"Drag Race France", l'Eurovision, un EP, une série documentaire sur France 5... Plus rien n'arrête Nicky Doll. Trois ans après l'apparition en France de la célèbre compétition de drags queen lancée par RuPaul, l'artiste de 33 ans lance la saison 3 du concours le plus "pailleté" de l'hexagone ce vendredi 31 mai sur France.tv (à 18h) et sur France 2 (à 23h). Pour Puremédias.com, Nicky Doll se livre sur cette nouvelle édition, la place du drag en France et ses projets.
Propos recueillis par Benjamin Rabier
Puremédias : "Drag Race France" est de retour ce vendredi sur France Télévisions. Comment qualifieriez-vous cette troisième saison ?
Nicky Doll : Elle est très différente. Au début du tournage, je me suis mise énormément de pression car je voulais faire plaisir aux Français. Je voulais faire aussi bien que l'année dernière. Avec la saison 2, on avait quand même fait très fort. En 2023, on est devenue la saison, toutes franchises confondues, la mieux notée dans le monde. Forcémentn on avait envie de faire aussi bien sur cette saison 3. Je peux vous dire que c'est mission accomplie, parce qu'on a un cast de reines qui est absolument incroyable, avec des histoires hyper touchantes et des performances folles. À côté de ça, on a un édito qui est évidemment légendaire et de grosses surprises dont je ne peux évidemment pas parler mais qui vont surprendre et épicer les week-end des téléspectateurs tout l'été.
"Drag Race", comme son nom l'indique, est une course. Combien de temps avant le coup d'envoi préparez-vous une nouvelle édition ? Un mois ?
(Elle éclate de rire). Si ça ne me prenez seulement qu'un mois, les amis... (rire). C'est vraiment un travail à l'année. Je me lève, je dors, je vis "Drag Race". Quand la diffusion télévisée se termine, la tournée commence. Quand la tournée se termine, on commence la nouvelle saison. C'est vraiment un travail au quotidien mais comme je fais tout ce que j'aime, je n'ai pas l'impression de travailler un seul jour de ma vie. Avec Raphaël Chioffi, qui est l'auteur de l'émission, Nicolas Missoffe, qui représente Endemol France et France Télévisions, on est tellement passionnés par ce projet qu'on travaille dessus tout au long de l'année. On a déjà pris des notes et on s'est déjà envoyés des mémos vocaux pour se partager des idées pour la saison prochaine. Après, on se réunit, on joue aux cuistots et on cherche la cuisson parfaite avec les ingrédients qu'on a. On tente de servir la meilleure saison possible aux téléspectateurs.
Vos punchlines et celles du jury font aussi le sel de l'émission. Est-ce que vous avez des auteurs à votre disposition ?
Les vannes les plus stupides viennent vraiment de moi (elle éclate de rire). Sur mes interventions, je travaille énormément avec Raphaël, qui comprend exactement comment mon cerveau fonctionne. On est vraiment en osmose lui et moi. J'ai quelques guidelines évidemment, mais avec Daphné Bürki et Kiddy Smile on est énormément dans l'improvisation. Résultat : à la fin du tournage on se dit souvent qu'on n'a pas du tout regardé notre feuille de route et qu'on est complètement sorti de ce qu'on avait prévu de faire comme blague. En réalité, on fait un peu ce qu'on veut. Quand je suis en drag, je pars en pilote automatique.
"Quand je suis en drag, je pars en pilote automatique"
C'est déjà la saison 3 de l'adaptation française de "Drag Race". Est-ce que vous commencez à ressentir une sorte de lassitude ?
Pas du tout. J'ai quitté la France à 18 ans parce que je voulais vivre mon rêve et vivre de mon art. 15 ans plus tard, cette opportunité s'ouvre enfin en France. Le phénomène est assez nouveau en France, on peut même dire naissant. Ce n'est pas maintenant qu'il faut se lasser. Il faut tout donner pour pouvoir offrir cette chance à des queens qui sont locales et qui n'ont pas forcément eu la chance d'avoir toute la carrière que j'ai pu avoir, afin qu'elles puissent, elles, en vivre. "Drag Race" a été un sacré coup de boost pour notre métier. C'est une immense fierté de voir que maintenant, chaque reine, qui a participé au programme vit de son art au quotidien, peut payer ses factures et peut investir dans ses projets. On fait vraiment bouger les choses. On est des porte-paroles et des activistes. Donc, je n'ai pas encore la folie et le privilège de me dire que je me lasse, parce que ce n'est pas du tout le cas.
