Ce matin, l'ACPM (Alliance des chiffres de la presse et des médias) a révélé son étude One et One Global V3 2016, qui présente les audiences print, ainsi que numériques des titres de presse. Alors que les quotidiens nationaux ont globalement baissé, "Le Monde" fait partie des rares journaux à s'être stabilisé en audience, totalisant un lectorat de 2,31 millions de personnes, soit une augmentation de 5.000 lecteurs.
Le quotidien progresse encore plus sur le numérique, selon l'enquête One Global V3, comprenant les audiences print et numériques, puisqu'il gagne 1,13 million d'individus, atteignant un public de 20,59 millions de personnes. A l'occasion de la publication de ces études ce matin, puremedias.com a interviewé le directeur du "Monde", Jérôme Fenoglio.
Propos recueillis par Florian Guadalupe.
puremedias.com : Selon l'étude One 2015-2016 sur l'audience print, "Le Monde" est passé devant "Le Parisien" à la deuxième place des quotidiens nationaux payants et s'est stabilisé en audience par rapport à la vague précédente, comment l'interprétez-vous ?
Jérôme Fenoglio : Une réflexion globale nous permet aujourd'hui de mieux savoir ce qu'on publie sur chacun de nos supports. Le fait d'être multimédia et d'avoir vraiment pris en avance notre virage numérique, ça a un effet sur le print. On fait sans doute un journal plus pertinent qu'il ne pouvait l'être auparavant, avec plus d'analyses et d'informations exclusives. Les lecteurs le voient. C'est ce mélange de révélations et d'approfondissements dans des moments d'information de plus en plus anxiogènes, comme les attentats. Il y a aussi le fait qu'on soit vu, pendant cette période, comme un journal qui apporte une actu vérifiée, calme et qui met en perspective. Il y a eu toutes ces conjonctions qui font que c'est une bonne année.
De manière globale, les quotidiens voient leur audience baisser, "Le Monde" est une exception ?
"Le Monde" a toujours été historiquement un journal qui répond très bien aux grosses actualités, et là, on a une rédaction qui est vraiment bien organisée, sur tous ses supports, pour répondre aux énormes actualités. Je ne vous fais pas la liste. Il y a eu des choses qu'on a amenées nous, il y a toute cette actualité autour des "Panama papers", qui a créé une grande curiosité et qui a fait augmenter, entre autres, nos ventes en kiosque. On a eu une année avec une conjonction de gros événements, dans lesquels, naturellement, un grand nombre de lecteurs a eu besoin d'analyse, de décryptage et de prises de décision. Par ailleurs, on a des abonnements qui se tiennent très bien. Depuis notre changement d'imprimerie, on est très régulier tous les jours sur l'heure de distribution. Le nombre d'abonnés papier reste stable.
Quel est l'objectif désormais sur le long terme ?
Progresser évidemment en abonnements numériques. On ne peut pas avoir aujourd'hui un objectif qui soit centré sur un seul support. C'est un objectif global. Ainsi, il faut continuer à avoir des abonnements papier les plus stables possibles. Cela veut dire que nos lecteurs continuent à nous lire de cette manière. L'objectif, c'est de compenser très largement l'érosion naturelle des ventes en kiosque, pas liée à la qualité que l'on propose mais qui est liée à la fermeture de points de vente, aux difficultés à se déplacer en ville, et à l'éloignement des points de vente pour les gens... On peut compenser ça par la montée de nos abonnements numériques. Pour le coup, on est extrêmement optimiste, car on franchit à chaque fois des paliers. Notre choix, qui est assez ancien, de développer le numérique, de mettre en avant le journal électronique et d'adapter ce que l'on propose à tous les usages, fonctionne très bien.
Une autre étude est parue ce matin (One Global V3 2016), comprenant le print et le numérique. "Le Monde" est leader et a même gagné 1,13 million de lecteurs. Quelle est votre stratégie sur les nouveaux supports ?
