Interview
Kévin Deysson (directeur des productions originales de Disney+) : "Notre mission, c'est de produire des séries pour les adultes, les 18-49 ans"
Publié le 20 octobre 2024 à 14:30
Par Benjamin Rabier | Rédacteur en chef
Addict aux audiences, Benjamin Rabier a choppé le virus de la télévision grâce à la « Star Academy ». Intrigué par l’envers du décor, il a décidé d’en faire son métier. 20 ans plus tard, s’il ne rate (presque) jamais un prime de « The Voice », il peut vibrer devant une compétition sportive, se passionner pour un documentaire ou dévorer une série en un week-end.
En septembre dernier, au Festival de la fiction de La Rochelle 2024, Kévin Deysson, directeur des productions originales de Disney+, s'est entretenu avec Puremédias à l'occasion de l'arrivée sur la plateforme de la mini-série française "Les enfants sont rois".
Kévin Deysson, directeur des productions originales de Disney+ Kévin Deysson, directeur des productions originales de Disney+© Disney
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Après "Tout va bien", "Les Amateurs", "Oussekine"... "Les enfants sont rois" ! Ce mercredi 23 octobre 2024, Disney+ dévoile "Les enfants sont rois", son adaptation sérielle du best-seller de Delphine de Vigan sorti chez Gallimard en 2021. Porté par Géraldine Nakache et Doria Tillier, ce thriller en 6 épisodes suit l'enquête d'une brigade pour retrouver une enfant influenceuse qui a disparu du jour au lendemain. Comment la plateforme de vidéo à la demande du groupe Walt Disney choisit ses projets ? Comment Disney+ s'entoure des "meilleurs" ? Comment mesure-t-elle le succès de ses productions originales ? Puremédias s'est entretenu avec Kévin Deysson, directeur des productions originales de Disney+.

Propos recueillis par Benjamin Rabier

Puremédias : Quand et comment vous êtes-vous dit que "Les enfants sont rois", livre de Delphine de Vigan publié chez Gallimard en 2021, avait le potentiel de devenir une série originale Disney+ ?
Kévin Deysson : J’avais lu le livre à titre personnel. Quand j'ai appris que Fanny Riedberger ("Les Randonneuses" et de "Lycée Toulouse Lautrec" sur TF1, ndlr) avait acquis les droits d’adaptation, je l'ai tout de suite appelée. Notre mission sur Disney+, c'est de faire des séries pour les adultes, en local et en Europe. Nous nous concentrons sur une cible : les 18-49 ans. Pour cette audience-là, nous essayons vraiment d'offrir une diversité de genres en complémentarité avec ce que font nos studios aux États-Unis, notamment sur tout ce qui est familial. Nous avions déjà développé de la comédie avec "Les Amateurs", de la dramédie avec "Tout va bien" ou encore du drame avec "Oussekine". Avec "Les enfants sont rois", nous avions vraiment envie de nous lancer dans le thriller, un genre qui plaît à nos abonnés en France et dans le reste du monde.

Mais nous ne voulions pas faire juste un thriller. Ce qui m’a intéressé dans "Les enfants sont rois" et qui a fait que la série s’intégrait vraiment dans le line-up de Disney+, c'est que l’histoire est extrêmement contemporaine. Il y a un domaine qui n'a jamais vraiment été exploré : celui des enfants influenceurs, des familles qui font de l'unboxing, etc. À côté de cela, c'est aussi une série de personnages. Et chez nous, nous faisons avant tout des séries de personnages. Ici, il y avait des rôles vraiment intéressants, comme celui de Sara, jouée par Géraldine Nakache, ou de Mélanie Dior, campée par Doria Tillier. À travers le thriller, cette série permet de gratter un peu le vernis et de mieux comprendre ces personnages qui entretiennent des relations troubles. Il y avait tout un univers que nous trouvions très intéressant à explorer.

"Nous avons besoin de projets qui soient lisibles, identifiés et différenciants"

Kévin Deysson, directeur des productions originales de Disney+

Vos séries sont souvent portées par des têtes d'affiche. C'est aussi une marque de fabrique de Disney+ ?
Nous travaillons donc avec les meilleurs, en cherchant les meilleures histoires. Et cela passe aussi par le casting. Nous essayons toujours de trouver un équilibre. Par exemple, pour "Oussekine", certes il y a Olivier Gourmet et Kad Merad, mais à côté, un des premiers rôles est tenu par Saïd El Alami. Il y a aussi Bastien Bouillon, qui explose maintenant, et Mouna Soualem qui était à l'affiche de "Cimetière Indien" (présenté à La Rochelle). Nous avons donc à cœur d'équilibrer les castings.

