L'arroseur arrosé. "Le Canard enchaîné" a déposé plainte contre X, pour "introduction, extraction et reproduction frauduleuses des données" et "faux en écriture publique avec la circonstance aggravante qu'il a été commis par une personne dépositaire de l'autorité publique". L'hebdomadaire satirique estime avoir été victime d'une "perquisition numérique illégale", "portant atteinte à l'ensemble des piliers de notre État de droit" en ce qui concerne une entreprise de presse, a appris l'AFP auprès de sa direction ce jeudi 21 mars. La plainte avait été déposée le 5 mars dernier auprès de la procureure de la République de Paris.
Les faits remontent à l'été 2022. L'un des journalistes du journal, Christophe Nobili, avait lui-même déposé plainte contre X pour "abus de biens sociaux et recels d'abus de biens sociaux". Il soupçonne le "Canard" d'avoir rémunéré la compagne d'un ex-dessinateur et administrateur du journal, André Escaro, sur une période de vingt-cinq ans, alors qu'elle n'y a pas travaillé. Une accusation contestée par la direction. Le parquet de Paris avait alors ouvert une enquête préliminaire, confiée à la Brigade financière. En octobre prochain, deux anciens patrons de l'hebdomadaire doivent être jugés dans ce dossier.
Problème, dans le procès-verbal datant du 22 juillet 2022, il est question d'un "lien" fourni par Christophe Nobili et consulté par un enquêteur, donnant accès "à la page de garde du système de documentation numérique du Canard enchaîné". "Le site offre la possibilité d'effectuer un tri des articles à partir du nom du rédacteur", peut-on lire dans le PV, alors que s'affiche une liste de 33 journalistes. Selon la direction de l'hebdomadaire, l'accès à cette base de données n'était possible "qu'avec un mot de passe à la condition d'être connecté au réseau wifi interne, ce qui implique d'être présent dans les locaux du journal ou à proximité immédiate. Depuis l'automne 2023, soit "plus d'un an après l'enquête" soulignent les dirigeants du "Canard", ce système interne est accessible de l'extérieur depuis un VPN. Pour Erik Emptaz et Hervé Liffran, l'enquêteur n'était pas autorisé à procéder à une perquisition numérique sous l'autorité d'un magistrat. "Une fois introduit dans le réseau wifi privé du 'Canard', le service enquêteur s'est trouvé en situation d'accéder à des données nettement plus confidentielles (...) Nous voulons comprendre pourquoi l'enquêteur a agi ainsi" ont ajouté les deux dirigeants.
Connu pour ses enquêtes révélant un bon nombre de scandales, "Le Canard enchaîné" avait notamment révélé l'affaire Penelope Fillon en 2017, concernant l'épouse de François Fillon , alors candidat à l'élection présidentielle, et portant sur des soupçons...d'emplois fictifs. En décembre 1973, l'hebdomadaire avait connu un épisode devenu célèbre : à la suite de révélations sur les feuilles d'impôt du Premier ministre Jacques Chaban-Delmas, des agents de services de renseignement déguisés en pompier avaient alors été pris la main dans le sac en train de poser des micros dans les locaux de l'hebdomadaire, afin de tenter d'identifier les personnes communiquant des informations sensibles à la rédaction.