La stratégie globale est d'être présent sur toutes les temporalités, d'être à l'affût de tous les changements d'usage et du coup, d'avoir une offre complète. Une offre complète qui soit en permanence reliée à l'identité du "Monde", à ses valeurs et à sa tradition de journalisme de qualité. Il ne faut pas se perdre en allant petit à petit se développer sur toutes les manières de lire le journal. Vous avez vu qu'on a été présent sur les mobiles, qui sont les endroits où les gens s'informent de plus en plus. En développant notre application "La Matinale", par exemple, il y a eu un retour très positif des lecteurs. Depuis très récemment, on est sur Snapchat, ce qui montre que l'on est à l'affût depuis très longtemps de ce qui se passe sur les réseaux sociaux. On vient d'atteindre le chiffre de 6 millions de followers sur Twitter, parce qu'on y est depuis très longtemps et qu'on a depuis longtemps développé une politique éditoriale.
C'est un moyen surtout de conquérir un nouveau public...
Il faut impérativement continuer à s'intéresser à tous les nouveaux usages des réseaux, pour conquérir un large public. Ensuite, on a aussi un modèle freemium qui repose sur l'idée qu'on a un certain nombre de lecteurs qui sont prêts à payer pour des services, de l'information et qui est aussi une forme de soutien. L'information de qualité, ça a un coût et ils sont prêts à nous accompagner dans des années chargées en actualités. Evidemment, l'axe majeur de notre stratégie aujourd'hui est qu'une fois que l'on est présent sur les réseaux et sur toutes les temporalités, cela conduit ensuite à aiguiller les lecteurs les plus fidèles vers un abonnement numérique, qui est en forte croissance. On vient de passer le cap symbolique de 100.000 abonnés pur numérique. Sans même compter "La Matinale". De ce côté-là, on est en très fort recrutement. Ces différents ensembles de stratégies font que l'audience globale monte mécaniquement. On est dans un cercle vertueux.
Avec une présence sur autant de supports, à quoi va ressembler votre dispositif pour l'élection présidentielle ?
On fera un journal papier qui sera plus différencié de l'offre numérique. L'offre gratuite sur le site est vraiment tournée vers l'actualité chaude, la couverture des temps forts de la campagne, des petits faits et des paroles. Ensuite, on va vers une offre abonnés, incluant le print, qui présentera des contenus beaucoup plus différenciés, des grands récits, des analyses et des chroniques - une par jour. Sachant qu'on va s'appuyer sur les points forts qui étaient les nôtres en 2012, on jouera fortement sur la couverture des "Décodeurs", à travers le fact-checking, mais aussi le déminage des théories du complot qu'on voit prospérer. Ce sera le cas pendant la présidentielle. Ce que les gens attendent, c'est une information validée, qu'il faut évidemment mettre en avant avec le savoir-faire des "Décodeurs". On rajoutera aussi une brique "vidéos" pour couvrir cette campagne. Il y aura aussi une discussion avec les lecteurs sur les réseaux sociaux, comme Facebook. Même Snapchat, il faudra une proposition à l'intérieur de notre offre éditoriale.
Justement, comment va travailler cette rédaction dédiée à Snapchat ?
C'est une rédaction de sept personnes, plus le responsable. Tous les jours, il y a une édition à 17h30. Elle travaille en réfléchissant à des types de formats innovants et adaptés à Snapchat. On a ajouté à nos savoir-faire, deux "motion designer" dédiés à ce type de format. Ils essayent de faire de manière attrayante le récit de l'information et telle que "Le Monde" la traite. C'est vraiment faire une édition tous les jours sur Snapchat qui nous ressemble, qui ne joue pas à imaginer ce qui plairait à ce public-là. Sur le fond, c'est l'actualité sérieuse et vérifiée, qui peut amener quelque chose qui manque sur ce type de réseau jusqu'à présent.