Edito. Onze jours de grève et pas une avancée. iTELE s'enfonce dans un conflit dur. Face aux salariés, une direction qui ne lâche rien et un actionnaire, Vincent Bolloré, prêt à tout pour remporter ce bras de fer. Jusqu'à la rupture ? Ils ne demandent pourtant pas grand chose, les journalistes de la chaîne : une charte éthique - qui ne sert qu'en cas de conflit grave dans un média, un directeur de rédaction différent du directeur général - une structure basique dans la plupart des entreprises de presse et un brief clair sur le projet du nouveau iTELE, CNEWS - c'est un peu la moindre des choses. Autre revendication, le retrait de Jean-Marc Morandini de l'antenne. La piètre qualité de son émission, les audiences erratiques et la fuite des annonceurs auraient pu convaincre la direction du groupe...
Mais Morandini est devenu un symbole, celui de la reprise en main de cette chaîne. Le sacrifier, c'est plier, renoncer. Vincent Bolloré est une tête de mule, un bulldozer dans toutes les entreprises qu'il rachète et lui résistent. Parlez-en aux patrons et salariés de Gameloft, dépossédés en quelques semaines de la société qu'ils avaient créée. A iTELE, la résistance est plus forte, la matière inflammable : les journalistes. Vincent Bolloré les déteste. Si vous en doutez encore, relisez "Informer n'est pas un délit", dirigé par Fabrice Arfi de Mediapart. Un chapitre est consacré à l'énergie déployée par le milliardaire breton pour faire taire les journalistes qui s'intéressent d'un peu trop près à ses affaires.
"Le Monde" et "Libération" ont raison : le combat des journalistes d'iTELE est celui de toute une profession, de plus en plus aux mains de riches industriels. Mais ne nous trompons pas : sans eux, combien de titres auraient disparu et de journalistes seraient au chômage ? Une charte, des règles : la loi sur l'indépendance des médias doit imposer ces indispensables garanties.
A la fin de cette triste histoire, Vincent Bolloré finira sans doute par se débarrasser de la très encombrante iTELE. Avec ou sans audience, un canal TNT se vend le même prix, une centaine de million d'euros. Mais ce conflit laissera des traces. D'un côté, la presse, sûre de ses valeurs et prête à tout pour les défendre et informer son public de plus en plus méfiant à son égard. De l'autre, Vincent Bolloré, seul et obstiné. Il gagnera peut-être une bataille, sa bataille. Mais quel désastre pour l'aura de son prestigieux groupe. Il s'en moque, c'est vrai, depuis qu'il a pris le pouvoir à Canal. Mais l'image, c'est le capital le plus précieux d'une société de médias et de communication.