C’est le nouvel exode numérique. Depuis le rachat de Twitter par Elon Musk et sa transformation en X, de nombreux médias reconsidèrent leur présence sur la plateforme. C'est d'autant plus vrai depuis la nomination il y a quelques jours du milliardaire au sein de l'administration Trump. Le réseau social, autrefois perçu comme un espace de liberté d'expression, est désormais critiqué pour être devenu un lieu de propagation de désinformation, de discours de haine et de théories conspirationnistes.
Ce jeudi 14 novembre, c’était au tour du quotidien espagnol "La Vanguardia" d’annoncer qu’il ne publierait plus de contenus sur X. Basé à Barcelone, le journal accuse la plateforme d’être devenue "un réseau de désinformation". Dans un éditorial, le quotidien explique sa décision : "L’ex-Twitter rend viraux des messages qui portent atteinte aux droits humains." "La Vanguardia" précise cependant qu'elle continuera à suivre sur X les comptes de certaines personnalités et entreprises pour "pouvoir informer ponctuellement ses lecteurs de messages ou de débats qui peuvent y être échangés ou y avoir lieu".
Les responsables éditoriaux déplorent notamment une montée des théories du complot et du mépris des droits humains, "très présents sur X" depuis l'arrivée d’Elon Musk. La récente couverture de l'élection présidentielle américaine, marquée par la victoire de Donald Trump, a été le dernier clou dans le cercueil. Peu après son élection, le président élu controversé a annoncé qu'il nommerait Elon Musk à la tête d'une commission destinée à réduire les dépenses publiques, en partenariat avec l’homme d'affaires républicain Vivek Ramaswamy. "X s’est empli depuis l’arrivée d’Elon Musk de contenus toxiques (…) de façon de plus en plus marquée", poursuit "La Vanguardia". "Ce réseau social s’est transformé en une plateforme sur laquelle les théories conspirationnistes et la désinformation trouvent une caisse de résonance".
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De l’autre côté de la Manche, le "Guardian" a fait une annonce similaire la veille, mercredi 13 novembre. Le quotidien britannique, qui compte 10,8 millions d’abonnés sur X, a déclaré : "Nous pensons que les bénéfices à rester sur X sont désormais moins importants que les inconvénients, et que nos ressources pourraient être mieux utilisées à promouvoir notre journalisme ailleurs". Dans un article, le "Guardian" qualifie X de "plateforme toxique", accusant son propriétaire d'utiliser le réseau social pour influencer le débat public.
Le "Guardian" n’a pas encore précisé s’il fermera définitivement son compte X. Pour l’instant, ses journalistes pourront continuer à utiliser la plateforme pour collecter des informations, comme ils le font sur d’autres réseaux où le journal n’est pas officiellement présent. Le quotidien rappelle également qu'il est très actif sur d’autres plateformes : il compte 8,9 millions d’abonnés sur Facebook, 5,8 millions sur Instagram, 2,3 millions sur YouTube et 19 000 sur Mastodon. Ce dernier, qui propose une approche similaire à celle de X, pourrait attirer davantage de médias souhaitant s'éloigner de l'influence du patron de Tesla. De son côté, le réseau social américain Bluesky, se positionnant comme une alternative à X, a récemment annoncé avoir enregistré un million de nouveaux utilisateurs en une seule journée, bénéficiant ainsi de la fuite massive de la plateforme de d’Elon Musk.
En France, "La Revue dessinée", publication trimestrielle d'information en bande dessinée, a également annoncé quitter le réseau social. "Depuis deux ans et son rachat par Elon Musk, Twitter est devenu X et une parodie d’espace de liberté d’expression" écrit la revue dans un communiqué. "Cette réalité, latente depuis des mois au fil des changements opérés sur ce réseau social, nous oblige à nous interroger sur notre présence ici. X n’est plus aujourd’hui qu’une caisse de résonance des idées d’extrême-droite, du racisme, du complotisme, et souvent de tout cela à la fois, ce que la toute récente élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis est venue spectaculairement illustrer" poursuit le texte, faisant écho aux explications de leurs confrères britanniques et espagnols. "C’est pourquoi 'La revue dessinée' a décidé de quitter X. Nous n’avons plus rien à faire dans un espace à sens unique où notre travail, notre vision du monde et nos enquêtes ne servent que d’alibi à un réseau social qui met tous ses moyens au service d’un projet politique dévastateur."
Des annonces qui interviennent alors que Reporters sans frontières (RSF) a annoncé ce mercredi 13 novembre porter plainte contre le réseau social X. L'ONG accuse la plateforme d'avoir permis la diffusion de messages de propagande prorusse usurpant son identité, malgré de multiples signalements. Ces départs sont "le symptôme d'un mal beaucoup plus profond, celui de l'incapacité des pouvoirs publics à faire des plateformes des endroits viables, respectueux de l'information journalistique, où l'information puisse circuler librement", a estimé auprès de l'AFP Vincent Berthier, responsable du département technologies de Reporters sans frontières (RSF).
Ces départs de sont d’ailleurs pas isolées. Avant eux, d’autres médias ont déjà pris la décision de se distancier de X. Sveriges Radio, la radio publique suédoise, ainsi que les médias américains NPR et PBS, avaient déjà choisi d’abandonner la plateforme, cessant de publier du contenu. Depuis le 12 avril 2023, le compte officiel de NPR affiche un message expliquant aux lecteurs comment suivre son travail en dehors de X. À l'époque, NPR et d’autres médias protestaient contre les nouvelles règles d’étiquetage des comptes, imposées par Elon Musk, sans encore connaître ouvertement ses positions politiques pro-Trump.
Le 21 décembre 2023, l’émission "Quotidien" de Yann Barthès a également quitté X. L’animateur avait annoncé cette décision à l’antenne, faisant de "Quotidien" la première émission à dire adieu à la plateforme. "On reste ou pas ? On se pose la question depuis que le milliardaire d’extrême droite Elon Musk a pris les commandes", avait expliqué Yann Barthès, en rappelant que le compte avait été ouvert en 2013 par Michel Houellebecq, alors que l’émission s’appelait encore "Le Petit Journal". Dans un geste symbolique, il avait fait mine d’appuyer sur son téléphone en disant : "C’est peut-être une goutte d’eau mais c’est symbolique pour nous, mais voilà, c’est fait, et regardez… il ne se passe rien, tout se passe bien." Yann Barthès avait conclu par une pointe d’humour : "Donc à partir de maintenant insultez-vous entre vous sans les ‘sacs à merde’ que nous sommes, sans les ‘collabos gauchiasses’, ‘tailleurs de pipe qui puent la merde’, tchao Twitter !".