Delphine Ernotte monte au créneau. Dans une interview accordée aux "Échos" ce samedi 22 avril 2023, la présidente de France Télévisions dénonce la politique menée par Elon Musk et ses choix controversés à l'égard des médias. Elle juge "effrayant" le fait que le milliardaire, propriétaire du réseau social Twitter, prétende "déterminer si un média est indépendant", a-t-elle ouvertement critiqué.
"Twitter a tenté de qualifier tous les médias publics du monde de média d'Etat puis de médias financés par le gouvernement ou par le public. Mais enfin... qui est Monsieur Musk pour déterminer si un média est indépendant ou s'il ne l'est pas ?", s'est-elle insurgée dans la même interview. "Voir un milliardaire américain tenter de jouer ainsi avec notre indépendance et définir notre espace public est effrayant", a poursuivi la présidente du groupe public.
Ces dernières semaines, Twitter avait appliqué sur les comptes de grands médias des mentions controversées, "média affilié à l'État" et "média financé par des fonds gouvernementaux", avant de les supprimer vendredi. C'est ainsi que mi-avril, la radio publique américaine NPR avait quitté Twitter, mécontente de la mention "média affilié à l'Etat américain". Sans prendre la même décision, la BBC, service public de l'audiovisuel britannique, avait échangé avec Elon Musk après que le réseau social l'a logée un temps à la même enseigne que Russia Today (RT) ou l'agence officielle chinoise Xinhua (Chine nouvelle).
"Twitter a reculé car la mobilisation collective des médias publics, du Canada à l'Australie, a payé", a commenté Delphine Ernotte. "Mais cela pose la question de la maîtrise de notre espace informationnel. On ne peut pas laisser des acteurs américains, demain chinois, jouer ainsi aux apprentis sorciers avec nos démocraties", a-t-elle poursuivi, refusant, pour l'instant, de déserter. "Les possibilités ouvertes par l'intelligence artificielle pour générer, à un rythme industriel, de fausses images et vidéos sont vertigineuses. Dans le capharnaüm qui s'annonce, nos médias nationaux, régulés, sont des boussoles", a-t-elle fait valoir.
Cette réflexion de Delphine Ernotte intervient alors que le remaniement du système d'authentification des comptes sur Twitter, censé donner du contexte aux utilisateurs, est devenu incompréhensible. La plateforme dirigée par Elon Musk a commencé par retirer, jeudi 20 avril 2023, les anciennes coches bleus des profils qui les avaient obtenu dans le passé au nom de leur notoriété mais qui n'ont pas souscrit au nouvel abonnement Twitter Blue. Mais deux jours plus tard, contre toute attente, les badges bleus ont fait leur retour sur certains comptes de médias ou personnalités, qu'ils le veuillent ou non...
La nouvelle formule à 8 ou 11 dollars par mois, lancée l'année dernière dans la plus grande confusion, doit permettre selon Elon Musk de mettre tout le monde à égalité, de lutter contre les faux profils et aussi de diversifier les sources de revenus de l'entreprise. Mais d'après les données de Travis Brown, un développeur informatique spécialisé dans les réseaux sociaux, moins de 5% des 407.000 comptes qui avaient l'ancien badge bleu gratuit se sont abonnés.
La plateforme est dans une position financière délicate à cause de la fuite de nombreuses marques, échaudées par les méthodes et politiques du patron. Entre novembre et janvier, la moitié des 30 principaux annonceurs sur Twitter ont cessé d'y acheter des espaces publicitaires, d'après Pathmatics. Et selon insider Intelligence, les revenus de Twitter chuteront de 28% cette année.