De nouveaux chiffres pour la presse. Ce mercredi, l'Alliance des chiffres de la presse et des médias (ACPM) sort sa nouvelle étude sur les audiences des journaux, baptisée One Next. Celle-ci analyse les résultats d'audience des marques de presse sur l'ensemble de ses supports. Afin de détailler cette étude, Stéphane Bodier, directeur général de l'ACPM, a accordé un entretien à puremedias.com.
Propos recueillis par Florian Guadalupe.
puremedias.com : Qu'est-ce que l'étude One Next ?
Stéphane Bodier : C'est le résultat de plus de trois ans de travail. Je veux faire une métaphore : C'est comme si nous avions construit une voiture électrique. Elle doit avoir les mêmes performances qu'une voiture traditionnelle. Mais elle doit apporter des innovations sur la qualité, la précision et le confort. De plus, elle doit coûter moins cher.
La précédente étude, One, avait été conçue il y a une dizaine d'années. A cette époque, le print était majoritaire dans la consommation des Français. Il s'agissait de consommation de médias relativement traditionnelle. En même temps, du côté des éditeurs français, le digital était principalement un développement du print. Aujourd'hui, une grande partie des éditeurs ont placé le digital au coeur de leur métier. Il fallait une étude qui allait traduire à la fois les nouvelles consommations médias des Français et qui puisse prendre en compte tous les développements des marques médias sur tous les supports. De plus, il faut faire en sorte que les agences et les annonceurs aient plus envie de traiter les marques de presse.
"Il s'agit d'une grande innovation en matière de méthodologie"
Quelles sont les innovations de One Next ?
La première innovation a été d'avoir l'étude la plus fine et la plus granulaire en matière de connaissances des Français et des lecteurs. Nous arrivons à un niveau de précision incroyable. C'est important pour une agence et un annonceur d'avoir la connaissance la plus fine possible de sa cible. La deuxième innovation est le "media planning multi-canal", c'est-à-dire la possibilité autour d'une marque média de pouvoir faire des opérations publicitaires print et digital, avec les différents "devices", majoritairement mobile et ordinateur. La troisième innovation est un "media planning" temporalisé, c'est-à-dire que nous avons intégré la mesure des reprises en main. Auparavant, la presse était traitée comme les autres médias. Le phénomène de reprise en main n'était pas du tout intégré alors qu'il est très important pour ce support. La puissance réel et le nombre de contacts étaient sous-estimés. Nous avons ainsi développé une innovation mondiale : une application pour pouvoir calculer au plus près la mesure de la reprise en main. Notre dernière grande innovation est la quantification de la relation entre un lecteur et son titre, à travers la mesure de la confiance, de l'attention, de la désirabilité et de l'engagement.
Quels ont été les changements dans la méthodologie par rapport aux anciennes études One ?
L'étude One Next a un socle commun avec les précédentes de 28.000 interviewés. Ce panel a accepté la pose de cookies pour pouvoir suivre sa consommation digitale en temps réel. Ces données ont été fusionnées avec celles de Médiamétrie. Nous les avons aussi croisées avec les résultats d'une étude de Kantar pour pouvoir avoir des données en matière de consommations, de valeurs et de centres d'intérêts. Parmi ces 28.000 interviewés, il y en a 5.000 qui ont accepté d'utiliser une application qui s'appelle "Ma presse à moi". Avec cette plateforme, pendant quinze jours, ils devaient poser leur téléphone à côté du journal qu'ils lisent. L'application pouvait ainsi reconnaître le titre de presse et noter l'heure. Ca permet de mesure en temps réel les prises en main. De plus, l'application propose au lecteur de répondre à une série de questions pendant une vingtaine de secondes. Ce questionnaire permet de mesurer la force de la relation entre le lecteur et la marque de presse, pour ensuite quantifier les notions d'attention, de confiance et d'engagement. Il s'agit donc d'une grande innovation en matière de méthodologie. Il est à noter que toutes ces innovations ont été accompagnées et contrôlées par le CESP (Centre d'étude des supports de publicité, ndlr). Son métier est de contrôler les méthodologies. Ils viennent dans nos locaux tous les lundis depuis trois ans pour tout vérifier. Ils font en sorte que les enquêteurs fassent bien leur travail et que les fusions et les modélisations soient réalisées correctement. C'est comme si nous avions un audit en continu. Nous ne pouvons pas être plus rigoureux.
"Il faut que les marques de presse continuent à soutenir le print, car c'est ce dernier qui rapporte le plus de publicités"
Pourquoi l'étude One Next a-t-elle mis trois ans à être publiée ?
Il a fallu beaucoup tester. Certains tests n'ont pas été concluants. C'est un énorme chantier. Il faut faire en sorte que la taille de l'échantillon et la précision des enquêtes soient en accord avec l'audience globale. Quand nous testons une étude d'audience, nous sommes obligés de la tester en taille réelle. Nos chiffres doivent être représentatifs pour tous les éditeurs, les plus gros comme les plus petits. Cela oblige à des tailles d'échantillon énorme.
