Menacée de suppression puis sauvée in extremis après les confinements du début des années 2020, France 4 retrouve une place de choix dans la numérotation sur la TNT. Du canal 14 aujourd'hui, elle avancera sur le canal 4, abandonné par Canal+, à compter du jeudi 6 juin 2025, a annoncé l'Arcom ce lundi 13 janvier. À la même échéance, Franceinfo, elle, sera positionnée juste derrière BFMTV, CNews et LCI, qui forment un bloc de chaînes info. Stéphane Sitbon-Gomez, directeur des antennes et des programmes de France Télévisions, a réservé à Puremédias sa première réaction à ce chamboulement. Le numéro 2 du groupe public livre aussi ses priorités en matière de flux dans une grille contrainte par les économies. Dans une deuxième partie d'interview, que Puremédias publiera ce mercredi 15 janvier 2025, Stéphane Sitbon-Gomez dressera le bilan 2024 des audiences des chaînes du groupe et nous éclairera sur sa politique en matière de fictions.
Propos recueillis par Ludovic Galtier Lloret
Puremédias : Quelle est votre réaction à l’arrivée de France 4 sur le canal 4 et le regroupement des chaînes historiques de France Télévisions en un seul bloc ?
Stéphane Sitbon-Gomez : C’est un tournant historique. L’Arcom a eu le courage de repenser la TNT dans son ensemble et de lui donner un nouveau souffle. Cela fait plus de dix ans qu’on attendait un vrai élan de modernité. C’est réussi. Au-delà de nous, cela donne une chance d’inscrire la TNT dans l’avenir. C’est une vraie chance qu’ont les Français d’avoir accès à une telle variété d’offres gratuites. Avec un vrai bloc de chaînes d’infos, c’est le choix du pluralisme à un moment où notre pays en a bien besoin. Et en regroupant les chaînes du service public, on va offrir des contenus exigeants et de qualité.
"BFMTV doit comprendre que l'on peut être leader sans avoir le monopole"Stéphane Sitbon-Gomez
Avec une telle progression, France 4 portera-t-elle de nouvelles ambitions ? Faut-il s'attendre à une nouvelle grille et une nouvelle identité (le canal 14 se partage surtout aujourd'hui entre Okoo et Culturebox) ?
Au cours des dernières années, France 4 a été bien ballottée, je suis heureux de voir son avenir préservé. Maintenant à nous d’être à la hauteur de la confiance qui nous est faite. Nous allons garder les fondamentaux : la jeunesse en journée et la culture en soirée. Il nous faut une grille plus lisible, des rendez-vous plus affirmés et une vraie valeur ajoutée. Dès ce matin, on commence à travailler pour être prêts. On s’est engagés à revenir dans le Mediamat, même si le but de France 4 n’est pas la course à l’audience.
L’arrivée de France Info sur le canal 16, occupé actuellement par CNews, met en rogne BFMTV... Avec une telle avancée, Franceinfo se doit-elle d'atteindre le point de part d'audience sur l'ensemble de l'année (0,8% en 2024) ?
France Info aussi doit bouger. Dans toutes les enquêtes, c’est la chaîne d’info préférée des Français, en étant mieux positionnée elle va gagner en visibilité. Et puis on va continuer à s’améliorer, il y a eu des évolutions depuis la rentrée, mais il va falloir accélérer. Il faut renforcer nos coopérations avec la radio, rendre plus lisible la grille et bien articuler le travail avec l’ensemble de la rédaction. On a beaucoup d’idées et vous allez voir que vous allez être surpris par la puissance de notre chaîne d’info. Quant à BFMTV, ils doivent comprendre qu’on peut être leader sans avoir le monopole et qu’on s’enrichit du pluralisme. Ça fait plus de trente ans qu’on le sait dans le service public !
"Je ne pense pas que le public de "TPMP" et de Cyril Hanouna se reporte sur "C à vous"Stéphane Sitbon-Gomez
Chaîne du groupe Canal+ qui appartient à Vincent Bolloré, C8 n'a pas été renouvelée par l'Arcom après le 28 février 2025. Est-ce, selon vous, justifié ?
La TNT est un univers régulé. Nous avons tous des obligations et des sanctions si nous ne les respectons pas. Nous ne pouvons pas découvrir le fait qu'il y ait un régime de sanctions. Tous les patrons de chaînes vivent avec la tension constante de sanctions potentielles de l'Arcom.
C8 a pu sur certains mois jouer des coudes avec France 5. La fin de cette chaîne est-elle une aubaine ?
