Certains la disaient "incompétente", "larguée" sur les sujets télé. Delphine Ernotte-Cunci, nouvelle présidente de France Télévisions, s'est tue pendant toute la période de tuilage, un moment "horrible et trop long" depuis sa nomination le 23 avril dernier. Avant de prendre le poste, elle a encaissé critiques et attaques venues de toutes parts. Elle semble désormais décidée à rendre coup pour coup.
Sa rentrée médiatique s'est jouée en deux temps, d'abord dans les colonnes du Monde et de Télérama la semaine dernière. Puis elle a sauté ce midi dans le grand bouillon de l'interview, face à une quarantaine de journalistes médias de l'AJM. Les sujets étaient nombreux : nouvelle chaîne d'information, redevance, dotation de l'Etat, indépendance de l'information. Habitués au discours policé de son prédécesseur Rémy Pflimlin, les journalistes présents ont découvert face à eux une nouvelle présidente qui parle cash. Une révolution ?
La chaîne d'information aux couleurs de France Télévisions était dans son projet présenté au CSA il y a quelques mois. Lancement prévu : septembre 2016. Elle l'a rappelé à sa ministre de tutelle, Fleur Pellerin, qui a déjà émis la semaine dernière quelques réserves. "Je n'ai besoin de l'autorisation de personne pour lancer une chaîne d'informations (...) J'ai toujours été très claire, c'est un projet présidentiel. Le CSA m'a nommée avec ce projet". Elle a aussi balayé les critiques après la nomination pour ce projet de Germain Dagognet, venu de TF1 et chargé de com' du cabinet de Lionel Jospin dans une autre vie : "C'était il y a 25 ans, il y a prescription !". Cette chaîne d'information, sans pub, s'adressera d'abord aux jeunes "qui ne regardent plus le 20 heures". Reste à trouver comment la financer...
C'est le serpent de mer depuis plusieurs années : faut-il rétablir la publicité après 20 heures pour renflouer les caisses de l'audiovisuel public ? Malgré les nombreux allers-retours du gouvernement sur ce sujet, Delphine Ernotte n'a pas de "tabou" et étudie clairement le retour des écrans de pubs entre 20h et 21h. Couper les événements sportifs de prime avec de la pub représente "peanuts" dans le chiffre d'affaires mais rétablir la publicité avant le prime est un sujet.
"Je demande le fromage et le dessert, hausse de la publicité et de la redevance. Sinon il faudra couper quelque part", prévient Ernotte. Sa préférence va à un élargissement de l'assiette, comme en Allemagne. Elle aimerait que la question sur la taxe d'habitation ne soit plus liée au poste télé mais au récepteur capable de la recevoir, tablettes et smartphones compris donc. Delphine Ernotte n'est pas contre "fiscaliser" la redevance, ajustée en fonction du niveau de ressources des ménages. Le symbole politique d'une augmentation de cet impôt n'est pas son sujet. "Le risque politique m'échappe. L'actionnaire, c'est l'Etat, et il prendra ses responsabilités, moi les miennes. Mon rôle, c'est de défendre mon bout de gras auprès de lui". Les négociations du prochain COM (Contrat d'Objectifs et de Moyens) avec lui s'annoncent sportives.
"A quoi ça sert que des gens payent une redevance si personne ne regarde nos programmes ?Je veux qu'on sorte du débat stérile qui consiste à opposer l'audience à la qualité des programmes, prévient Delphine Ernotte. Avec des programmes mainstream, on doit faire de l'audience. Mais sur certains d'entre eux, France Télévisions a la liberté de ne pas devoir faire le maximum".
Les marques sur le numérique sont nombreuses : Pluzz, culturebox, Francetvinfo, Francetvsport, Francetveducation... Une rationalisation des services sur le numérique et applis pour smartphones est à l'étude. Le service de replay Pluzz devra évoluer, notamment sur la recommandation comme Netflix. Netflix, "qui se bat la cravate de l'exception culturelle française" (sic) est dans le viseur de la nouvelle présidente. "Avec Google, Youtube et Amazon, ce sont eux nos vrais concurrents, plus que TF1 ou M6". Mais pas question d'arroser ces plateformes américaines de contenus France Télévisions : "vous nourrissez alors la bête que vous voulez combattre". Delphine Ernotte étudie l'idée "d'une plateforme européenne associant SVOD et contenus à la demande sur un modèle freemium : gratuits et payants".
Critiquée pour s'être adjoint les services de Denis Pingaud, un communicant - qui travaille aussi pour Mathieu Gallet, Delphine Ernotte a précisé qu'il n'avait "aucun" contrat avec France Télévisions. David Kessler, ex-conseiller culture et communication de François Hollande, l'a-t-il aidé à constituer son dossier pour le CSA ? "Non. Je le connais, et alors ? Il travaillait chez Orange comme moi".
Elle a par ailleurs affirmé avoir rencontré "une seule fois chaque Sage du CSA" avant son audition. "Qu'on dise dans Tout-Paris que j'ai un super réseau, ça me va très bien" lance Ernotte à ses détracteurs. Et à ceux qui doutent encore de sa capacité de résistance, Delphine Ernotte, "qui a divisé son salaire par deux" en quittant Orange pour France Télévisions prévient : "J'ai l'âge pour faire 3 mandats".