Peut-on comparer les résultats de l'étude One Next à ceux de One ?
Elles ne sont pas comparables. Les méthodologies sont totalement différentes. Au niveau des résultats par titre, ils ne peuvent pas être comparés à ceux d'il y a trois ans. Toutefois, ils sont quand même en ligne avec l'évolution des marques médias. En trois ans, la presse quotidienne régionale s'est totalement développée sur le digital. Ce secteur a ainsi des audiences plus importantes. Des groupes de presse magazine, comme Prisma Media, ont réalisé un énorme travail de transformation. C'est devenu l'un des leaders français sur la vidéo. Leurs chiffres sont très positifs. Puis, d'autres titres de presse magazine n'ont pas su suffisamment se développer dans le digital. Dans un monde où le print baisse naturellement, s'il n'y a pas de développement sur le digital, les audiences globales vont connaître une chute conséquente.
En quoi est-ce si important de regrouper tous les supports médias en une seule audience globale ?
C'est la réalité de la consommation. Nos lectures sont de plus en plus digitales. Dans le digital, il y a de plus en plus de lecture mobile. Mais la lecture sur l'ordinateur reste encore très importante pour certains titres de presse. Il y a des titres aujourd'hui qui réalisent de plus fortes audiences sur le digital. Cependant, le print, même si son audience est en baisse, amène plus de revenus publicitaires que le digital. C'est d'ailleurs tout le paradoxe. Les Français consomment plus une marque de presse sur le digital, mais en matière d'investissements publicitaires, le digital a encore plus trusté par les plateformes. Il faut que les marques de presse continuent à soutenir le print, car c'est ce dernier qui rapporte le plus de publicités.
"La presse est un média central et elle ne doit pas être traitée comme un complément"
Comment les titres de presse ont-ils fait face à la crise sanitaire ?
Sur le digital, certains titres ont fait d'impressionnantes progressions. Ceux qui s'en sont le mieux sorti, ce sont les quotidiens régionaux et nationaux. Il y a eu une croissance des abonnements numériques incroyables pour "Le Monde", "Les Echos", "Ouest-France"... Ensuite, concernant la presse magazine, c'est au cas par cas. "Gala" et "Femme actuelle" ont fait des audiences d'enfer. Ils ont su développer des contenus et des présences digitales très innovantes. D'autres ont moins innové et ont connu des baisses notables. Dans la presse magazine, c'est particulier entre chaque groupe. Nous ne pouvons pas dire que l'ensemble de cette presse s'en soit bien sortie. Par ailleurs, ayant moins la culture de l'abonnement numérique, la presse magazine a été impactée par la fermeture de certains kiosques et la crise de Presstalis.
Comment se porte désormais le marché de la presse ?
Le digital se porte toujours très bien. La presse quotidienne régionale (PQR) et la presse quotidienne nationale (PQN) sont dans un processus de reprise. La PQR a aussi de très bons résultats publicitaires. Les Français ont un besoin d'information locale et de conseils. Les grands annonceurs sont actuellement très présents. Donc, il y a une presse d'information qui se porte très bien et une autre qui souffre un peu plus.
Quels vont être les enjeux pour les marques de presse dans les mois à venir ?
Le principal enjeu sur le plan publicitaire est de faire comprendre aux annonceurs et aux agences qu'il faut prendre une marque média dans sa globalité. Il faut que les agences intègrent qu'elles ont une multitude de devices et de canaux à utiliser. Plusieurs discours et types de publicité peuvent être mis en place pour optimiser la présence. C'est aussi l'opportunité de dire que la presse peut répondre à tous les objectifs marketing. Plusieurs marques de presse dépassent les 10 millions de lecteurs. Ce sont des audiences monstrueuses. Ce sont aussi des marques avec des possibilités de ciblage très précis. L'enjeu est de dire que la presse est un média central et qu'elle ne doit pas être traitée comme un complément.
Quel est le sens de votre communication collective à l'ACPM ?
Pour accompagner One Next, il y a une campagne de publicité, développé par l'agence BETC. Cette campagne s'adresse directement aux annonceurs et aux agences. Elle leur dit : "Intéressez-vous à la presse, les gens s'y intéressent". Elle met en avant le fait que les audiences de la presse ne cessent de se développer depuis dix ans. La campagne de publicité va remettre les pendules à l'heure et dire de nouveau aux annonceurs et aux agences : "La presse s'est transformée. Nous avons énormément de points forts. Maintenant, il faut que vous vous y intéressiez". Cette campagne sera présente sur tous les sites, toutes les pages et tous les réseaux sociaux de la presse durant l'été.