Non, nous sommes dans deux sillons différents, pas sur les mêmes publics. Le report de l'audience de C8 aura plus d'impact sur d'autres chaînes que sur nous. Pour l’instant, on ne sait pas si Cyril Hanouna continuera sur une autre chaîne. Mais quoi qu’il arrive, je ne pense pas que le public de "Touche pas à mon poste !" et de Cyril Hanouna se reporte mécaniquement sur "C à vous", qui n'en a d'ailleurs pas besoin. L'émission fait sa meilleure saison une fois de plus. C'est un succès qui n'en finit plus.
"En 2017, le budget des programmes de France Télévisions était de 1,175 milliard d'euros, il se situe en 2024 autour de 920 millions d'euros"Stéphane Sitbon-Gomez
Le 19 décembre 2024, le conseil d’administration de France Télévisions a approuvé son budget 2025, qui "s’établit en déficit pour la première fois depuis neuf ans", à hauteur de 41,2 millions d’euros. Il "procède donc à de nouveaux efforts rigoureux et inédits", aviez-vous annoncé. Bâtir une grille avec un budget contraint "tout en préservant les missions essentielles portées par France Télévisions", qu'est-ce que cela signifie ?
Honnêtement, ce n’est pas facile pour France Télévisions, qui a fait beaucoup d'économies sur les programmes au cours des dix dernières années. En 2017, le budget des programmes de France Télévisions était de 1,175 milliard d'euros, il se situe en 2024 autour de 920 millions d'euros. Entre ces deux dates, nous avons augmenté nos audiences, monté notre niveau d'exigence et augmenté nos investissements dans la création. Nous demandons donc aux producteurs de faire plus, de faire mieux et avec moins d'argent. Cela devient une équation extrêmement difficile à résoudre.
Vous y étiez-vous préparé ?
Si je suis transparent, je ne m'y attendais pas. La trajectoire budgétaire, arbitrée dans le contrat d'objectifs et de moyens 2024-2028 conclu avec l'État, visait à redonner un peu de souffle aux programmes. Et j'avais cet espoir-là. Mais force est de constater que par rapport au contrat d’objectifs et de moyens, les ressources publiques prévisionnelles affichent une baisse de 86 millions d’euros. Ce n'est pas un exercice facile. En revanche, c'est un exercice auquel nous sommes habitués et nous allons devoir travailler programme par programme avec les producteurs. Et ce, en sachant que la création doit être préservée à un très haut niveau : 440 millions d'euros en audiovisuel et 80 millions d'euros en cinéma, selon les accords que nous avons signés. Pour ce qui est du flux, nous devons continuer de proposer de nouveaux formats tout en devant faire des économies.
"Avec Cyril Féraud le midi, nous allons réduire l'écart avec "Les 12 coups de midi" de TF1, j'en suis sûr"Stéphane Sitbon-Gomez
Côté flux justement, vous avez procédé en début de saison à deux changements d'animateur importants : Cyril Féraud a remplacé Jarry à la tête de "Tout le monde veut prendre sa place" sur France 2. Théo Curin a pris sa suite à l'animation de "Slam" sur France 3. Après 3 mois, le jeu du midi progresse légèrement quand "Slam" est en baisse. Quel bilan faites-vous de ces changements d'incarnation ?
Que Théo Curin se stabilise dans les scores où il est après 15 ans d'animation de "Slam" par Cyril Féraud, c'est un énorme exploit et cela montre tout son talent. On parle d'un garçon qui n'avait jamais animé de jeu auparavant. C'est quelqu'un avec qui nous avons construit une relation. Devenir animateur télé était une envie profonde chez lui et cela va devenir un des grands de la télé. Quant à Cyril, à midi, c'est génial et sur toutes les cibles en plus. On est réellement en train de progresser. Pour moi, c'est l'un des enjeux de continuer à progresser le midi.
Et de revenir sur "Les 12 coups de midi" de Jean-Luc Reichmann sur TF1 ?
Il y a du boulot, cela prendra du temps. Mais je pense qu'avec Cyril, nous allons réduire l'écart, j'en suis sûr.
Il est difficile de passer à côté de Cyril Féraud. Il anime deux quotidiennes, les jeux "100% logique" et "The Floor" en prime time sur France 2 et des divertissements plus traditionnels sur France 3... Lui proposez-vous autant de programmes pour qu'il n'ait pas le temps d'étudier les propositions de la concurrence ?
Cyril est maintenant un talent incontournable et fédérateur. Nous lui donnons surtout autant d'émissions parce qu'elles marchent et qu’il fait toujours preuve de créativité et d’intelligence. Je suis lucide, je vois son succès et je me doute que des gens le regardent avec appétit. Cyril Féraud est très conscient de la chance qu'il a, de l'aventure qu'il a construite avec France Télévisions. D’ailleurs, c’est par fidélité qu’il tient à présenter le Cirque de Monte-Carlo sur France 3 parce que cela a été l’un de ses premiers prime.
