Interview
Gilles Tanguy : "J'aurais lancé 'L'informé' même si Vincent Bolloré n'avait pas racheté Prisma Media"
Publié le 30 janvier 2023 à 10:32
Par Tom Kerkour
Dans un entretien à puremedias.com, la direction du site d'investigation "L'informé" fait le point sur le nombre d'abonnés du titre, ses perspectives de croissance et l'attachement ferme à l'indépendance éditoriale.
Europe 1 : Gilles Tanguy ("L'Informé") était l'invité de Philippe Vandel dans "Culture Médias". © "L'informé"
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En octobre dernier, un petit nouveau est arrivé dans la sphère médiatique. Sobrement nommé "L'informé", le site d'investigation fondé par Gilles Tanguy, un ancien cadre de "Capital", a une promesse claire. "Ne faire que du scoop, que de l'exclusivité, de l'information économique libre, factuelle et sans pub", comme l'explique fièrement celui qui préparait le projet depuis le printemps dernier. Dans un entretien accordé à puremedias.com, Gilles Tanguy, le directeur de la rédaction du pureplayer et Claire Bader, la numéro deux, font le point sur les premiers pas du site d'investigation.

Si aux premiers abords, un média économique payant spécialisé dans les informations exclusives peut avoir l'air d'une redite d'offres comme celles de "La lettre A" ou "L'expansion", toute la spécificité de "L'informé" tient dans sa double cible. "Nous visons à la fois le grand public, ces centaines de milliers de personnes qui peuvent regarder 'Cash investigation' ou 'Complément d'enquête' à la télévision, qui viendront lire chez nous des enquêtes sur Cyril Hanouna, Arthur ou sur les grandes entreprises du quotidien : Carrefour, Total, Coca-Cola", débute Gilles Tanguy. Et d'ajouter : "Mais nous avons aussi une partie plus niche, nous ciblons des secteurs professionnels grâce à nos journalistes experts de la grande distribution, des fusions-acquisitions, de l'automobile, etc. Grâce à eux, nous offrons des informations exclusives qui, si elles ne sont pas forcément intéressantes pour le plus grand nombre, sont indispensables pour le secteur concerné".

"Nous avons depuis le début un objectif en termes d'abonnés : 50.000 d'ici 5 ans" Gilles Tanguy

Pour s'assurer que le grand public ait les moyens de s'offrir un abonnement, la direction a opté pour un modèle peu coûteux. "Nous avons depuis le début un objectif en termes d'abonnés : 50.000 d'ici 5 ans. C'est beaucoup, donc avec ces chiffres-là, il faut être bon marché", explique le fondateur. Et pour cause, avec 10 euros par mois ou 99 euros par an, "on est moins chers que 'Médiapart', beaucoup moins chers que 'Les Échos'. C'est 2-3 cafés ou la moitié d'une place de cinéma pour 4 informations exclusives par jour". Un nombre de scoops qui peut être révisé en fonction des journées, les journalistes n'ayant pas de quotas ou de deadline pour terminer leurs investigations.

Interrogés sur leur nombre d'abonnés, les deux cadres préfèrent pour l'instant se faire discret. Le total est "un nombre à 4 chiffres", "on a bonne mine", préfèrent-ils expliquer. Il n'y a en vérité pas de secret. Ils n'estiment simplement pas opportun de s'étaler tant que toutes leurs fonctionnalités - comme l'application mobile attendue pour "le printemps" - ne seront pas disponibles. Lorsqu'ils auront terminé de déployer leurs ailes, ils prévoient par ailleurs de débuter une campagne publicitaire. "Nous voulons faire de la publicité sur nos scoops, il n'est pas question de casser nos prix, nous ne coûtons déjà pas cher", détaille Claire Bader. Cette mission de mise en avant sera assurée par un futur responsable marketing qui fera son arrivée au sein du pureplayer fin mars.