Pour "Becoming Karl Lagerfeld", aux côtés de Daniel Brühl et d'Alex Lutz, pour l’un des rôles principaux, nous avons casté Jacques de Bacher, et nous avons vu une audition exceptionnelle de Theodor Pellerin. Même s'il n'est pas encore très identifié, nous n'avons pas hésité une seconde à le choisir.

Pour "Les enfants sont rois", dès le départ, lorsque nous avons discuté avec Fanny Riedberger, nous avions en tête ce casting : Doria Tillier et Géraldine Nakache. Nous avions envie de les voir jouer ensemble. Nous pensions que Doria ferait une Mélanie incroyable, et nous avions envie de voir Géraldine dans un rôle où elle excelle, mais où nous ne l'avons pas souvent vue. Elle est vraiment super.

De plus en plus de séries sont adaptées d'œuvres littéraires. Comment l'expliquez-vous ?
Nous évoluons aujourd'hui dans un marché où le phénomène de "Peak TV" (forte production télévisuelle, ndlr) a ralenti aux États-Unis, mais il y a encore énormément de projets qui sortent. Nous avons donc besoin de projets qui soient lisibles, identifiés et différenciants. Cela passe souvent par les adaptations, qui aident le public à mieux comprendre ce que sera la série.

Vous dites que vous avez une relation privilégiée avec les auteurs. Disney+ étant un énorme terrain de jeu pour eux, j'imagine que vous devez recevoir un nombre important de dossiers par an...
Chez Disney+, je m’occupe aussi du cinéma, des longs-métrages et des préfinancements mais côté séries, je reçois plus d'une dizaine de projets par semaine je pense. Donc, plus de 350 projets par an.

Et quelle est votre capacité de production ? Combien de fictions originales pouvez-vous produire par an ? 
Nous ne réfléchissons pas en termes de volume. En deux ans, nous avons lancé 15 productions originales (films, documentaires inclus). Le danger, quand on parle de volume, c'est d'aller trop vite. La série, c'est un temps long, un travail collectif. Au début de la chaîne, ce ne sont pas des scripts déjà écrits que je reçois mais un traitement de 10 pages. À partir de ce traitement-là, il faut travailler, faire des allers-retours avec les auteurs. C'est un processus long et nous nous laissons ce temps-là. 

On constate qu'aujourd'hui le format des séries a changé, notamment avec les plateformes. Ce sont désormais des séries ou des mini-séries de 6 à 8 épisodes. Comment l'expliquez-vous ?
C'est la manière dont les utilisateurs, les abonnés des plateformes, consomment le contenu qui est différente.

"Les séries trop étirées, avec de trop nombreux épisodes, peuvent démobiliser"

Kévin Deysson, directeur des productions originales de Disney+

Aux États-Unis, il y avait autrefois des saisons de 22 épisodes. En télévision, cela n'arrive jamais sur les plateformes. Pourquoi ?
Il y a une vraie différence entre les Américains et la France. En France, il n'y a jamais eu de saison de plus de 12 épisodes. C’est pareil en Angleterre ou en Scandinavie, où les saisons ont toujours été plus réduites. C'est presque une exception culturelle européenne. Aujourd’hui, le public est sur-sollicité. Il a besoin, lorsqu'il s'engage dans une saison, que les enjeux soient clairs dès le départ.

Les séries trop étirées, avec de trop nombreux épisodes, peuvent démobiliser. Notre objectif est que nos abonnés terminent les séries que nous leur proposons. Le format de 6 à 8 épisodes aide à cela.

En revanche, l’une de nos problématiques actuelles est de réussir à créer des séries qui reviennent sur plusieurs saisons. Nous voulons avoir des séries qui peuvent s’étendre sur des saisons 2, 3, etc., car elles créent de l'engagement et de la fidélité. Aux États-Unis, les "Kardashians" en sont à la saison 5 ou 6, et "Only Murders in the building" achève sa saison 4. C'est très important, car ce sont des marques fortes. Nous avons également cet objectif en France. 

Vous avez mentionné que la plupart de vos productions originales françaises sont des mini-séries. Votre objectif serait-il de développer des séries qui peuvent s'étendre sur plusieurs saisons dans les prochains mois ou années ?
C'est l'un des objectifs de Disney+. Nous avons beaucoup de séries en développement, et j'espère que certaines d'entre elles auront plusieurs saisons. Mais c'est toujours une question d'équilibre. Nous avons aussi besoin de créer des événements avec des séries.

Comment mesurez-vous le succès d'une série ? Est-ce l'image, les retombées médiatiques, ou les abonnements générés ?
Je ne peux pas trop entrer dans les détails, mais il y a beaucoup de critères. Le premier critère est local. Le succès est d'abord mesuré en fonction de la réception locale, même si nos séries sont diffusées à l'international. Le but premier des productions locales françaises est que le public français y trouve son compte, qu'il y ait une touche française sur Disney+. C'est pour cela que nous avons des bureaux en Espagne, en Angleterre, en Scandinavie, en Italie, en Allemagne, partout en Europe et dans le monde.

