Analyse. Une crise sans précédent. Le 7 octobre dernier, Jaume Roures, le patron de Mediapro, a annoncé son intention de renégocier les droits télévisés de la Ligue 1. Moins de deux mois après le début de la compétition, l'opérateur rencontrerait des difficultés pour honorer ses engagements financiers. Il a ainsi demandé à la LFP un délai pour régler son échéance du 5 octobre, dont le montant s'élève à 172 millions d'euros, ce qui lui a été refusé.
Face à cette décision, le groupe sino-espagnol, principal diffuseur de la Ligue 1 et de la Ligue 2 via la chaîne Téléfoot, s'est placé sous la protection du tribunal de commerce de Nanterre. Un mandataire va désormais aider les parties à renégocier des délais de paiement ou un échelonnement de la dette.
Jeudi, le conseil d'administration de la LFP a validé la contraction d'un emprunt de 120 millions d'euros pour faire face à la défaillance automnale de Mediapro. L'institution chargée notamment de redistribuer les droits télé aux clubs de Ligue 1 a également mis en demeure Mediapro de régler son échéance d'octobre sans délais.
Cet emprunt de la Ligue de Vincent Labrune s'ajoute à un autre, de 224 millions d'euros cette fois, contracté au deuxième trimestre pour assumer la période du confinement. Alors que le conflit s'enlise, il menace désormais bon nombre de clubs français, déjà très affaiblis par la crise sanitaire.
1. La LFP et Mediapro trouvent un accord
Ce scénario est à la fois le plus idyllique et le moins probable. Il faudrait en effet que le groupe audiovisuel de Jaume Roures fasse marche arrière. La diffusion des matchs pourrait alors se poursuivre normalement. Mis à part une soudaine prodigalité des actionnaires de Mediapro ou un étalement de la créance favorable au groupe sino-expagnol, on voit mal ce qui pourrait, dans un futur proche, permettre à l'opérateur de payer davantage qu'il ne le peut aujourd'hui. D'autant plus que la LFP ne pourra lui octroyer de remise, sous peine de s'exposer à une contre-attaque en justice des autres diffuseurs de la Ligue 1. "Si Mediapro paye moins cher, de manière significative, ce serait déloyal vis-à-vis de ceux qui ont fait une offre à la même hauteur lors de l'appel d'offres", souligne une source proche du groupe Canal+.
Et même si les parties parviennent à un accord pour le versement d'octobre, Mediapro sera-t-il en mesure de payer les prochaines échéances, dont la première arrive dès le mois de décembre ? "S'il négocie déjà au bout d'un mois et demi, le groupe ne payera pas pendant quatre ans le prix annoncé", prédit un cadre d'une chaîne concurrente.
2. Mediapro et la Ligue ne tombent pas d'accord
Si le paiement du mois d'octobre n'intervient pas et qu'un accord n'est pas trouvé à l'issue de la médiation du tribunal, la Ligue sera bel et bien obligée de trouver de nouveaux diffuseurs. Sans versement, Mediapro n'aura ainsi plus le droit de diffuser le moindre match à partir du 8 novembre. La LFP devra alors gérer une situation d'urgence. Un appel d'offres pourrait être lancé très rapidement et des négociations de gré à gré s'engager avec de potentiels diffuseurs en mesure de produire des matchs. Forcément peu favorable à une Ligue en position de faiblesse, cette solution ne pourrait être que provisoire, la LFP se chargeant ensuite de proposer un nouvel appel d'offres en bonne et due forme, pour couvrir les années qui restent à honorer par le contrat initialement signé par Mediapro.
3. Des médias reprennent les droits de Mediapro
Si un appel d'offres est lancé, qui serait en mesure de se positionner pour racheter les lots de Mediapro ? Pour un journaliste bien connu des plateaux télés, peu de chances de voir arriver des GAFA : "Ces entreprises ne sont pas des oeuvres caritatives. Si elles investissent, c'est pour gagner de l'argent. A 1 milliard d'euros les droits, personne ne gagne d'argent avec le football français". La Ligue ne devrait alors avoir d'autres choix que de baisser le prix de ces matchs et de dire adieu au milliard d'euros.
Il faut donc s'attendre à voir les diffuseurs traditionnels français se positionner tels que beIN Sports ou RMC Sport. Certains observateurs du milieu imaginent aussi l'arrivée d'un Amazon, déjà impliqué dans des appels d'offres sportifs. D'aucuns parlent même d'une offre OTT que pourrait faire un milliardaire russe ayant déjà sévi en Allemagne, en Italie et en Espagne et qui rêverait de conquérir le territoire français. "Si la Ligue 1 termine sur la chaîne L'Equipe, là, ça veut dire qu'ils sont plus que dans la crise", blague-t-on à la direction d'un grand groupe.
4. Des clubs font faillite
C'est le scénario catastrophe pour le football français si la crise vient à durer. Le mot "faillite" est répété par de nombreux observateurs du milieu. Principale inquiétude : les petits et moyens clubs, très dépendants des droits télé, à l'image de Nîmes, petit Poucet de la Ligue 1 dont 70% du budget dépend de la petite lucarne.
Si Mediapro ne paye pas, il faudra s'attendre à une baisse du prix des droits télés, et donc à une somme plus faible reversée à chaque club. Même les cadors du championnat pourraient être fortement touchés. "C'était déjà les soldes cet été, ça le saura encore plus pour le mercato hivernal. L'échec des négociations entre Mediapro et la LFP pourrait précipiter le départ de Mbappé ou Neymar dès janvier. Le scénario noir est possible !", se désole un professionnel des médias. Selon RTL, une demi-douzaine de banques seraient déjà disposées à consentir des prêts à 4% pour les clubs français. S'il ne compte pas intervenir dans les négociations entre la Ligue et Mediapro, le gouvernement a d'ores et déjà prévenu qu'il ferait "tout pour éviter la faillite" d'un club.