La visibilité offerte par cette diffusion sur une chaîne de grande écoute a aussi engendré de nombreuses critiques. Comment les vivez-vous ?
Je savais que ça allait arriver et je ne sais pas si c'est un côté maso chez moi, mais plus il y a des attaques et plus ma peau brille, donc, du coup, ça me va (elle sourit). Les attaques et les critiques, ça veut dire que je fais bouger des choses, que je perturbe les gens qui sont très bien dans leur confort avec leur petite mentalité étriquée. Allez-y, critiquez, j'ai le dos pour ça. Même si j'ai un dos très fin quand je suis habillée en femme (rire).
"J'aimerais bien avoir candidate senior, qui pourrait nous parler vraiment de ce que c'était de faire du Drag il y à 40 ans"
Derrière l'aspect paillettes, cette émission a abordé des thématiques (le VIH indétectable, la grossophobie) dont on avait très peu, voir jamais entendu, parler à la télévision française. Est-ce qu'il y a encore des thématiques que vous n'avez pas abordées sur les deux premières saisons et que vous aimeriez aborder à l'avenir dans l'émission ?
On s'adapte vraiment aux humains qu'on a en face de nous. Les thèmes qu'on n'a pas forcément abordés, c'est parce qu'on n'a toujours pas réussi à trouver des personnes qui peuvent les incarner. Lors des deux premières saisons, on a réussi à traiter par exemple de la transidentité, du racisme et de la grossophobie parce qu'on avait des candidates qui, de par leur vécu, ont pu parler de ces sujets-là. Maintenant, nous, on n'est pas un script pour un film. On se veut vraiment être un documentaire à ce niveau-là. On est là pour créer un show et montrer que lorsqu'on enlève un peu les paillettes et le glamour, il y a des artistes avec un vécu qui n'est pas forcément toujours tout rose.
Mais pour répondre à votre question, moi je n'ai pas encore eu une candidate qui est un peu senior, qui pourrait nous parler vraiment de ce que c'était de faire du Drag il y à 40 ans, quand ce n'était ni cool, ni à la télé, avant internet, avant YouTube. Ça, c'est un sujet que j'aimerais beaucoup aborder.
Le milieu du drag français est un petit monde, comment faites-vous pour ne pas être harcelé par les candidates que vous croisez en représentation ?
(Elle éclate de rire) Mes DMs sont encore ouverts. Oui, je me fait bien harceler comme il faut. Mais après, ça fait aussi partie du jeu. J'ai la chance d'avoir créé des événements drags à Paris, comme la Fierce ou la Louche, et donc généralement, ces artistes viennent se présenter à moi. Je leur réponds toujours : "Les candidatures sont ouvertes, allez-y, donnez-vous à fond". En réalité, venir me parler en off, ce n'est vraiment pas ce qui va les aider. C'est une émission de télévision, la scène seule ne suffit pas. C'est très compliquée à vivre pour les queens car elle est intense. Pour moi, c'est l'une des compétitions les plus difficiles de la télévision parce qu'on n'est pas juste cuisinier, chanteur ou danseur. Elles sont comédiennes, stand-uppeuse, couturières, chanteuses, danseuses... Elles doivent apprendre des chorégraphies en un temps record... On se concentre beaucoup sur le drag mais c'est vraiment une race ('course' en français).
Qu'est-ce qu'on ne voit pas à la télévision ?
Les coulisses. Ce qu'il se passe en coulisses de "Drag Race" est fou. Les reines sont souvent prises de cours. Dans un épisode, on montre 54 minutes de leur vie. On ne se rend pas compte de l'intensité des journées et le travail que ça demande. C'est pour ça que l'émission s'appelle "Qui sera la meilleur drag queen", ça demande vraiment de se reposer sur des compétences acquises déjà à l'extérieur pour survivre à l'intérieur.
"Au final, c'est vraiment moi qui décide qui j'élimine"
Comment reste-t-on impartial lorsqu'on connait déjà quelques candidates dans le casting ?
