car ils voient nos vidéos sur les sites partenaires. Commercialement, on fait un chiffre d'affaires important comparé au "Figaro" ou au "Monde" par exemple. Mais on veut encore progresser. On se donne les moyens, on fait des recrutements importants mais on veut être l'un des tous premiers acteurs du web. Pendant les derniers évènements, on a multiplié notre audiences web par 100, grâce au live en streaming ! Dans cinq ans, un quart de notre audience se fera sur le mobile. Quand le métro sera équipé 4G, tout le monde pourra regarder BFMTV dans les transports par exemple.
A quand un grand portail d'information comme francetvinfo ?
On va enrichir notre offre pour devenir l'un des premiers sites d'info de France.
La chaîne RMC Découverte a explosé en 2014, avec une riche offre de documentaires anglo-saxons. Mais le doc made in france est sous-représenté sur cette antenne...
On a effectivement un peu de retard dans nos engagements de diffusion d'oeuvres d'origine françaises. Nous nous sommes lancés en décembre 2012 seulement ! Notre montée en charge progressive est un peu plus lente que prévue. Mais en 2016, on doit diffuser 40% de programmes français, et nous le ferons. Le montant d'investissement dans notre production est déjà plus important que ce à quoi nous nous étions engagés. On diffuse plus d'inédits que ce qu'on nous demande, et plus que les autres chaînes de la TNT HD.
Vous tournez un "Top Gear" français. C'est un gros budget ?
Oui, c'est un budget très important. Ce sera le programme vitrine de ce que sera la chaîne demain. On construit petit à petit. Sur le documentaire, cette chaîne doit être un acteur leader et avoir des programmes de même qualité que les généralistes qui diffusent du documentaire. On doit être capable de faire "Ushuaïa" ou "Rendez-vous en terre inconnue". On va voir ce que donne "Top Gear" et après on investira dans d'autres formats.
Le documentaire coûte cher. RMC Découverte a un modèle économique viable ?
Pendant des années, on m'a dit que l'info coûtait cher et que jamais BFMTV ne serait rentable... Le documentaire est un bon filon car il y a peu d'acteurs qui investissent vraiment dans ce domaine. Et c'est un créneau en plein boom partout dans le monde comme le montre le succès de Discovery aux Etats-Unis.
Personne n'y croyait à RMC Découverte et vous êtes la première des nouvelles chaînes de la TNT...
Personne ne croit jamais à mes idées... En France, on aime les choses établies et pas les idées nouvelles. Nous, on regarde ce qui marche à l'étranger et on s'en inspire.
Le format des mini-généralistes (6ter, HD1...) est-il en danger ?
Quand la TNT s'est lancée, beaucoup on voulu copier les historiques. Je pense que c'est une erreur. En 2005 comme en 2012, on aurait dû lancer plus de chaînes thématiques.
Parlons de radio. RMC stagne depuis plusieurs vagues. Elle a encore un potentiel de croissance ?
Après 15 ans de progression ininterrompue, nos sondages se stabilisent. On a quand même doublé Europe 1 sur les CSP+, avec un réseau beaucoup plus restreint. Mais c'est le moment de travailler pour innover. On prépare des choses importantes pour redonner un élan à notre radio. On n'est pas obligé de tout casser. Nos idées d'il y a 15 ans (hyper personnalisation, auditeurs, longues émissions) se sont généralisées. Il faut qu'on reprenne l'initiative ! C'est sur quoi on travaille aujourd'hui pour que RMC soit toujours la radio où les choses se passent.
Il est vrai que vous avez rencontré Laurent Ruquier l'année dernière pour le faire venir à RMC ?
Oui, mais quand on s'est vu je crois qu'il était déjà engagé ailleurs ! Ce qu'il fait n'est pas incompatible avec nos autres programmes. On aurait adapté notre grille pour que ce soit cohérent. Ruquier était une opportunité, on ne cherche pas à faire du divertissement à tout prix.
Pendant un an, vous avez bataillé ferme contre le passage de LCI en gratuit. On vous entend moins depuis cet été. La partie est définitivement gagnée ?
Non. On a exprimé notre point de vue avant que le CSA ne donne sa décision. Cette décision a été rendue et elle était conforme à nos attentes. Maintenant, cette décision est devant la Justice, qui va l'analyser sur la forme et pas sur le fond. On n'a pas à intervenir.
On imagine que vos avocats ont étudié le recours de TF1. Vous êtes confiant sur le verdict du Conseil d'Etat ?
Oui. Le CSA a pris une décision qui est réfléchie, construite et claire.
Vous comptez toujours embaucher une partie de la rédaction de LCI si jamais la chaîne ferme dans 6 mois ?
Les engagements qu'on a pris tiennent toujours. Mais ce sont des hypothèses théoriques, je ne sais pas ce que TF1 veut faire de sa chaîne aujourd'hui.
Quels sont vos rapports avec Xavier Niel, qui s'est exprimé sur le dossier LCI. Vous êtes au conseil d'administration d'Iliad, la maison mère de Free. Il est actionnaire de votre holding personnelle, elle-même actionnaire de NextRadioTV ?
Oui, il a une participation dans ma holding personnelle. Une petite participation.
Le groupe NextRadioTV ne s'est jamais aussi bien porté. Le temps n'est-il pas venu de le céder ?
Non ! J'aime ce que je fais, je suis attaché aux contenus, à l'information. Je suis un entrepreneur. Contrairement à d'autres, je n'ai pas vendu mes canaux. Je n'ai pas créé cette entreprise pour la vendre au bout de 15 ans. Je veux pouvoir continuer à la développer.
Votre groupe intéresse beaucoup d'acteurs...
Avec notre chaîne leader sur l'information, notre radio, on serait sans doute un bon élément de consolidation pour d'autres groupes. Mais ce n'est pas le sujet du moment.
Vous dites souvent que votre groupe est "condamné à la croissance". Il n'y aura plus de lancement de chaîne. Vous seriez candidat au rachat d'une chaîne de la TNT ?
On regarderait mais ça me paraît une hypothèse assez peu vraisemblable. BFMTV et RMC Découverte sont des chaînes jeunes qui peuvent encore grandir.
La concentration dans les médias va continuer ?
Je crois qu'elle a déjà eu lieu quand TF1 a racheté les chaînes de Claude Berda et que Canal+ a racheté Direct 8. Les groupes historiques sont consolidés. Si on allait plus loin, ça poserait de sérieux problèmes de pluralisme.
Vous rêvez toujours de fusionner avec le groupe NRJ ?
Je n'en ai jamais rêvé. J'ai beaucoup d'admiration pour Jean-Paul Baudecroux dont le groupe se développe en parallèle au nôtre.