Le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) sort de l'ombre. Cette instance, à la légitimité contestée par de nombreux médias, a vu le jour fin 2019. Composée de représentants des journalistes, des éditeurs et des publics, elle a rendu mardi ses premiers avis. L'un d'entre eux porte sur une séquence très remarquée diffusée sur BFMTV le 17 février dernier, en pleine affaire Benjamin Griveaux. Ce jour-là, dans "Bourdin Direct", Apolline de Malherbe avait reçu l'avocat de Piotr Pavlenski, qui avait revendiqué la publication sur internet de vidéos à caractère sexuel destinées à sa compagne, Alexandra de Taddeo.
Au cours de cet échange tendu, la journaliste avait tenté de savoir quel avait été le rôle exact de Juan Branco dans cette affaire. Apolline de Malherbe avait conclu son entretien de la manière suivante : "Plus on vous entend, plus on se demande si Piotr Pavlenski n'est pas que l'exécutant et vous le manipulateur", ne laissant pas l'occasion à l'avocat de réagir à cette insinuation. L'intéressé avait tout juste eu le temps d'ironiser à l'antenne sur ce "grand hommage" le concernant. Quelques heures plus tard, Juan Branco avait annoncé saisir le Conseil supérieur de l'audiovisuel estimant qu'il s'agissait en l'espèce d'une "atteinte très grave à la présomption d'innocence".
Le Conseil de déontologie journalistique indique avoir été saisi par 23 personnes au sujet de cette séquence et avoir adressé un courrier à BFMTV pour obtenir sa position ; un courrier resté sans réponse à ce jour. Dans son analyse, le CDJM admet que "les notions de manque d'objectivité, d'animosité et d'agressivité sont difficiles à matérialiser. Le risque de procès d'intention existe". Et de noter en réaction aux reproches formulés par les personnes qui ont signalé la séquence : "Malgré le ton de la journaliste et sa tendance à ne pas laisser M. Branco aller au bout de ses réponses, le CDJM ne peut affirmer que, dans le cas d'espèce, les reproches de manque d'objectivité, d'animosité et d'agressivité sont factuellement justifiés".
L'instance se montre plus ferme dans la suite de son avis, rappelant au passage que "les entretiens journalistiques ne sont pas des interrogatoires policiers". "La sélection des faits invoqués par la journaliste, sa manière de poser des questions, le choix des termes qu'elle utilise ('instigateur', 'manipulateur'...) , sa propension à impliquer à tout prix l'avocat dans la commission des faits reprochés à son client contredisent l'exigence d'impartialité", note le Conseil à propos d'Apolline de Malherbe.
Pour les professionnels, le fait que la journaliste n'a pas laissé le soin à Juan Branco de réagir après son ultime phrase l'accusant d'être un "manipulateur" constitue "un manquement certain aux règles déontologiques applicables". Selon eux, la saisine dont le CDJM a fait l'objet est "partiellement fondée". "L'ensemble de l'entretien avec M. Juan Branco témoigne d'une partialité envers l'interviewé qui dépasse la liberté d'investigation journalistique", peut-on lire en conclusion de cet avis.