"Deux choses la distinguent : une violence et une vulgarité extrêmes". Ces mots sont signés Dov Alfon, directeur de la publication de "Libération", et visent Rachida Dati, ministre de la Culture démissionnaire. Dans une enquête publiée ce jeudi 19 décembre par "Mediapart", il témoigne, comme d'autres dirigeants de journaux, des pressions subies par sa rédaction lorsqu'elle travaillait sur la ministre. Il évoque même un "climat d’insécurité qu’elle crée autour de la rédaction. Elle s’en prend à Laurent Léger, contacte la direction, des chefs de service et a même ciblé l’une de [leurs] jeunes journalistes lors d’un déplacement".
Laurent Léger est grand reporter au service Enquêtes de "Libération". Passé par "Charlie Hebdo" et "L'Express", il est "l'auteur de nombreuses révélations" sur Rachida Dati, rappelle "Mediapart", citant les exemples de l'affaire "des barbouzeries au PSG" ou de ses rémunérations versées par Orange. Des informations que l'intéressée n'a que peu apprécié, attaquant en justice le journal à quatre reprises. Et selon Dov Alfon, "c'est avec de l'argent public qu'elle semblait vouloir financer sa campagne judiciaire". Des accusations réfutées par l'avocat de la maire du VIIe arrondissement de la capitale, Me Basile Ader, mais confirmées par "Mediapart". "Sa cliente a bien tenté de faire voter une protection fonctionnelle en tant que maire d’arrondissement le 17 mars 2023 pour faire couvrir ses frais de justice par les contribuables après avoir attaqué en diffamation un article de 'Libération'. Le conseil de Paris l’a toutefois refusée", écrivent nos confrères.
La ministre a également attaqué en justice d'autres médias : trois procédures ont été lancées contre "Le Nouvel Obs" et deux contre "Le Canard enchaîné". Mais Rachida Dati ne s'arrête pas là. Au micro de RTL en avril dernier, elle avait accusé "Libération", qui avait évoqué une énorme somme d'argent touchée par la femme politique en provenance d'Orange, de "conflit d'intérêts". "Est-ce que ce journal, subventionné par la mairie de Paris, qui s'attaque à Rachida Dati... Est-ce que c'est déontologique ? Est-ce qu'il n'y a pas un conflit d'intérêts ?". Et d'ajouter : "Que la mairie de Paris se serve de ce journal parce que le journaliste est un ami de madame Hidalgo... Pour pouvoir m'attaquer ? Sur quelque chose de légal, est-ce normal ? Je n'ai pas le droit de travailler ? Je n'ai pas le droit d'être avocate ? Moi, je ne vis pas, contrairement à la maire de Pairs, avec l'argent public". Des propos qui avaient fait bondir le quotidien, qui s'était à l'époque fendu d'un communiqué. "Les attaques directes et personnelles visant l’un de nos journalistes, tout comme l’accusation aussi outrancière qu’infondée de 'conflit d’intérêts', nous semblent indignes de la fonction occupée par Rachida Dati, d’autant que cette dernière est chargée des relations de l’Etat avec les médias et, à ce titre, se doit d’être garante de la liberté de la presse", avait écrit la rédaction.
"Mediapart" révèle aussi que lorsque l'ex-Garde des sceaux est au courant d'une enquête en cours dans un média, elle n'hésite pas à faire des pieds et des mains pour empêcher la parution de l'article en question. Elle aurait, selon nos confrères, ainsi contacté "une dizaine de fois" Denis Olivennes, directeur général de "Libération" entre 2023 et 2024 pour dissuader le journal de diffuser des articles la concernant, sans succès. Dans des messages éphémères envoyés sur Whatsapp, elle n'aurait pas hésité à traiter le dirigeant de "minable" et de "raté". "Tout cela est bien minable. Tes échecs professionnels successifs ne justifient pas tout", aurait-elle ajouté, avant que l’intéressé ne lui rappelle qu’elle est censée garantir "l’indépendance" de la presse. Ce à quoi la ministre aurait répondu : "Quant à tes leçons de morale et de principe, il aurait été bien que tu les appliques dans ta vie professionnelle car ce n’est pas le mérite qui a fait ta carrière".
