puremedias.com : Le 11 décembre prochain, France 2 proposera un quatrième prime time de l'émission "Un jour, un destin", consacré à Louis de Funès. Que va-t-on y découvrir ?
Laurent Delahousse : Je ne fais pas réellement de différence entre les primes et les secondes parties de soirée, France Télévisions choisit dans les documentaires qu'on leur propose chaque année. Nous avons voulu en savoir plus sur cette star populaire des années 70, comment se fait-il qu'en 2012, une personnalité comme celle-ci fédère encore des millions de téléspectateurs ? Que sait-on de ce personnage ? On va découvrir qui il était réellement, comment il a accédé à cette notoriété, comme il l'a orchestrée de manière familiale, pourquoi sa femme avait un rôle très important, quelles étaient ses relations avec l'autre star de l'époque, Bourvil. Il y a une part d'ombre chez lui, c'était quelqu'un d'assez réactionnaire, vieille France idéologiquement. Par exemple, les téléspectateurs vont avoir une lecture profondément différente de "Rabbi Jacob". Louis de Funès reconnaîtra que ce film lui a quelque part "nettoyé l'âme" de certaines idées...
"Un jour, un destin" s'autorise à tout raconter, même quand ça dessert votre sujet principal ?
Il y a certaines limites. Dès lors que l'intime n'a pas de résonance fondamentale sur la structure de sa vie, sur ses choix. Dès lors que le personnage ne revendique pas haut et fort une vie familiale exemplaire, il y a des petites choses que nous passons sous silence. On le fait par choix humain aussi. Mais je pense que nous allons souvent au plus près de la vérité, on ne l'a jamais trahie.
Yves Mourousi, par exemple, son homosexualité, le grand public ne la connaissait pas forcément...
Nous avons été assez clairs, nous en avons parlé avec ses proches. A partir du moment où l'entourage s'exprime, c'est plus facile. C'était un élément important de sa personnalité, dans le sens où il y a eu un mariage, une histoire d'amour. Pour certains, cela rentrait en contradiction avec son image.
Cela vous est arrivé de renoncer à des portraits, sous pression de l'entourage ?
On a parfois des personnalités qui vous coupent complètement la possibilité de faire un sujet, notamment en bloquant les droits à l'image sur beaucoup d'archives. D'autres protègent tellement leur image qu'ils veulent réécrire l'histoire. Cela nous est arrivé de faire des sujets malgré ces oppositions. Dans la série "Un jour une histoire" sur Klaus Barbie par exemple, l'absence de certains témoins est compensée par un travail plus historique, plus narratif visuellement, plus fictionné dans la réalisation.
Dans le cadre des restrictions budgétaires à France Télévisions, votre enveloppe pour "Un jour, un destin" a-t-elle été réduite ?
C'est une collection qui fonctionne bien, on travaille dans une enveloppe toujours très compliquée car il faut huit mois pour sortir un document, avec des archives qui coûtent cher. Le temps, c'est de l'argent en télévision. Mais je crois que le budget de l'émission est exactement identique.
La fiction, on sent que vous avez envie d'explorer ce nouveau genre...
En fait, j'y travaille, depuis quelque temps. Aujourd'hui, je travaille avec un producteur de cinéma et de fiction, sur l'écriture de formats qui seraient peut-être inspirés de faits réels. Peut-être une fiction politique. Etre directeur de collection avec des formats resserrés de 60 minutes comme l'a fait la chaîne HBO, avec derrière une émission pour développer, comme "Les dossiers de l'écran" à son époque, ça m'intéresse beaucoup. J'ai rencontré différents comédiens qui sont tentés par l'idée d'incarner ces personnages inspirés de l'actualité. Chaque chose en son temps, j'ai un peu les mains dedans, je me rends compte que c'est long, ça prend du temps, j'apprends, mais c'est probablement vers cela que je compte me concentrer dans les prochaines années.
Vous êtes lassé par le documentaire ?
Non, pas du tout. J'aimerais d'ailleurs développer un pôle de production homogène de Storytelling (fiction et documentaire), je pense que dans les années à venir, la fiction télé aura une place plus importante. On peut s'émanciper de la fiction américaine, qui reste une référence forte, il y a de très bonnes choses en France, notamment la dernière fiction politique avec Nathalie Baye, "Des hommes de l'ombre". Inspiré par ces quinze années d'expérience très liée à l'actu politique et de mes docs, il y a toujours la petite histoire dans la grande histoire qui me passionne autant.
Lancez-vous sur l'écriture d'une fiction sur l'UMP... !
Voilà, nous aurions tous les ressorts parfaits. Si nous l'avions écrit avant l'élection, je pense que personne ne nous aurait cru et le scénario aurait été rejeté. L'UMP a beaucoup d'audace pour le storytelling en politique ! Ils ont parfaitement su utiliser les codes de la fiction américaine : le vainqueur, le perdant, le parfum de Bonapartisme qu'aime une partie de la droite française, les visages qui se ferment fatigués au milieu de la nuit, la statue du commandeur qui hante toujours les esprits... va-t-il se réveiller ? Bref, c'est un feuilleton sans fin. Mais je pense que les Français vont finir par se lasser, même s'ils aiment ce roman de la politique. Cependant dans cette hystérisation médiatique, il ne faut jamais oublier que le temps politique est très différent. Souvenez-vous dans quelle situation était François Hollande au soir du congrès de Reims... Trois ans plus tard, il est président de la République. Il faut raison garder par rapport à ce spasme médiatique.
Vous avez signé avec France 2 ?
Non, pas pour l'instant ! Philippe Vilamitjana (directeur de France 2, ndlr) aime ce type de projet, je le tiens informé régulièrement, quand on sera prêts, on en parlera.
La politique vous passionne, vous étiez le seul présentateur de JT à assister à la première conférence de presse de François Hollande.
Regarder un match de foot à la télé et être dans le stade, ce n'est pas la même chose. Sentir ceux qui critiquent le président, la presse et les journalistes, ressentir les inquiétudes des conseillers en communication, parler avec eux, voir le président de près, humer le parfum du pouvoir, observer quelques détails, les regards de ministres inquiets ou soulagés, poser des jalons pour de futurs rendez-vous, interviews, c'est très important pour moi. Donc c'est ma place, bien sûr !
Propos recueillis par Julien Bellver et Julien Lalande.
> Rendez-vous à midi pour la deuxième partie de notre entretien avec Laurent Delahousse.