Cyril Féraud sera-t-il reconduit avec Léa Salamé à la présentation des "Victoires de la musique" 2025 en février ?
Oui. C'était l'un de nos paris de l'année dernière d'avoir marié ces deux univers qui marchent ensemble : le samedi soir, Cyril Féraud, leader en prime, passe le relais à Léa Salamé qui a fait de "Quelle époque !" un rendez-vous incontournable. Que n'avais-je pas entendu il y a quelques années sur la deuxième partie de soirée du samedi soir ? Tout le monde disait que c'était fini. Aujourd'hui, tout le monde attend son "Quelle époque !" et les gens se battent pour y être invités.
"À France Télévisions, nous n'avons pas envie de céder à la tendance de la nostalgie, nous préférons une télévision qui invente"Stéphane Sitbon-Gomez
Autre cérémonie, "Les Bravos d'or", diffusée le 1er janvier 2025, a été un échec. Qu'est-ce que vous a inspiré la réalisation très critiquée du programme présenté par Nagui et Leïla Kaddour ?
Le pari des "Bravos d'or" était de renouer avec les "7 d'or" et d'organiser une remise de prix à partir des succès populaires. L'ambition était juste. Nous savions que nous prenions un risque mais Nagui peut se permettre cette audace de créativité. Quant à la réalisation, Gérard Pullicino est celui qui a réinventé la manière dont on filme la musique à la télévision. Je le soutiendrais toujours dans ses projets de réalisation.
Difficile d'imaginer qu'elle soit reconduite pour une deuxième édition...
Nagui avait dit dès le tournage qu'il ferait une deuxième qu'en cas de succès. Il a assumé. C'est ce que j'adore avec Nagui : il ose lancer de nouveaux formats. Il pourrait décider de ronronner en faisant toujours la même chose, il est leader tous les soirs avec "N'oubliez pas les paroles !", qui peut dire ça ? Mais non, Nagui continue à prendre des risques. J'adore ça !
Au lendemain des "Bravos d'or", "Le Bigdil" a fait son retour après 20 ans d'absence sur RMC Story. Que vous inspire le succès qu'il a rencontré ?
Je constate cette tendance à la nostalgie. "Le Bigdil" arrive après le succès du "Maillon faible" sur M6, le retour de la "Star Academy" sur TF1. À France Télévisions, nous n'avons pas envie de faire cela. Je me suis par exemple posé la question sur "Intervilles". Mais "Intervilles", ce n'est pas de la nostalgie, c'est une émission culte qui doit revenir de manière événementielle. J'ai davantage envie d'une télévision qui invente et en tant que service public, c'est le rôle de France Télévisions.
"Je suis très content qu'Europe 1 ait besoin des figures de France Télévisions pour faire de l'audience"Stéphane Sitbon-Gomez
Une nouvelle version de "Mot de passe", jeu ancien du catalogue de France 2, sera néanmoins relancée le 20 janvier 2025 avec Laurence Boccolini dans un format court, juste avant le prime time. Pourquoi ce choix ?
Depuis la rentrée, on a ouvert la case 21h-21h10 à une version courte de "100% logique" et nous sommes contents de ce format que nous voyons comme une respiration entre le "20 Heures" et le prime. Nous sommes très rapidement tombés d'accord pour exposer "Mot de passe" parce que c'est un jeu populaire et facilement compréhensible pour les publics. Dans cette case, nous souhaitons fonctionner par salves de jeux : il y aura "Mot de passe" puis d'autres suivront. Nous avons préféré débuter avec des marques connues tout simplement parce que c'est moins risqué mais nous n'avons pas renoncé à tester des créations. Nous avons notamment commandé un pilote à Bruno Guillon, francetv studio travaille également sur un projet.
Sophie Davant, l'une des animatrices historiques de France Télévisions, foulera, quant à elle, bientôt le parquet de "Danse avec les stars" sur TF1. Vous a-t-elle demandé votre accord avant de dire oui ?
Elle m'a prévenu. Je trouve que cela profite à tout le monde et que cela renforce le côté populaire du programme.
Sophie Davant tout comme Stéphane Bern travaillent aussi sur Europe 1, une radio bollorisée dont certains animateurs phares tels Pascal Praud et Cyril Hanouna, ne retiennent pas leurs coups contre France Télévisions. Cela ne pose-t-il pas un problème pour le numéro 2 de France Télévisions que vous êtes ?
Non, je suis très content qu'Europe 1 ait besoin des figures de France Télévisions pour redevenir populaire et faire de l'audience.