Près de 18 millions de téléspectateurs ont regardé "Le Débat" entre Nicolas Sarkozy et François Hollande mercredi soir. Et c'est France 2 qui est arrivée en tête des audiences de la soirée. Jamais depuis le débat de 1995 la chaîne publique ne s'était imposée sur ce type d'événement. David Pujadas, co-présentateur avec Laurence Ferrari débriefe pour puremedias.com cet ultime rendez-vous médiatique de l'élection présidentielle.
Il y a eu un vainqueur hier soir, c'est France 2 !
Il y a eu un vainqueur, c'est d'abord la politique. C'est un plaisir de voir que cette élection passionne les Français. Pour un scrutin dont on disait qu'il intéressait moyennement, c'est un gros chiffre d'audience, bon pour la démocratie. Ensuite, c'est vrai qu'il y a eu un autre vainqueur, c'est France 2. Une performance car il y a cinq ans, nous étions très loin de ça. C'est un grand motif de satisfaction, les gens ont intégré que France 2 avait cru dans cette campagne, investi dans le débat politique.
C'est la politique éditoriale de France 2 depuis plusieurs mois ou c'est le dispositif millimétré déployé hier soir pour drainer le plus de téléspectateurs qui a permis cette performance ?
Les deux ! Si on a mis en place ce dispositif, c'est parce que nous étions persuadés que cette soirée avait un statut particulier et qu'on ne pouvait pas faire un journal de 20 Heures ordinaire. Il y a une fascination pour ce débat, il fallait qu'on emmène les gens au plus près. Au-delà de ce JT spécial, on recueille les fruits d'un investissement sur cette campagne, c'est une dynamique d'ensemble.
Qui a gagné ce duel hier soir, François Hollande ou Nicolas Sarkozy ?
Je m'interdis de donner mon avis là-dessus. C'est difficile d'être au coeur de ces événements et de me prononcer comme un éditorialiste. Je garde mon avis pour moi. Mais j'ai trouvé que c'était d'un très bon niveau, d'un côté comme de l'autre. A la fois dans l'engagement mais aussi dans l'agressivité, au bon sens du terme. Le débat a été ordonné, structuré, avec des arguments, un affrontement des philosophies et des projets. On dit parfois que c'est trop technique mais c'est nécessaire d'être précis.
Avez-vous été surpris par la tension qui régnait sur le plateau dès les premières minutes ?
Je m'attendais à de la pression, peut-être pas à autant de tension. Pas autant de fièvre. C'est parti tout de suite, sans round d'observation. Il n'y a pas eu de temps d'entraînement, François Hollande a été très offensif dès le début, cela a placé le débat à un niveau d'intensité très fort immédiatement. Ce qui a duré pratiquement pendant tout le débat.
Sans surprise, les deux camps crient victoire ce matin. C'était le sentiment des deux candidats, ils étaient contents d'eux après le débat ?
Je les ai vus tous les deux, il y avait un drôle de sentiment de satisfaction. Je ne sais pas démêler la part d'impression d'avoir accompli une prestation de qualité d'ensemble et la part de satisfaction purement personnelle, c'est à dire celle de l'avoir emporté. Je pense qu'il y avait un mélange des deux. Mais François Hollande et Nicolas Sarkozy ont, je crois, pensé qu'ils avaient été à la hauteur. Aucun des deux n'a pu penser qu'il avait gagné par K.O. Chacun des deux pouvait reconnaître le mérite et la prestation de l'autre.
Quel a été le moment le plus fort selon vous, celui assuré d'être multi-rediffusé ces prochaines années ?
Il y en a eu plusieurs, au moins six ou sept. Evidemment, la tirade de François Hollande sur "Moi président" va rester et la réponse de Nicolas Sarkozy aussi, elle était assez habile.
Sur près de 3 heures, vous avez partagé votre temps de parole avec Laurence Ferrari, soit 25 minutes. C'est peu, auriez-vous aimé intervenir plus régulièrement ?
Non, pas forcément. J'avais bien dit avant ce débat : "attention, ce n'est pas une interview." J'avais même dit que moins on intervient, mieux c'est. Notre rôle est de s'assurer qu'il y a un minimum d'organisation, que cela ne parte pas dans tous les sens. L'égalité du temps de parole était de notre responsabilité aussi. Et puis, la progression du débat. Il a fallu faire des choix, beaucoup de thèmes sont passés à la trappe. Il faut arbitrer entre l'approfondissement et l'exhaustivité. Mon rôle, ce n'était pas de relancer. On les a eus mille fois en face de nous pour les titiller. Il ne faut pas avoir d'orgueil mal placé, se tromper de registre. Ce n'est pas le lieu, ni le moment.
C'était votre premier débat présidentiel. Ce n'est pas l'exercice le moins excitant quand on est journaliste ?
C'est très paradoxal. C'est un exercice très attrayant, j'ai passé un moment extraordinaire, je ne l'oublierai jamais. Et en même temps, d'un point de vue journalistique évidemment, le contenu est faible. Parce que vous êtes plus un ordonnanceur et un arbitre de temps en temps qu'un vrai journaliste. Je me suis par exemple interdit d'intervenir quand l'un d'eux disait une contre-vérité. J'ai laissé à l'autre le soin de le faire. L'enjeu est tel, le moment est tellement fort que ceci compense cela.
Doit-on réformer cette "tradition française", au même titre que les règles sur le temps de parole ou la loi électorale ?
Je ne suis pas certain. Ma conviction, c'est qu'il faut deux débats. Mais la proposition ne peut pas venir de l'un des candidats, il faut s'y prendre à l'avance. Maintenant l'intensité de ce moment a été telle qu'il faut relativiser cette forme un peu à l'ancienne. On se rend compte que cela ne compte pas tant que ça, finalement. J'ai créé une émission très produite, très sophistiquée où le dispositif, l'image, les chiffres ont une énorme place ("Des Paroles et des actes", ndlr). Mais je pense qu'il y a aussi la place pour ce type d'émission. C'est la confrontation, un moment physchologique intense, un moment intellectuel aussi. Un véritable match. Vous pouvez rajouter tout ce que vous voulez, s'il n'y a pas l'étincelle elle n'y est pas. Hier soir, il y a eu l'étincelle.
Laurence Ferrari a vécu la même émission que vous ?
Nous étions assez satisfaits tous les deux. Mais on n'y est pas pour grand chose, ce sont les candidats qui ont fait ce débat. Notre collaboration, c'est le petit bout de lorgnette, la guéguerre des présentateurs est très mauvaise et mal ressentie par le téléspectateur. On a travaillé ensemble avec Laurence il y a quelques années, il y a un respect réciproque donc c'est assez facile de bien s'entendre.