Chaque semaine, retrouvez "Médias le mag, l'interview", en partenariat avec France 5. Julien Bellver, co-rédacteur en chef de puremedias.com et chroniqueur dans "Médias le mag" le dimanche à 12h35 interroge une personnalité des médias toutes les semaines. Pour ce 24e numéro, il reçoit François-Xavier Ménage, à la tête de "Capital" sur M6 et auteur d'un nouveau livre "Fukushima, le poison coule toujours" (Ed. Flammarion)
On ne vous attendait pas là, avec ce livre, sur la catastrophe de Fukushima, "Le poison coule toujours". Le terrain, l'enquête, le reportage, cela vous manquait ?
Je n'ai jamais arrêté car j'en fais toujours pour "Capital". Mais moins qu'avant, c'est vrai. Je suis allé pour la première fois à Fukushima en mars 2011 avec BFMTV. Dans l'avion, on ne savait absolument pas qu'on allait rencontrer la pire catastrophe nucléaire de ces trente dernières années. J'ai su que cette affaire allait durer des années et que j'en ferai quelque chose. Je n'en savais pas quoi à l'époque. Il y a deux ans, je me suis dit : ça sera un bouquin ! J'ai ensuite enchaîné tout ce que j'avais fait par le passé avec mes innombrables allers-retours là-bas.
Vous n'avez pas cessé d'y retourner... Qu'avez-vous découvert ?
L'invisible. Au début, vous avez un ennemi invisible : les matières radioactive planquées dans la zone rouge. Et au fur et à mesure, on apprend par ceux qui restent autour de cette zone rouge. Ils parlent de leurs problèmes de santé, de leur nourriture. Vous rencontrez des kamikazes, c'est à dire des Japonais qui ont décidé de résister. Et puis par ailleurs, et c'est peut-être le plus troublant, j'ai rencontré des anciens responsables de Tepco, l'équivalent d'EDF là-bas, un ancien Premier ministre qui était à l'époque en poste. Il m'a dit les yeux dans les yeux en pointant du doigt vers moi : "Ce qui s'est passé est dramatique. Maintenant, je suis anti-nucléaire. Le prochain pays, ce sera peut-être la France".
Peu de journalistes occidentaux sont retournés sur le terrain depuis 2011. Une catastrophe chasse l'autre ? On a déjà oublié ce qu'il s'était passé là-bas ?
Je pense qu'on a tous oublié ce qui s'est passe là-bas, évidemment.
Ce livre est justement un moyen de le rappeler ?
Moi, je l'ai fait égoïstement, pour moi, parce que je voulais vraiment voir ce qu'il continuait à s'y passer et parce que je pense aussi que ça fait partie de l'histoire. On est assez peu à écrire sur Fukushima alors qu'on est face à quelque chose de mouvant. On ne sait pas ce qu'il va se passer dans les années à venir ! Tout ça n'est pas terminé du tout. Et à côté de ça, vous avez un pouvoir public japonais qui veut aujourd'hui absolument parier sur les JO à Tokyo en 2020 et qui veut nettoyer cette catastrophe.
Fukushima, c'est Tchernobyl puissance combien ?
C'est probablement un peu moins que Tchernobyl. Les Japonais ont eu une discipline assez incroyable et, dans plein d'autres pays, les mêmes circonstances auraient produit des effets bien plus dramatiques. Pour autant, ça ne suffit pas. Aujourd'hui, on est encore face aux mensonges de certains acteurs et face à l'inconnu !
Votre livre résonne particulièrement aujourd'hui puisque Ségolène Royal s'est dit prête à prolonger de 10 ans la durée de vie des centrales nucléaires en France. Sur votre compte Twitter, vous avez rappelé que c'était une décision qui appartenait normalement à l'Autorité de Sûreté Nucléaire... C'est la place d'un journaliste de M6 de faire la leçon à la ministre ?
Non non, c'est factuel ! D'ailleurs, la ministre a précisé que c'était son souhait et qu'elle s'en remettait au gendarme du nucléaire qui est indépendant. Après, il y a des enjeux économiques. Je ne dis pas que Ségolène Royal défend ces intérêts économiques. C'est évident que prolonger de 10 ans la vie des centrales en France va avoir d'énormes impacts... Je précise que je suis ni pro ni anti-nucléaire. Je n'en sais rien !
Vous allez envoyer votre livre à la ministre ou au gouvernement pour le sensibiliser ?
Non, ce n'est pas du tout mon rôle ! Je ne suis pas du tout militant. Comme 99,9% des Français je pense, je ne sais pas quels sont les enjeux du nucléaire. C'est beaucoup trop compliqué. Ce que je sais, en revanche, c'est que quand il y a un accident comme Fukushima, les conséquences deviennent beaucoup plus visibles au fur et à mesure des années.
Cela va faire 2 ans que cela dure à "Capital" et on vous sent un peu à l'étroit dans ce costume de présentateur même si vous réalisez aussi des sujets...
A l'étroit non ! Parce que j'apprends énormément de choses. C'est vrai, après, que je viens du hard news. Mais j'apprends tout autre chose. C'est un nouveau paysage qui s'est ouvert. Tout cela est extrêmement neuf pour moi. Après, je ne vais pas vous mentir. Dans le sang, j'ai l'amour du news qui ne partira jamais.
Vous pourriez y revenir un jour ?
Bien sûr j'y reviendrai ! Je ne sais pas. Dans 10, 15, 20 ans ?
Vous rempilez pour une saison de plus sur M6 ?
J'en ai envie oui, bien sûr. Mais je ne décide pas tout seul.
M6, c'est une chaîne de journalistes ?
Ecoutez, parlez-en à mes collègues, à Wendy Bouchard, à Bernard de la Villardière, pour ne parler que de ceux qui font les magazines de M6. Les JT, c'est exactement la même chose. Bien entendu !
Si je vous pose cette question, c'est parce que Nicolas de Tavernost assume clairement ne pas vouloir faire d'enquêtes sur des clients publicitaires... Cela ne vous gêne pas ?
Il faut revenir sur les propos. Il l'a dit de manière un peu amusée et il était dans son rôle. Il nous laisse être dans notre rôle à nous, c'est-à-dire d'être journaliste et de bosser sereinement. Et on nous fout la paix ! Sauf quand on évoque des métiers qui sont parfois ceux de M6. M6 est une grande chaîne qui a parfois des activités dans d'autres domaines comme la téléphonie ou le foot.
Ca, vous l'avez accepté ? Vous le saviez en arrivant sur M6 ?
C'est la règle du jeu. Bien sûr ! Moi, je n'ai aucun problème à bosser sur d'autres thématiques. Quand il est question de bosser sur la première entreprise au monde, Google, on nous fout une paix royale. Quand il est question de bosser sur un annonceur, Lidl, on nous fout également une paix royale.
Vous n'avez jamais eu de consignes de la part de la direction de M6 depuis que vous présentez "Capital" ? Il n'y a jamais eu de sujets trappés parce qu'ils critiquaient un partenaire de la chaîne ?
Non, très clairement non. On nous fout la paix et il n'est pas question que ça change. De ce côté-là, il y a beaucoup de fantasme autour de la maison "Capital". On a un terrain de jeu qui est énorme : l'économie. Et ça ne va pas changer !
Si BFMTV vous appelle demain, vous y retournez ?
La question ne se pose pas aujourd'hui. Par ailleurs, j'ai plutôt tendance à m'investir à fond dans le jeu qu'on me donne aujourd'hui : "Capital". Je suis parti pour y rester un petit moment car c'est là où j'apprend le plus aujourd'hui.