Rocco Siffredi, l'étalon italien du porno, en Une de M, le magazine du Monde la semaine dernière, avec ce titre très évocateur : "Une si longue histoire", pour un numéro "spécial sexe" . Une initiative inédite - généralement réservée aux Inrocks l'été, qui n'a pas vraiment plu aux habituels lecteurs du journal. "Plusieurs dizaines" d'entre eux ont écrit à la rédaction pour se plaindre, menaçant de se désabonner, raconte le médiateur, Franck Nouchi, dans une tribune-réponse à paraître cet après-midi.
Une lectrice s'est déclarée "choquée" d'avoir découvert, en gros plan en pages intérieures, l'outil de travail - au repos, de ce maître du porno. "Choquée" car selon elle, M se lit le week-end par "toute la famille", enfants inclus. "Je sais bien que le sexe n'a aujourd'hui de secret pour personne, que les enfants font très tôt leur éducation sexuelle avec internet (...) Mais porter intérêt à cet exhibitionnisme pose problème", écrit-elle. Elle trouve les photos "violentes", notamment celle de Rocco Siffredi "en position quasiment christique". La lectrice estime que le journal de référence "ne devrait pas céder au voyeurisme", et les états d'âme de Rocco - décrites dans son intéressant portrait , "pas d'un intérêt majeur".
Dans son édito, la rédactrice en chef de M, Marie-Pierre Lannelongue, avait expliqué son choix de manchette et de thématique. "Au commencement, il y a eu l'idée de faire un numéro spécial sexe comme nous avions imaginé un spécial foot ou un spécial faits divers... Comprenez l'envie d'explorer ce qui est en train de devenir un élément de la culture populaire, le sexe", écrivait-elle. La pornographie "est en train de devenir une culture" et Rocco Siffredi était décrit par le journaliste auteur du portrait "en superstar autant qu'en damné du sexe".
Sur le choix des photos, elle se justifiait aussi : "Pour les images, nous avions demandé au photographe Matteo Montanari de montrer tout Rocco. Tout ? Oui, tout. Etant entendu que M. Siffredi se prévaut d'un 'outil de travail' de dimension titanesque et qu'il en a fait un objet, presque un personnage. Il fallait voir ça ! Et si ces images peuvent choquer, elles ont aussi eu le mérite de faire surgir un débat au sein de la rédaction : il semble que si le corps des femmes peut être dévoilé sans que ça n'émeuve grand monde, l'anatomie des hommes ne saurait être vue". Marie-Pierre Lannelongue avait donc bien désamorcé la polémique dans son édito avant qu'elle n'éclate...
Dans sa nouvelle réponse au médiateur, la rédac' chef estime "qu'à partir du moment où (nous) avions décidé de consacrer un portfolio au travail de la photographe britannique Harley Weir sur le corps féminin, (nous) pouvions publier les photos d'hommes entières nus". Hommes et femmes égaux face à la nudité sur papier glacé, donc. Mais selon le médiateur, le traitement diffère dans ce numéro, le nu masculin est "frontal", le nu féminin "sophistiqué". M a-t-il dérapé avec cette Une et ce numéro spécial cul ? Franck Nouchi rappelle que le sexe, "omniprésent dans nos sociétés, fait partie des champs journalistiques à explorer". Mais il note une "discordance éditoriale" entre la photo de Une, où le sexe est masqué, et les photos intérieures où le pénis de Rocco se montre sans tabou, mais au repos. Pour le voir en érection, il faudra cette fois vraiment faire un tour sur Youporn.