

Le vendredi 21 mars, Google dévoilait sur son blog les résultats d'une expérimentation menée dans huit pays européens. À l’issue d'un test, conduit de mi-novembre 2024 à fin janvier 2025, le géant américain affirme que la suppression des articles de presse de ses résultats de recherche n'affecte pas significativement ses revenus publicitaires. Et ce, malgré une légère baisse d'utilisation de 0,8% constatée chez les utilisateurs privés de ces contenus. De là à en conclure que Google peut se passer de contenus d'information, il n'y a qu'un pas...
De quoi faire bondir une nouvelle fois les éditeurs, et tout particulièrement en France le Syndicat des Éditeurs de Presse Magazine* (SEPM). Dans un communiqué publié lundi 24 mars, l'organisation dénonce tout bonnement une "manipulation" orchestrée par Google et affirme que cette étude "n'a pas d'autre but que de permettre à l'entreprise de s'opposer, une fois de plus, à l'effectivité des droits voisins de la presse".
Le SEPM n'en est pas à sa première levée de boucliers : son opposition à Google remonte à la mi-novembre 2024, à partir du moment où le moteur de recherche a annoncé son intention de mener cette étude. À l’origine, le géant américain prévoyait d'exclure le contenu des éditeurs de presse européens de ses services pour 1% des utilisateurs dans neuf pays, dont la France, tout en maintenant les sources d'actualités non-européennes. Objectif affiché : évaluer l'impact des contenus journalistiques sur le modèle économique de Google.

Le moteur de recherche justifiait alors cette démarche par des demandes émanant "des autorités administratives indépendantes et des éditeurs de presse", mais les médias européens y ont plutôt vu un moyen de pression dans le cadre des négociations en cours sur la rémunération des droits voisins. En France, le SEPM est donc très rapidement monté au créneau, en saisissant en urgence le Tribunal de Commerce qui, dès le 13 novembre, a ordonné la suspension du projet en France, sous peine d'une astreinte pouvant atteindre 900 000 euros par jour. Une décision confirmée le 20 février par le Tribunal des activités économiques de Paris.
L'argument principal du SEPM reposait sur le fait que ce test violait frontalement les engagements pris par Google en 2022 auprès de l'Autorité de la concurrence, notamment celui de ne pas affecter "l'indexation, le classement ou la présentation des contenus protégés" pendant les négociations. Le sujet est d'autant plus sensible que l'Autorité de la concurrence a déjà infligé une amende de 250 millions d'euros à Google en mars 2024 pour "non-respect de certains de ses engagements pris en juin 2022" concernant les droits voisins.
Mais si la France a été exemptée de test grâce à cette action en justice, Google a néanmoins poursuivi son expérimentation dans les huit autres pays européens initialement ciblés, ce qui lui a permis d'aboutir aujourd'hui à de premières conclusions sur "la valeur des contenus d'information".
Des conclusions que le SEPM a immédiatement balayées. Dans un communiqué publié lundi 24 mars, François Claverie, le président du SEPM, ne mâche pas ses mots : "cette nouvelle manipulation de Google vise à tromper les législateurs et les autorités sur la véritable valeur de la presse au sein de son écosystème. Cette manœuvre ne fait que révéler publiquement la mauvaise foi de Google, dénoncée depuis de nombreuses années par les éditeurs de presse magazine."

Le SEPM soulève plusieurs biais méthodologiques majeurs dans cette expérimentation. D'abord, la durée du test (78 jours) apparaît insuffisante pour observer des changements d'habitudes durables chez les utilisateurs : "il est impossible de capter des changements d’habitudes des utilisateurs sur une période aussi courte" estime le syndicat, qui ajoute que "lors des débats devant le Tribunal des activités économiques de Paris, Google a reconnu elle-même ne pas avoir défini la durée précise pour ce test, évoquant une période pouvant varier entre un et six mois selon les résultats observés. Ce flou est incompatible avec une expérimentation sérieuse, lui permettant d’arrêter opportunément l’expérience avant que les résultats ne lui deviennent défavorables."
Ensuite, Google n'aurait fourni aucune information sur la sélection des sites et des utilisateurs concernés, rendant impossible toute vérification indépendante des résultats. Le SEPM relève également "qu’en supprimant certains titres de presse, Google a favorisé la montée en visibilité de sites parasites plagiant les contenus journalistiques. Ce phénomène, mis en évidence par des études indépendantes (Next Interactive, Libération), fausse les résultats."
Le syndicat pointe également des incohérences flagrantes dans les conclusions présentées par Google. "Selon Google, les visites de Google Actualités non seulement n'auraient pas baissé mais auraient significativement augmenté tout au long de l'expérimentation (+12% en Espagne), alors même que ce service n'était plus censé afficher de résultats de presse récents", s'étonne le SEPM. L'organisation rappelle aussi que si la presse n'apportait réellement aucun bénéfice à Google, l'entreprise n'aurait pas investi dans la création et le maintien de services spécifiquement dédiés à l'actualité comme Google News et Discover.

Le SEPM rappelle également que la thèse d'une participation négligeable de la presse au modèle économique de Google a été "systématiquement invalidée" par les législateurs européens et français, par l'Autorité de la concurrence française dans quatre décisions successives, et par plusieurs études internationales indépendantes. En l'absence de données brutes et de transparence méthodologique, le SEPM considère que les conclusions avancées par Google ne sont "que des allégations invérifiables" qui constituent "une attaque frontale et assumée des fondements mêmes du droit voisin".
*Le SEPM représente 80 sociétés adhérentes, groupes de presse comme éditeurs indépendants, près de 500 publications grand public sur support papier et plus de 200 titres de presse en ligne, qui concernent aussi bien l’actualité générale et politique, que la culture, la jeunesse et l’ensemble des centres d’intérêt des français. Les éditeurs membres du SEPM représentent le 2e employeur de journalistes en France et touchent des millions de lecteurs chaque jour.