En plus de mon professionnalisme légendaire, vous voulez dire ? Ce qui m'a un peu sauvé, c'est que même si je suis la reine du drag français et que je suis là depuis longtemps, j'ai eu la chance de déménager aux États-Unis il y a à peu près 8 ans et demi. Donc, les nouvelles reines, je ne les connais pas plus que ça.
C'est vraiment vous qui choisissez quelle reine est éliminée en fin d'émission ?
Je suis vraiment la reine mère. Les juges vont me donner leur avis, mais au final, c'est moi qui décide qui j'élimine. C'est difficile à assumer des fois parce qu'il y a forcément des fans pour chacune qui vont être déçus mais si les gens ne sont pas contents, ils peuvent venir me taper dessus car c'est vraiment mes décisions.
L'année dernière X (ex-Twitter) s'était enflammée suite à votre choix d'éliminer Piche. Comment vit-on cette déferlante ?
Je sais ce que j'ai vécu. Moi, je suis au service de La Reine. Évidemment, le public est important. Quand il y a un peu des ardeurs comme ça, c'est cool, parce que ça prouve que des gens sont intéressés et impliqués. Moi, mon but est d'aider cette reine-là à aller le plus loin possible. Au final, sans même qu'on sache que Piche allait autant attiser l'amour du public, j'ai bien fait mes choix, parce qu'à la fin, elle revenait et elle restait pour un épisode de plus.
Est-ce que vous avez un guest de rêve qui n'est pas encore venu ?
Je suis une fan absolue de Monsieur Thierry Mugler qui malheureusement nous a quittés et qui devait faire partie des invités de cette saison. Malheureusement non, je n'aurais jamais mon guest absolu, mais j'ai beaucoup de chance d'avoir eu déjà énormément de gens que j'aime, comme Jean-Paul Gauthier et Olivier Rousteing. Je pourrais vous dire Cher, Madonna, Lady Gaga, mais je garde les pieds sur terre. Je peux vous dire que allez avoir de sacrées surprises sur la saison 3. On a d'ailleurs reçu une artiste internationale qui fera partie des guests.
"Comme toute personne respectable, on aspire à avoir une carrière aussi en journée. Donc voilà, c'est mon but"
En dehors de 'Drag Race France', les téléspectateurs ont pu vous voir dans "Les voyages de Nicky" sur France 5 il y a quelques mois. Est-ce que une saison 2 est prévue ?
Oui, certaines personnes se sont inquiétées parce que ce n'était pas tout de suite renouvelé. C'est juste que j'ai un emploi du temps qui est très chargé. C'est un projet qui me tient énormément à coeur. Je ne suis pas juste la présentatrice, c'est vraiment mon bébé que j'ai fait avec une production absolument incroyable, Effervescence. La suite est en pourparlers. On va continuer à écrire dessus. Par contre, je ne pense pas que ça sortira cette année. Ça sera sûrement début d'année prochaine. Donc, stay tuned.
En dehors de la télé, il y a la musique. Signé chez Polydor, qu'est-ce que ça change pour vous ?
Tout. Ma passion première, ça a toujours été la musique. J'ai déménagé à Paris à l'âge de 18 ans parce que je voulais vraiment devenir la Lady Gaga masculine. Depuis plusieurs années, je faisais tout en indépendant, le fait d'avoir signé avec Polydor est une fierté pour moi. Ça dit quelque chose : Ok, j'arrive en grande pompe, et le but est de vraiment percer dans le mainstream sur mes sons et de pouvoir avoir mes propres tournées.
Le succès de "Drag Race France" vous a-t-il "réconcilié" avec la France ?
Je n'ai jamais divorcé de la France. C'est vrai que j'ai enfin plus d'espoir sur la place qu'on peut avoir dans la société ou sur la place publique. On n'appartient pas juste au Banana café, au Gibus ou au Yoyo, un samedi à 23h30, et on doit rentrer se cacher ensuite jusqu'à 17h30 le lendemain. Maintenant, on peut être acceptées, on peut être entendues et on n'est pas perversifiées et mal comprises par les gens de la vie de tous les jours. Maintenant, les gens comprennent que c'est un art. Comme toute personne respectable, on peut peut-être aspirer à avoir une carrière aussi en journée. Donc voilà, c'est mon but.