"Le bateau coule et les rats quittent le navire", grince, dépité, un journaliste de RT France joint aujourd'hui. Il vient d'apprendre sur LCI la décision de Stéphanie de Muru de quitter la chaîne d'information internationale russe. Cinq jours après le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la journaliste fraîchement revenue de vacances a décidé de faire "jouer (s)a clause de conscience".
La décision de l'ex-figure de proue de RT France intervient surtout au lendemain de l'annonce par la commission européenne de son intention de faire cesser la diffusion de toutes les antennes de Russia Today sur le vieux continent, dont celle de RT France. "Un coup de massue même si ça flottait dans l'air depuis quelques jours", témoigne un membre de la rédaction. "C'était déjà angoissant depuis jeudi (jour de début de l'offensive russe, ndlr), mais là, c'est dur", commente un autre.
"La décision de bannir notre chaîne, dans laquelle travaillent 176 salariés, dont plus de 100 journalistes, est une violation de l'Etat de droit et va à l'encontre des principes mêmes de la liberté d'expression. Rien ne peut justifier cette censure", a pour sa part dénoncé dès hier soir Xenia Fedorova, la patronne de RT France, sur Twitter.
Face à des salariés inquiets pour leur avenir, la direction de la chaîne d'information internationale russe a tenté depuis hier de rassurer comme elle peut. Dès dimanche soir, l'état-major de RT France a ainsi fait savoir par mail à ses équipes qu'il utiliserait "tous les recours juridiques possibles" pour éviter une fermeture, dont les modalités restent encore floues. Dans un autre message, la direction de RT France a cette fois assuré qu'elle prendrait "toutes les mesures nécessaires" pour "protéger au mieux" ses salariés "sur le plan financier".
Des déclarations insuffisantes pour l'instant pour tranquilliser une rédaction sous forte tension depuis le début de l'offensive russe. Sa couverture du conflit est en effet jugée biaisée et critiquée par plusieurs représentants de la profession et certaines autorités françaises, comme le président de la commission Culture du Sénat, Laurent Lafon, qui a réclamé l'arrêt de la diffusion de la chaîne dès jeudi. Ce même jour, c'est l'ARCOM, le gendarme de l'audiovisuel, qui avait déjà menacé de suspendre la diffusion de RT en cas de manquement. "Nous n'avons pas besoin de journalistes mainstream pour nous faire la morale", a taclé en retour Xenia Fedorova dans un message adressé ce week-end à ses troupes. La chaîne russe a également dénoncé dans un communiqué la "pression politique" exercé sur l'ARCOM.
A ces nuages se sont ajoutées les interpellations voire les menaces sur les réseaux sociaux. Samedi, RT France a ainsi fait savoir par communiqué son intention de porter plainte après réception de menaces de mort. La direction de la chaîne a également annoncé à ses équipes ce week-end s'être rapprochée des forces de l'ordre après avoir relevé "plusieurs appels à manifester" devant le siège de la chaîne sur les réseaux sociaux.
"C'est un peu panique à bord même si on attend encore d'en savoir plus", confesse cet après-midi une petite main de la rédaction au sujet de l'ambiance régnant dans la chaîne. Sur Europe 1, Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, n'a en tout cas guère laissé d'espoir aux salariés de RT France, affirmant n'avoir aucun "scrupule" à fermer la chaîne. A la sortie d'un Conseil de défense ce matin, Jean-Yves Le Drian, ministre des affaires étrangères, a quant à lui promis des "mesures" d'ici "demain ou après-demain".
"S'en prendre à des journalistes, les expulser, interdire les chaînes, constituent, quelques que soient les intentions affichées, un acte de censure qui réduit le pluralisme l'information. Ce n'est jamais la bonne réponse", a dénoncé cet après-midi le Syndicat national des journalistes dans un communiqué de soutien aux salariés de la chaîne. Une assemblée générale sur les "turbulences auxquelles pourrait être confrontée" RT France est toujours attendue le mercredi. Elle s'annonce d'ores et déjà tendue.