Bruno Ledoux, actionnaire de Libération, appréciera sans doute la lecture de la page 23 de son quotidien ce matin. Les salariés du journal s'y moquent ouvertement de lui dans leur rubrique "Nous sommes un journal", où ils reviennent chaque jour sur la crise traversée par leur titre depuis plusieurs semaines. Ils ont choisi aujourd'hui de commenter les déclarations, la veille, de leur actionnaire devant des étudiants en école de journalisme.
"Bruno Ledoux a décidément un problème avec Libération, son histoire et ses salariés", écrivent-ils en préambule. Hier, le président du conseil du surveillance du journal avait dénoncé la frilosité de principe de ses salariés face à la nouveauté. "Tout ce qui est nouveau fait un peu peur mais, très vite, les journalistes ont commencé à y réfléchir", a-t-il lâché en annonçant un "repositionnement éditorial". Celui qui possède 26% du capital estime que son journal "devrait être le quotidien des jeunes" et a pointé du doigt l'âge de ses troupes. "Des insultes" pour les salariés de Libé aujourd'hui. "Et il y a même des journalistes qui écrivent encore leurs papiers à la plume d'oie, c'est dire notre retard !", ironisent-ils.
Quand le propriétaire du journal affirmait hier que Libé été créé "pendant la guerre", les salariés de Libé se poilent. "Ah bon ? Emmanuel d'Astier de la Vigerie et Jean-Paul Sartre doivent se retourner dans leurs tombes. Le premier est le fondateur en 1943 de Libération, journal clandestin du mouvement de résistance Libération-Sud, qui a cessé de paraître en 1964. Le second, le fondateur en 1973 du Libération que vous lisez. Si les deux canards ont le même titre, c'est que notre Libé a reçu l'autorisation de la veuve d'Astier de reprendre le nom. Comment Bruno Ledoux, qui a assisté à la fête des 40 ans de Libération, à l'automne, peut-il faire une telle erreur ?".
Les salariés s'interrogent aussi sur les nouveaux investisseurs promis par Bruno Ledoux, dont personne ne connaît aujour'hui l'identité. "Mais Bruno Ledoux n'est pas qu'un doux et gentil illuminé, c'est aussi un être qui compte ses sous et qui, l'air de rien, sait se montrer menaçant", écrivent-ils à propos de la "restructuration très conséquente" annoncée hier. "N'est-on pas en train de nous annoncer un plan social, en douce, sans avoir prévenu les élus du personnel ? Un nouveau délit d'entrave, en quelque sorte", dénoncent les salariés du quotidien.