Ce sont les deux intervieweurs les plus écoutés de France chaque matin. Toute la journée, Patrick Cohen et Léa Salamé de France Inter sont les invités spéciaux de puremedias.com. Dans cette deuxième partie, ils évoquent la situation du groupe Radio France, marqué au printemps par un mois de grève.
> P1 : "J'avais très peur qu'on n'accroche pas"
Propos recueillis par Julien Bellver et Benoît Daragon.
puremedias.com : La dernière vague d'audience n'a pas été beaucoup impactée par la grève à Radio France. Le premier sondage intermédiaire confidentiel est plus difficile. Inter peut-elle rattraper son retard ?
Patrick Cohen : Tous les gens qui bossent dans la radio savent que la vague janvier/mars est la plus importante car elle permet de construire les grilles de la saison suivante. La saison n'est évidemment pas finie et on continue de se bagarrer pour offrir la meilleure radio possible aux auditeurs mais pour nous, ces sondages de mi-avril sont venus récompenser une saison qui a été, à nos yeux, réussie. On a fait la course en tête. Le 15 juillet, il y aura d'autres chiffres, mais tout le monde sera en vacances ! (rires) On n'est pas du tout dans ces calculs d'apothicaires pour savoir si on peut retrouver quelques points perdus pendant la grève...
Léa Salamé : Mais indéniablement ces semaines de grève vont avoir un impact important...
Patrick, pendant un mois, vous n'avez pas été particulièrement solidaire des grévistes. Pourquoi être resté à l'écart du conflit ?
PC : Je n'étais pas à la pointe de la grève, c'est vrai. Quelle que soit la position qu'on peut avoir vis a vis de la grève, ça a été un gâchis pour tout le monde. Le lundi de Pâques, j'ai tenu à expliquer aux auditeurs de France Inter ma position sur la grève dans une chronique (à réécouter ici) dont je ne retire pas une virgule. Je décrivais très précisément mes sentiments, mes attentes et mon jugement sur le conflit. Ce jour-là, j'avais fait relire le billet à l'équipe de la matinale. Ils m'avaient dit que le texte reflétait également ce qu'ils pensaient. Donc ce n'était pas tout à fait un billet personnel. Fabienne Sintes de France Info s'est, elle, exprimée dans les médias et sur Twitter. Je me suis retrouvé dans les mêmes AG qu'elle à observer les mêmes choses mais moi je ne tweete pas.
LS : Enfin tu ne tweetes pas mais tu observes tout avec un compte caché... (rires) Tu ne veux pas nous révéler ce mystérieux pseudo, d'ailleurs ?
PC : Mais puisque je ne tweete pas, ça n'a pas d'intérêt...
LS : Je ne désespère pas de le faire changer d'avis avant la fin de l'année !
Léa, vous venez du privé, comment avez-vous vécu cette grève ?
LS : C'est la première fois de ma vie professionnelle que j'assistais à une grève. Il y avait quelque chose d'assez ubuesque. J'ai été à la fois surprise de voir l'attachement des salariés à cette maison, chose que vous ne ressentez pas dans le privé, mais aussi celui des auditeurs. Les salariés ont de vraies inquiétudes sur l'avenir du service public de la radio. J'ai été très observatrice. Au début j'ai pensé que ça n'allait durer que quelques jours...
Il y a eu des moments de frustrations ?
LS : Chaque jour on préparait les interviews puis on annulait les invités en fin de journée... Dans les derniers jours, je ne comprenais pas pourquoi ça durait autant de temps car la direction avait proposé quelques avancées. Devoir attendre tous les jours l'AG avait un côté désespérant. C'était intéressant à vivre, car j'ai compris des choses que je ne voyais pas avant.
PC : Même moi qui ai un peu plus de bouteille dans le service public, j'apprends toujours en parlant et en écoutant des gens qui sont dans la maison mais dans l'ombre. Du coup, pour Léa, ça a participé à une meilleure connaissance de cette maison qui est extraordinaire, unique et parfois compliquée.
Patrick, dans votre fameux édito de 7h43, on vous a reproché d'être plus saignant avec Agnès Saal et ses notes de taxis qu'avec Mathieu Gallet et ses travaux de moquette....
PC : Vous trouvez que les faits m'ont donné tort ? L'inspection générale des finances a rendu justice à Mathieu Gallet...
C'est difficile de critiquer son patron ?
LS : Dis les choses, Patrick ! Oui, c'est difficile, pour n'importe quel salarié, de critiquer son patron...
PC : Si cela avait été une affaire de notes de frais de Denis Olivennes, Europe 1 n'en aurait pas parlé...
