Le 20 janvier 2025, "Mediapart", média d’investigation de référence, quittera définitivement le réseau social X, anciennement Twitter. Une décision annoncée dans une tribune signée par Carine Fouteau, directrice de la publication, et motivée par des raisons éthiques et éditoriales.
Dans son texte, "Mediapart" explique : "À la suite d’échanges organisés par la Société des journalistes (SDJ) et d’une discussion collective de l’équipe, "Mediapart" a décidé de quitter X (ex-Twitter) le 20 janvier 2025." Cette date n’a rien d’un hasard : elle coïncide avec l’investiture de Donald Trump à la Maison-Blanche pour un second mandat, et la prise de fonctions d’Elon Musk, propriétaire de X, à la tête du ministère de "l’efficacité gouvernementale" aux États-Unis. Deux événements qui, selon le média, symbolisent une menace directe pour la liberté de la presse et de l’information.
Depuis son rachat par Elon Musk en 2022, X est accusé d’être devenue une plateforme de désinformation et un "instrument au service du chaos de l’information". "Mediapart" ne mâche pas ses mots : "Nous avons chroniqué dans nos colonnes […] comment [Musk] a manipulé ses utilisateurs et ses utilisatrices au service de la victoire de son camp. ‘‘You are the media now’’, les a-t-il félicité·es au lendemain de l’élection de son candidat, pour signifier sa volonté d’en finir avec le journalisme."
S’appuyant sur une citation d’Hannah Arendt, le média rappelle que "si tout le monde vous ment en permanence, la conséquence n’est pas que vous croyez aux mensonges mais plutôt que personne ne croit plus en rien". Ce constat alimente leur choix de ne plus légitimer, par leur présence, un espace perçu comme toxique et contraire à leur mission. "Au moment où l’idéologie d’extrême droite et l’industrie de la tech s’allient pour faire advenir le monde orwellien de ‘1984’, où la paix, c’est la guerre, la liberté l’esclavage, le vrai le faux, nous ne pouvons pas faire semblant de ne pas voir", poursuit le texte.
"Comme contre-pouvoir, nous nous opposons à ce renversement des valeurs. Cela implique d’abord et avant tout de refuser de nous laisser enfermer dans le cadre choisi par les ennemis de la liberté d’informer et du pluralisme. En restant, qu’on le veuille ou non, nous légitimons leur espace et leurs armes. Auprès de qui ? de ce que nous avons de plus précieux : nos lecteurs et nos lectrices". La tribune est ainsi sans appel : "En restant sur cette plateforme dangereuse, nous les encourageons à s’y donner rendez-vous (...) nous alimentons la machine qui nous détruit et participons à produire des monstres."
Le départ de "Mediapart" ne signifie pas une déconnexion du débat public. Le média promet de renforcer sa présence sur d’autres plateformes comme Mastodon, Bluesky ou encore Threads, tout en organisant davantage d’événements publics à travers la France. Son objectif : "Partager (ses) informations et faire entendre (sa) voix au-delà de (ses) abonné·es." En 2024, "Mediapart" avait déjà lancé sa propre instance sur Mastodon, une plateforme décentralisée perçue comme une alternative durable et respectueuse des utilisateurs. "Plutôt que de subir, nous décidons de participer à l’édification d’une nouvelle ‘rue numérique’’, annonce le média. "Il est temps de faire notre deuil de cette plateforme", conclut "Mediapart" dans sa tribune, tout en rappelant le rôle crucial qu’a joué Twitter lors de ses débuts, en 2008. Mais le média ne se laisse pas abattre par la nostalgie : "L’écosystème a changé […]. Nous refusons plus que jamais l’entre-soi : la bulle, aujourd’hui, c’est X."
"Mediapart" n’est pas le seul média à tourner le dos à X. Ces derniers mois, plusieurs grandes publications françaises et internationales ont pris la même décision. En novembre, "Ouest-France" déclarait : "En accord avec nos valeurs, nous avons décidé de suspendre les publications sur l’ensemble de nos comptes X". Le média régional avait été suivi par "Sud-Ouest", quittant le réseau social "tant que des garanties sérieuses de lutte contre la désinformation et en faveur de l'équilibre des débats n’auront pas été apportées", avait précisé le directeur général du groupe dans un communiqué.
"La Revue dessinée", "Quotidien", et des médias internationaux tels que "The Guardian" ou "La Vanguardia" ont également quitté la plateforme, dénonçant son rôle dans la propagation de discours haineux et de théories conspirationnistes. Dès 2023, des médias comme NPR et PBS (États-Unis) ou Sveriges Radio (Suède) avaient également cessé leurs publications. Des institutions comme l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ou des syndicats comme la CFDT ont également annoncé leur retrait, pointant l’absence de régulation et de modération. Pour Vincent Berthier, de Reporters sans frontières, ces départs sont "le symptôme d’un mal beaucoup plus profond, celui de l'incapacité des pouvoirs publics à faire des plateformes des endroits viables, respectueux de l'information journalistique, où l'information puisse circuler librement", a-t-il estimé auprès de l'AFP.