"Vous mélangez tous les sujets pour encore ajouter de la confusion et du sulfureux à ma personne"Rachida Dati à "Mediapart"
Contactée par "Mediapart", la ministre ne nie pas le contenu de ces messages, et dénonce des articles "toujours à charge" et des journalistes qui ont "des collusions". "Vous mélangez tous les sujets pour encore ajouter de la confusion et du sulfureux à ma personne", affirme-t-elle auprès de "Mediapart", assurant avoir "toujours refusé les compromissions avec les personnes" citées dans l'enquête du site d'investigation. Des personnes qui décrivent des "méthodes de voyou et inédites" de la part d'une ministre.
Car Rachida Dati aurait également tenté d'empêcher la parution d'articles dans "Le Nouvel Obs" en intervenant directement auprès de Xavier Niel, actionnaire de l'hebdomadaire, et de Louis Dreyfus, président du conseil de surveillance. "Tiens, récemment y a même une ministre qui m’a insulté par SMS. Elle voulait que j’empêche la publication d’un papier à charge contre elle. Je lui ai expliqué que ce n’est pas exactement comme ça que ça fonctionne. Alors elle m’a insulté", a confié le premier dans un livre tout récemment, sans nommer Rachida Dati. Le patron de Free accuse même dans ce livre-entretien la ministre d’avoir "utilisé ses pouvoirs de ministre pour bloquer un projet philanthropique", rapportait "L'informé" dans un article intitulé "La guerre secrète qui oppose Rachida Dati à Xavier Niel".
Preuve encore du ressentiment de la ministre à l'égard de l'homme d'affaires, celle-ci aurait proféré plusieurs insultes à son encontre devant témoins, lors de la dernière conférence Choose France, organisée en mai 2024 à Versailles par l'Élysée et réunissant plusieurs patrons de grandes entreprises. "Salopard", "enculé", "je vais m’occuper de ton cas", a-t-on entendu sur place. "Rachida Dati conteste avoir injurié qui que ce soit, en particulier dans les termes peu amènes que vous rapportez", balaye son avocat auprès de "Mediapart". De leur côté, Xavier Niel et Louis Dreyfus n'ont pas répondu aux sollicitations de "Mediapart".
Nos confrères évoquent également un épisode qui s'est déroulé début 2024 dans les couloirs de BFMTV. La ministre à peine nommée, la chaîne avait décidé de lui consacrer une enquête dans son long format "Ligne rouge". Elle avait alors refusé d'y participer et tenté par tous les moyens de le faire déprogrammer, en contactant directement Nicolas de Tavernost, ex-patron de M6 et président par intérim de BFMTV. "Il a ainsi tenté d'empêcher la diffusion du documentaire puis exigé de l'amender avant de se raviser" écrivent nos confrères. Après la menace de démission du directeur de la rédaction de l'époque Philippe Corbé, le reportage avait finalement été diffusé dans sa version originale en octobre 2024.
Auprès de "Mediapart", Rachida Dati confirme les faits et accuse : "Ce documentaire a été commandé en janvier dès mon arrivée au ministère de la culture par Marc-Olivier Fogiel et Mimi Marchand à la demande de Xavier Niel pour me nuire comme ministre de la Culture. Car Niel, Dreyfus, Olivennes ont de gros intérêts avec le ministère de la Culture, et Fogiel pensait obtenir la présidence de France Télé[visions]. J’ai les preuves de tout cela, mais comme je suis celle à abattre..." avant d'ajouter : "Même le journaliste de BFM qui préparait le sujet 'Ligne rouge' m’a dit que son documentaire était une commande de Fogiel". Des affirmations démenties par l'équipe de l'émission de BFMTV. Contacté par "Mediapart", Marc-Olivier Fogiel n'a pas souhaité réagir.