Vincent Bolloré influence-t-il la ligne éditoriale de "Paris Match" ? C'est ce qu'affirme une ancienne journaliste expérimentée de la rédaction. Grand reporter pendant seize ans au sein de l'hebdomadaire, Émilie Blachère a fait jouer sa clause de conscience au moment de quitter la rédaction, a révélé franceinfo: hier. Un motif refusé par sa direction qui a contraint la journaliste à saisir les prud'hommes le 16 février.
Dans sa requête, Émilie Blachère tente de démontrer, exemples à l'appui, comment l'homme fort de Vivendi pèse directement ou par voie détournée sur la ligne éditoriale du journal. Elle relève notamment que la décision autour des couvertures de magazine revient désormais à Lagardère News en place de la direction de la rédaction. De ce point de vue là, la Une consacrée au cardinal Robert Sarah à l'été 2022 et l'absence de première page sur la réélection d'Emmanuel Macron à la tête de l'État, une première dans l'histoire du magazine, avaient fait grand bruit.
La journaliste souligne également la place grandissante occupée par les médias du groupe de Vincent Bolloré dans ceux du groupe Lagardère. La nomination de Laurence Ferrari, visage d'Europe 1 et CNews, à la tête du service politique, a ainsi été un des tournants récents. La requête évoque enfin "une série de sujets imposés à la rédaction au nom de synergies commerciales entre Lagardère et les entités médias du groupe Vivendi comme Canal+ ou l'éditeur Fayard. Elle dénonce aussi l'existence d'articles complaisants vis-à-vis de l'entourage de Vincent Bolloré", écrit franceinfo:.
Il y a les sujets imposés mais aussi les sujets proscrits. Émilie Blachère s'étonne de "l'absence d'articles sur les protégés du milliardaire comme Cyril Hanouna, star de la chaîne C8, pourtant au coeur de l'actualité". "J'aime profondément ce titre", explique Émilie Blachère à franceinfo: "J'étais très fière d'y appartenir, mais aujourd'hui la situation est trop grave pour l'avenir du journal. On piétine le travail et l'esprit de Match."
Un constat qu'elle est loin d'être la seule à partager. Une motion de défiance de la Société des journalistes (SDJ) avait été votée en août 2022, après le départ de Bruno Jeudy. La même SDJ a refusé d'être associée, la semaine passée, à un éditorial du patron de l'hebdomadaire. Patrick Mahé a soutenu CNews après les propos de la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak. Dans un communiqué, la SDJ dit "se désolidariser de cette prise de position qui ne peut que nuire à l'image du titre et faire douter de l'indépendance de la rédaction vis-à-vis de son actionnaire principal (Vivendi)".
"La nouvelle direction veut s'attirer les bonnes grâces du futur actionnaire", ajoute un journaliste souhaitant conserver l'anonymat. "On est rentrés dans une logique de média global, une logique industrielle avec ces fameuses 'synergies' et des journalistes de 'Match' et du 'JDD' invités à faire un maximum de plateaux sur CNews".
Dans un courrier envoyé à la journaliste, Vivendi se défend pourtant de mettre son nez dans la vie de la rédaction de "Paris Match". "(Le groupe) n'exerce pas encore de contrôle sur le groupe Lagardère (...) et n'intervient pas dans sa gestion stratégique, financière et encore moins éditoriale", assure-t-il. Des changements "à l'instigation de Vincent Bolloré" chez "Paris Match", le "JDD" ou Europe 1 ? "C'est du fantasme pur", a balayé dans "Le Figaro", lui aussi, Arnaud Lagardère. "Ces synergies sont mes idées, et Vincent Bolloré n'intervient pas dans les médias du groupe". Une nouvelle phase de rapprochement pourrait se concrétiser rapidement. Selon franceinfo:, les équipes du "JDD" et de "Paris Match" accueilleront prochainement leurs homologues de CNews au deuxième étage du bâtiment parisien qui abrite leurs locaux.