Ensuite, il y a d'autres critères, comme le succès critique et les retombées presse, qui sont très importants pour nous. Il est également essentiel que les abonnés regardent la série jusqu'au bout, et que de nouveaux abonnés s'inscrivent pour la regarder.

Est-ce une différence que Disney+ mesure principalement le succès en local, plutôt qu'à l'international ?
C'est une vraie différence par rapport à Netflix, dont certaines séries espagnoles deviennent des hits internationaux. Pour nous, la France est prioritaire. Nous mesurons d'abord et avant tout le succès d’une production originale en fonction de ses performances en France. Si nos séries voyagent, c’est évidemment un plus. Quand nous faisons "Becoming Karl Lagerfeld", nous savons dès le départ que la série aura une portée internationale. C'est pourquoi nous avons choisi Daniel Brühl.

Cependant, certaines spécificités locales ne peuvent pas être ignorées. Par exemple, la comédie est très locale. Chaque pays a son propre sens de l'humour. Nous avons donc besoin d'adapter le contenu à chaque marché.

En France, la comédie semble moins présente dans la fiction télévisuelle par rapport aux séries dramatiques. Pourquoi ?
La France a une longue tradition de films de 90 minutes, notamment dans le domaine de la comédie, ce qui fait que les auteurs ont eu peu d'opportunités d'explorer des formats de 30 minutes. À part les short-coms, il n'y a jamais vraiment eu de créneau pour cela à la télévision, sauf sur Canal+.

Les plateformes ont changé cela. Sur Disney+, nous avons lancé "Weekend Family" et "Les Amateurs", qui ont bien fonctionné. Nous avons également annoncé "Ghosts", une comédie de 30 minutes. D'autres projets comiques sont en développement. Cependant, il est vrai que ce n'est pas facile. Une comédie nécessite un concept fort et des talents capables d'incarner le projet. L'écriture de la comédie est très codifiée et donc complexe. Mais nous recevons de plus en plus de propositions.

"Il y a une vraie complémentarité d'audience entre les plateformes et la télévision linéaire"

Kévin Deysson, directeur des productions originales de Disney+

Quels sont les futurs projets français de Disney+ ?
Je peux vous parler de deux projets que nous avons déjà annoncés, mais il y en aura d'autres qui créeront l'événement en 2025, et dont je ne peux pas encore parler. Nous avons une coproduction avec TF1 qui s'appelle "Ghosts", avec Camille Chamoux et Hafid F. Benamar. C'est Arthur Sanigou qui réalise et qui a écrit.

C'est intéressant parce que c'est vraiment un modèle que nous essayons de développer, c'est-à-dire construire des partenariats avec les chaînes linéaires. C'est quelque chose que nous voulons vraiment continuer à faire. Nous le faisons en deuxième fenêtre sur des séries comme "HPI", qui va d'ailleurs être remakée par nos studios aux États-Unis. C'est une belle histoire avec Itinéraire Prod. Et aussi une belle histoire avec BBC Studios France avec "Ghosts" et "Les Amateurs". 

Qu'est-ce que cela apporte à Disney+ d'être diffusé sur TF1, par exemple ?
Nous voyons, par exemple, avec "Cat's Eyes", ils ont fait un partenariat avec Amazon. Pour eux, en termes de budget, c’est gagnant-gagnant. Il y a évidemment un aspect financement. Cela permet d'avoir des séries plus ambitieuses et de répartir les coûts. Je pense qu'il y a une vraie complémentarité d'audience entre les plateformes et la télévision linéaire. Nous ne nous cannibalisons pas. Je pense que nous sommes plutôt partenaires qu'autre chose.

Et pour une série comme "Ghosts", justement, vous parliez de comédie, et il n'y a pas vraiment de comédie de 30 minutes en France. Je pense que pour TF1 et pour nous, c'est génial de tester ensemble ce genre de choses. Et nous allons continuer à le faire. Nous discutons avec tout le monde.

Dans les autres séries que je peux vous annoncer, nous avons une autre série produite par Itinéraire ("HPI") qui s'appelle "Les disparues de la gare". C'est un polar adapté d'un fait divers qui s'est passé dans le sud de la France, à Perpignan. Pendant 20 ans, des femmes ont disparu ou ont été retrouvées sauvagement assassinées. La police a enquêté pendant des années sur le tueur de la gare. La série est créée par Gaëlle Bellan, qui a travaillé sur "Engrenages". Elle met en vedette Camille Razat, l'une des stars d'"Emily in Paris". Les spectateurs vont la découvrir dans un rôle complètement différent. Le casting inclut également Hugo Becker et Mélanie Doutey.

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