LS : Et pourtant, il a été de nombreuses fois moqué sur les antennes de France Inter, Mathieu Gallet ! Charline y est revenue tous les matins !
PC : Je vous renvoie à mes deux billets moqueurs de 7h43 sur mon patron... Et il y a eu des papiers dans chaque journal. Je n'allais pas moi aussi revenir sur une info déjà traitée dans l'heure précédente ! Mon édito de 7h43 n'est pas un truc isolé, il doit être cohérent avec le reste de l'antenne. Quand j'ai lu l'article du Figaro sur Agnès Saal, j'ai trouvé ça hallucinant. Si la rédaction avait fait des papiers dans les journaux, j'aurais parlé d'un autre sujet. Et enfin les faits ne sont pas de même nature. Les palissandres ce n'est pas un usage personnel, ils resteront dans le bureau du président de Radio France après le départ de Mathieu Gallet. Les taxis d'Agnès Saal, c'est de l'argent public jeté par les fenêtres !
Arthur, Bernadette Chirac, ou Pascal Houzelot : ce sont d'autres personnes que vous avez récemment égratignées. Vous n'avez jamais été aussi rentre-dedans...
PC : On ne va pas me reprocher à chaque fois de mettre de l'humeur dans mon billet de 7h43 ! Non, je ne fais pas un papier factuel. C'est un billet d'actu dans lequel j'essaye de surprendre et d'être un peu original.
LS : Oui, il y va !
PC : Mais pas plus qu'avant ! Les journalistes de puremedias nous écoutent un peu plus maintenant, c'est tout ! (rires) Je peux vous citer des dizaines d'exemples très anciens comme une charge contre le CSA et ses règles sur le temps de parole avant la présidentielle ! Bon, c'est vrai qu'en ce moment je me sens plus...
LS : ...en confiance !
PC : J'espère que ça amuse les auditeurs surtout ! J'essaie de surprendre. Je ne suis pas là pour faire couler de l'eau tiède. L'eau tiède, ça coule sur toutes les antennes. Quand je vois en studio des yeux qui se relèvent des papiers et des sourires qui apparaissent, je me dis que j'ai réussi. Et puis j'essaye de parler de sujets qui passent inaperçus. Vous parlez de personnes que je ciblerais, mais comme Léa, je déteste les chasses à l'homme. Je ne suis jamais dans la meute.
Mathieu Gallet a été victime d'une chasse à l'homme ?
PC : Il a a été victime d'une campagne. Quand on a la publication en feuilleton de révélations, il y a forcément une part qui relève d'une "opération".
LS : Clairement, il y a eu une campagne, orchestrée par je ne sais par qui... Tu sais toi ?
PC : Je pense qu'il y a plusieurs personnes. Tu sens que je m'acharne sur des gens ? (rires)
LS : Non ! Ce billet apporte de l'humeur à la matinale et des prises de position. Et c'est un des ingrédients de son succès. Elle n'est pas chiante, cette matinale. Pour t'avoir écouté l'année dernière avant de te rejoindre, je trouve que tu te lâches en ce moment. Et c'est souhaitable car ces sujets-là ce sont de vraies indignations de Patrick Cohen ! Parfois, le matin, il est bougon...
PC : Bah oui, mes billets sont sincères !
LS : Parfois, je ne suis pas d'accord et je lui dis ! Mais à notre époque, ça fait du bien d'avoir une humeur matinale avec son édito.
PC : Ce n'est pas un édito, j'aime seulement passer des chansons... (rires)
Léa, il doit rester un peu énervé, Patrick Cohen ?
PC : Mais je ne suis pas énervé...
LS : Mais si, et il faut qu'il le reste ! Patrick, c'est l'un des meilleurs journalistes de France, avec une mémoire politique ahurissante. Il est capable de vous ressortir une phrase de Michel Rocard qui date de 1991...
PC : Je n'étais pas né en 1991, tu exagères... (rires)
LS : Mais cette volonté d'être exemplaire sur les faits le contraignait jusque-là à quelque chose d'un tout petit peu corseté. Et je trouve qu'il se lâche, et c'est tant mieux !
La crédibilité et l'autorité de Mathieu Gallet ont été entamées par ce conflit, disent les syndicats. Est-il toujours l'homme de la situation ?
LS : Ce n'est pas à nous d'en décider !
PC : La seule chose que je veux dire, c'est qu'il a mis en place des équipes qui ont assuré le succès de France Inter cette saison.
LS : Et de France Info et de toutes les autres stations du groupe, puisque toutes sont en hausse !
PC : Et pour nous, c'est essentiel. Après, on est en première ligne sur les questions budgétaires. Car partir en reportage ou délocaliser une matinale, ça a un coût ! Donc on est vigilant là-dessus.