Faire sa publicité, oui, en héberger, non. Le modèle économique de "L'informé" ne bougera pas, il n'est pas question de basculer vers du "freemium". "Qui dit gratuit dit publicité sur le site, or, je l'ai dit depuis le début, l'indépendance éditoriale est la clé", assure l'ancien de "Capital". Et de développer : "Nous voulons être imperméables à toute forme consciente ou inconsciente de pressions (...) Il y a ce slogan de 'Médiapart' que je trouve très joli : 'Seuls nos lecteurs peuvent nous acheter'".

Xavier Niel, actionnaire passif

Ne questionnez pas les deux dirigeants sur l'indépendance de leur média, surtout vis-à-vis de Xavier Niel. "Notre actionnaire Xavier Niel ne peut pas intervenir sur la ligne éditoriale, quand bien même il le voudrait, et je ne pense pas que ce soit le cas", assure Gilles Tanguy, légèrement lassé d'être systématiquement interrogé sur ce point. Et pour cause, le sujet de leur première enquête ? Free, l'opérateur téléphonique qui n'appartient à nulle autre qu'au milliardaire. Un sacré gage d'indépendance. Et il ne s'agit pas d'un coup de com. Ils n'hésiteront pas à réitérer l'exercice et ils l'ont d'ailleurs déjà fait en enquêtant sur Scaleway (Iliad).

Le site tient à assurer qu'il n'entretient aucun lien avec les autres entreprises médiatiques où le milliardaire peut détenir des parts, comme le groupe "Le Monde", dont ils ont rejoint les mêmes locaux. "Le seul lien que nous avons avec 'Le Monde', c'est notre actionnaire commun, qui n'est pas leur seul. Il se trouve que nous sommes locataires de 'Paris-Turf', qui appartient à Xavier Niel, et qui loue également ses locaux au 'Monde'. Mais nous aurions pu nous installer ailleurs", avance Gilles Tanguy.

Dans l'hypothèse où le businessman arriverait à mettre la main sur une fréquence de la TNT - un projet étudié par l'Arcom -, il n'est pas question de créer de ponts éditoriaux avec "SIX", pas plus qu'avec "L'obs" ou "Télérama". Dans le reste des médias, il n'est pas non plus envisagé de s'allier à une télévision ou une radio : "On va déjà grandir, nous développer, le reste, on verra plus tard".

A LIRE AUSSI : "'SIX' : A quoi ressemblera la chaîne de Xavier Niel s'il remporte la fréquence de M6 ?"

Pourquoi Niel, donc ? "Je cherchais quelqu'un avec les reins suffisamment solides pour nous financer sur la durée, jusqu'à ce qu'on atteigne notre équilibre, ce qui prendra entre 3 et 5 ans, le tout en garantissant une totale liberté éditoriale", répond Gilles Tanguy. Il a été le premier actionnaire potentiel contacté et le premier à avoir accepté le projet.

"Pas de divas"

Dans les rangs de "L'informé", certains noms sont parfois bien connus. L'équipe d'une quinzaine de journalistes contient des anciens rédacteurs en chef, des enquêteurs émérites et quelques profils plus juniors. "Le plus important était d'avoir des enquêteurs, le tout en cherchant des personnes sympathiques, pas des divas", explique sans malice Claire Bader. Au sein de l'équipe, il existe cependant une légère surreprésentation des anciens de la marque "Capital", 4 issus du site web et 2 en provenance du magazine.

Le média économique, tout comme de nombreux titres du groupe Prisma Media, a subi de nombreux départs depuis le rachat par Vivendi, le groupe contrôlé par la famille Bolloré. Au total, 30% des effectifs journalistes du groupe ont fait leurs valises. Gilles Tanguy se défend d'un projet imaginé en réaction : "Clairement, j'aurais lancé ce projet même si Bolloré n'avait pas racheté Prisma. Lancer un média et se mettre à son compte est une aventure humaine exceptionnelle". Il se permet même un petit tacle : "Un projet de média économique indépendant, ce n'est pas quelque chose qui aurait été possible de faire avec Bolloré comme actionnaire".

Ceux qui ne sont pas des transfuges de "Capital" restent des éléments-clé. Ils en attendent d'ailleurs beaucoup de leur journaliste vidéo Emeline Mauro, dont la première vidéo sur Cyril Hanouna cumule près d'un million de vues sur les différents réseaux sociaux.

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