La presse française est en apesanteur. Rarement on a vu un aussi grande couverture médiatique pour la sortie un film, que celle dont bénéficie "Gravity" d'Alfonso Cuarón. Ce long-métrage avec Sandra Bullock et George Clooney, qui sort en salles aujourd'hui en France, fait la Une du Parisien et de 20 Minutes ce matin, après avoir fait celle de Libération hier.
Cette année, la presse a fait à plusieurs reprises ses Unes sur l'actualité du cinéma : au moment du festival de Cannes, bien sûr, mais aussi de l'affaire Depardieu, lors de la polémique sur les salaires des acteurs, du décès de Bernadette Lafont ou de Patrice Chéreau ou lors de l'ouverture de l'exposition Jacques Demy. Mais, à part "La vie d'Adèle" d'Abdellatif Kechiche (et pas uniquement pour de bonnes raisons), aucun film ne peut se targuer d'avoir autant conquis la presse que "Gravity".
Tout a commencé le 28 août dernier, lors de sa première projection en ouverture du dernier festival de Venise. Les journalistes sortent emballés. Depuis, l'enthousiasme n'est pas retombé et certains n'hésitent pas à parler de "chef d'oeuvre". James Cameron, grand spécialiste de la science fiction, s'est dit "stupéfait, absolument terrassé" par le film. "Je pense que c'est le meilleur film sur l'espace qui ait été réalisé. C'est le film que je meurs d'envie de voir depuis longtemps", a-t-il déclaré dans Vanity Fair. Darren Aronofsky ("Black Swan") ou Michael Moore, autres pointures d'Hollywood, ont également participé au concert de louanges. Les astronautes sont aussi entrés dans la danse, avouant été conquis par la qualité et le réalisme du film.
Pour parfaire sa stature d'évènement cinématographique, "Gravity" a enflammé le box-office américain avec 172 millions de dollars de recettes enregistrés aux Etats-Unis depuis sa sortie le 4 octobre dernier. Australie, Espagne, Argentine, Allemagne, Hong-Kong, Pologne: le film est en tête partout. "Gravity", qui est déjà le dixième plus gros succès de l'année outre-Atlantique, est en passe de devenir un phénomène de société tant le film casse les codes des blockbusters. Ce film, au budget de 100 millions de dollars, s'annonce comme un des favoris des prochains Oscars.
"Le succès de Gravity est une bonne nouvelle pour ceux qui se réjouissent qu'il n'y ait pas d'incompatibilité fatale entre film d'auteur (Gravity en est un) et le film très grand public", se félicitait hier Gérard Lefort dans Libération. Le journaliste se félicitait en plus que le film ne soit pas avec un super héros ou l'énième déclinaison d'une valeur sûre du box office, contrairement à la plupart des blockbusters qui sortent des studios de Los Angeles.
"90 minutes de bonheur dans l'espace" pour Le Parisien, un "ballet en apesanteur spectaculaire" pour Le Figaro, un "éblouissement visuel aux vertus euphorisantes" pour Le Monde : la presse française est en pâmoison. Il faut dire que le réalisateur cultive son image de cinéphile pointu qui plait tant aux critiques français. Il répète que son "Gravity" est inspiré du film français "Un condamné à mort s'est échappé" réalisé en 1956 par Robert Bresson. De quoi faire Alfonso Cuaron dans le cercle très fermé des réalisateurs de blockbusters adulés par la presse comme Steven Spielberg.
Quelques voix dissonantes ont tout de même tenté de se faire entendre. Renaud Revel, journaliste de L'Express, s'indignait hier du délire médiatique provoqué par ce qu'il estime être un "monstrueux navet". Mais les critiques assassines, comme les astronautes en perdition, dans l'espace, personne ne les entend crier...