"L'inquiétude est grande parmi nous". Par deux fois cette semaine, la Société des journalistes du "Parisien" s'est fendue de communiqués internes pour alerter sur les craintes qui traversent la rédaction. Mercredi, l'organisation qui fédère les différentes plumes du titre dénonçait la couverture trop partisane et pro-gouvernement de la réforme des retraites.
Deux jours plus tard, vendredi 31 mars, c'est un autre problème, plus pernicieux, qui a été mis en lumière à l'issue d'une réunion. Alors que les journalistes devaient simplement élire le nouveau bureau de la SDJ, le message de la veille a poussé 120 journalistes à participer, transformant l'élection en réunion de crise de trois heures dont est né un deuxième communiqué interne tout aussi alarmiste.
"Pire encore (que les biais éditoriaux dans la couverture de la réforme;ndlr), ce sont les sujets qui ne paraissent pas. Des journalistes ont témoigné ici qu'il leur a été explicitement demandé de ne pas travailler sur certaines enquêtes. D'autres racontent ce mécanisme insidieux qui veut qu'on anticipe un 'non' et qu'on s'autocensure. Constat qui vaut pour les rédacteurs comme pour leurs chefs de service", souligne le compte-rendu du collectif. Aucun nom ni sujet n'est directement listé. Pourtant, une enquête du "Monde" en dévoile plus sur ces incidents.
Alors que le grand reporter Jean-Michel Décugis était en pleine enquête, il aurait été incité à tout arrêter lorsque le nom de Vincent Bolloré est apparu. "Il lui aurait été suggéré que notre actionnaire était en négociation avec Bolloré pour racheter des titres média", rapporte le quotidien.Nicolas Charbonneau, le directeur de la rédaction du "Parisien" a pourtant assuré n'avoir aucune consigne que ce soit de la part de l'actionnaire du titre, le groupe LVMH.
Pour clore son deuxième communiqué interne, la SDJ du "Parisien" s'est dite "inquiète de la crise que traverse la rédaction des 'Échos'". Et pour cause, les rédactions voisines du 10 boulevard de Grenelle semblent toutes les deux gênées par leur actionnaire. Le 21 mars, la nouvelle de l'éviction de Nicolas Barré du poste de directeur de la rédaction a fait grand bruit. Si le journaliste va bien continuer à occuper un poste au sein du quotidien économique, il aurait été chassé par son actionnaire pour des articles litigieux. En cause, selon les journalistes du titre, un article sur les perquisitions au sein du groupe de luxe, et une critique du livre "Histoire d'un ogre" (Gallimard). Signé par Erik Orsenna, l'oeuvre ne concerne nulle autre que Vincent Bolloré, encore une fois.
A LIRE AUSSI : "Guillaume Meurice : 'Vincent Bolloré veut jouer au con, il n'est pas sûr de gagner'"
La question n'est pas celle d'une amitié entre les deux milliardaires, mais plutôt de leurs intérêts communs. Vivendi et le groupe Lagardère sont aujourd'hui en attente de l'aval de Bruxelles pour leur fusion. Mais pour que celle-ci soit menée à bien, le groupe de Vincent Bolloré pourrait être contraint de céder certains de ses titres de presse : "Voici", "Gala" ou "Paris Match". Et justement, en 2021, le dirigeant de LVMH avait tenté de s'offrir le dernier ainsi que le "Journal du dimanche" pour la coquette somme de 80 millions d'euros. Il serait logique de penser que celui-ci se porterait à nouveau candidat en vue d'une nouvelle mise en vente.
La direction du groupe Les Echos-Le Parisien dément formellement toute ingérence de l'actionnaire dans les deux titres. Une petite phrase qui date de plusieurs jours continue pourtant d'agacer en interne. Dans le communiqué envoyé par "Les Échos" pour annoncer le changement de poste de Nicolas Barré, Bernard Arnault a "personnellement tenu" à s'exprimer à la place de Pierre Louette, le PDG du titre. Une information révélée par "Le Point".
Le message n'avait, en soit, rien de provoquant. Il s'agissait de "remercier (Nicolas Barré) pour son parcours de plus de dix ans à la tête de la rédaction". La SDJ des "Échos" voit cependant dans la signature de son actionnaire une "ingérence de plus dans la vie du journal". Confrontées à un même problème, les deux SDJ souhaitent mener main dans la main la lutte pour leur indépendance. Dès la semaine prochaine, des représentants de la rédactions des "Échos" devraient être invités à témoigner lors d'une assemblée au "Parisien". Un trajet d'à peine quelques marches...